LA TRIBUNE – Quel était le but de cette visite en force du MEDEF en Côte d’Ivoire ?
PIERRE GATTAZ – C’était de faire découvrir à des entreprises françaises le potentiel de la Côte d’ivoire et, au-delà, celui de l’Afrique tout entière. Pour moi, c’était de surcroît ma première visite dans ce pays et j’ai découvert beaucoup de chaleur chez tous les personnes que nous avons rencontrées, que ce soit au patronat ivoirien, dans les administrations ou au gouvernement. J’ai conduit une délégation de 150 chefs d’entreprise – dont 75 % de PME -, ce constitue la plus grosse délégation emmenée en Afrique depuis vingt ans. Avec une croissance de 8 à 10 % depuis quatre à cinq ans et de nombreux besoins d’infrastructures et d’équipement, la Côte d’Ivoire est un pays extraordinaire en termes de potentiel et de développement économique. Avec 24 millions d’habitants et 32 milliards de PIB, c’est un marché à ne pas rater !
N’est-ce pas aussi une porte d’entrée pour toute l’Afrique ?
Le continent africain va passer d’1 milliard à 2 milliards d’habitants, c’est un potentiel gigantesque. Nous devons donc accompagner ce développement pour répondre aux besoins des populations : nourriture, santé, eau potable, énergie, absence de télécoms. Mais surtout faire en sorte de créer de l’emploi local. Car tous les pays au monde, y compris la France, ont besoin de créer de l’emploi local, notamment pour les jeunes.
Le Medef n’était pas seul à Abidjan : ce fut aussi une grande première pour « l’équipe de France » du commerce extérieur…
Lors de ces trois jours passés en Côte d’Ivoire, trois réseaux français se sont rencontrés et ont parfaitement travaillé ensemble : le réseau du MEDEF bien sûr, mais aussi le réseau des Conseillers du commerce extérieur (CCE) que préside Alain Bentejac, avec 150 personnes venues de toute l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale, et le réseau « Business France » conduit par sa Directrice générale, Muriel Penicaud, pour ce Forum d’affaires consacré à « la Ville du futur » et au développement durable. Avec le secrétaire d’état chargé du Commerce extérieur, Matthias Fekl, c’est en quelque sorte toute l’équipe de France à l’international. Et tous ont l’intention de construire ici dans la durée.
Votre délégation a notamment été reçue par le président Alassane Ouattara dont l’objectif affiché est de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020…
Par sa réélection à plus de 80 % en octobre dernier pour un second mandat de cinq ans, le président Ouattara a montré sa vision, son énergie et son dynamisme pour le pays.
Son Premier ministre est aussi très pragmatique, c’est un homme qui règle les problèmes sur le terrain, c’est connu, reconnu et donc apprécié de tous. Je crois qu’il y a ici un terreau favorable politiquement et, économiquement, des résultats. La Côte d’Ivoire est la locomotive de l’Afrique de l’Ouest et peut aussi devenir un modèle pour toute l’Afrique. Je pense que nous autres Français – grâce à cette langue et à cette histoire commune – pouvons apporter un codéveloppement à la Côte d’Ivoire. Non pour les six prochains mois, mais pour bâtir quelque chose dans la durée sur dix, vingt… cinquante ans peut-être.
La France n’a-t-elle pourtant pas perdu d’importantes parts de marché dans ce pays ?
C’est vrai, mais nous restons le premier investisseur dans le pays. C’est cela qui est important car cela signifie qu’il y a encore, pour la France, une appétence forte. En flux commerciaux, nous avons en effet perdu des parts, mais je crois qu’elles sont rattrapables, grâce à ce genre de délégations. Nous avons beaucoup de choses à proposer à la Côte d’Ivoire : de l’excellence dans les réseaux d’eau potable, dans les traitements des déchets, dans les réseaux d’énergie, dans la ville durable, dans les « smart city », toutes les structures intelligentes du XXIe siècle : les services numériques, l’informatique, toute la révolution digitale… autant de disciplines où nous avons une forte créativité, comme nous le démontrons dans tous les salons internationaux grâce à nombre de startups innovantes.
Depuis plus de vingt ans, la France paraît un peu recroquevillée sur elle-même. Il faut donc réouvrir les portes et les fenêtres de notre pays et dire que l’on peut apporter beaucoup de choses à nos amis africains et, pour que les relations soient durables avec la Côte d’Ivoire, en créant à chaque fois des emplois dans nos deux pays. Par ces débouchés africains, la France peut et doit recréer des emplois en France ainsi bien sûr que des emplois locaux, de techniciens ou d’opérateurs, par exemple, dans les usines de traitement du cacao.
Comment la France peut-elle faire face à l’arrivée des Américains, des Chinois, des Turcs, des Marocains, des Indiens sur le marché ivoirien ?
Je crois qu’en France on a vécu ce que l’économiste Nicolas Baverez a appelé les « trente piteuses », mais il faut créer maintenant les « trente audacieuses ». Il faut regarder ce monde qui est à équiper et qui a besoin de produits et de services français. Je suis donc très motivé et ce n’est pas la première délégation que je conduis en Afrique : j’étais au Nigeria il y a quelques mois, au Maroc il y a quelques semaines. Je pense que la France est sans doute la mieux armée de tous les pays au monde pour se lancer à la reconquête du marché ivoirien et, au-delà, pour accompagner ce développement africain dans un esprit « gagnant-gagnant ». Nous avons des savoir-faire d’excellence, des expertises, des « grands » du CAC 40 formidables, beaucoup de PME et PMI qui sont très fortes aussi, et des startups dont ce sera le premier marché en Afrique. Ce que nous avons un peu loupé avec la Chine, ne le ratons pas avec l’Afrique.
Le Premier ministre ivoirien, Daniel Kablan Duncan, a lui-même demandé aux entreprises françaises d’être plus « agressives »…
Pour répondre à ses vœux, il faut que les entreprises du CAC 40 viennent encore plus et qu’elles entraînent encore plus les PMI et PME. Il y a une « chasse en meute » à faire, qu’il faut exercer un peu à l’allemande ou à la japonaise, en venant avec des sous-traitants, des PME. Mais pour cela, il faut avoir des marges. Il faut lier le développement et l’agressivité commerciale – qu’il faut retrouver et accompagner – à l’amélioration du terreau français. On n’est pas là pour faire un « coup de business », mais pour apporter du pouvoir d’achat et de l’épanouissement humain. L’économie, je ne la vois qu’humaine, contrairement à ce que les journaux et beaucoup de gens dans la rue colportent à mon égard en France, et notamment en ce moment Place de la République.
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Avec La tribune