Arrêté avec son père, le président déchu Laurent Gbagbo, en avril 2011, Michel Gbagbo a été libéré en août 2013.
Depuis, il vit seul et donne des cours de criminologie à l’Université d’Abidjan.
Le quartier est soigné et résidentiel. Un hameau de paix avec sa rue large, ses maisons spacieuses, ses gazons tondus et un mur d’enceinte qui le protège de l’extérieur, typique de la Riviera Golf, le quartier huppé de la commune de Cocody, à Abidjan.
Une vie ordinaire
Michel Gbabgo, le fils de l’ancien président déchu Laurent Gbabgo, habite dans ce décor à mi-chemin entre les zones urbaines sécurisées sud-africaines et Wisteria Lane, la célèbre rue de la série américaine Desperate Housewives. Il occupe la maison de son père, détenu à La Haye en attendant d’être jugé par la cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité.
Laurent Gbagbo, alors professeur d’histoire, a vécu pendant des années avec sa première femme, la française Jacqueline Chamois, et leur fils, Michel Gbagbo, dans cette bâtisse, construite dans les années 1970 par des Israéliens pour les professeurs de l’Université d’Abidjan.
Cette maison est loin d’être la plus éclatante, la plus entretenue et la plus volumineuse de la riviera. Elle évoque la poupe d’un vieux navire échoué sur une plage proprette. Rien à voir avec la maison fastueuse, un brin clinquante, de son rival, l’actuel président Alassane Ouattara.
Vêtu simplement d’un tee-shirt vert et d’un jean, le visage barré par une paire de lunettes de grand myope, le robinson de cette île paternelle salue les visiteurs sans cérémonie. Dans une main, un téléphone portable qu’il vient d’acquérir, « une pâle copie d’une grande marque de téléphone, qui ne marche pas bien », explique-t-il alors qu’il essaie de répondre à un appel. Dans l’autre, un paquet de cigarettes. Michel Gbagbo fume, beaucoup.
Un discours très mesuré
L’homme est plutôt accueillant et ne semble pas rancunier. « Le journal La Croix ! Je me souviens, vous avez été très anti-Gbabgo pendant la crise post-électorale », dit-il sans ironie et sans acrimonie. La conversation est assez libre. Il répond longuement aux questions. Aime la précision et les détails dans ses réponses.
Interrogé sur le climat politique actuel, il est, bien entendu, très critique. Mais il s’exprime sans véhémence ou animosité. « Nous ne vivons pas sous une dictature, mais nous assistons à une dérive autocratique », affirme-t-il tranquillement. Il note les arrestations au cours des manifestations contre le régime, la prépondérance des gens du nord dans les postes clés de l’administration Ouattara, la justice de vainqueur qui s’en prend uniquement à ceux qui ont soutenu Laurent Gbagbo. De telles critiques sont exprimées quotidiennement par l’opposition, mais pas seulement. Nombre d’observateurs et d’ONG de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International et la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), font quasiment le même constat.
Discrétion de mise à propos de son père
Si la conversation roule sur Laurent Gbagbo, son fils ne tient pas à s’étendre. « Mon père va être jugé, dit-il. Tout ce que je peux dire peut être utilisé contre lui. Je ne le souhaite pas, vous comprenez. »
> Lire La CPI décide de juger Laurent Gbagbo
Il refuse de livrer le fond de sa pensée sur l’ex-président dont il admet qu’il n’est pas un homme parfait. « Entre le père que j’ai connu enfant et celui qui a présidé la Côte d’Ivoire, il y a eu deux événements qui l’ont, je crois, profondément transformé : son emprisonnement en 1992 à la demande d’Alassane Ouattara, alors premier ministre d’Houphouët-Boigny. Et son élection à la présidentielle de 2000 », reconnaît-il, sans en dire plus.
Si on l’interroge sur le rapport délirant que son père a entretenu avec le mysticisme évangélique, il répond que le religieux et le politique ne font jamais bon ménage. « Le religieux doit rester dans la sphère privée d’un homme politique. Sinon, c’est la porte ouverte à tous les excès et les fanatismes », concède-t-il.
Arrêté avec son père, en avril 2011, Michel Gbagbo a été libéré en août 2013. Depuis l’an dernier, il donne des cours de criminologie à l’Université d’Abidjan. Auteur d’une thèse sur la psychopathologie de la vie sociale, il s’est spécialisé dans la criminologie clinique et dans la prise en charge des patients psychologiquement dangereux.
Dans un pays qui compte moins d’une quarantaine de psychiatres, le terrain est en friche. « Les solidarités traditionnelles sont remises en question par la compétitivité, la performance individuelle et la dérégulation du marché. Dans ce contexte, l’intégration des personnes ayant souffert d’une pathologie mentale est un défi », analyse-t-il.
Un métier de professeur
Avec un statut de maître assistant, il doit assurer 200 heures de cours par an et touche 700 000 FCFA (environ 1 070 €) par mois. Il dit n’avoir aucun avantage particulier. Il est toléré par l’administration universitaire et semble plutôt apprécié par ses étudiants. « Je fais cours dans un amphi de 400 étudiants. Il est toujours plein. Je suis un peu une curiosité. À la fin de mes cours, certains s’approchent pour se prendre en photo avec moi. Je ne refuse pas. Je sais qu’à travers moi, c’est mon père qu’ils voient. C’est comme ça. »
Entre ses cours, il écrit des essais sur la folie et la criminologie. Le dernier en date Quelle place pour les fous guéris ? a été publié cette année chez L’Harmattan, à Paris. Un livre dans lequel il synthétise la problématique de la réinsertion à Abidjan des personnes ayant souffert de troubles mentaux. Avant son incarcération, il publiait même de la poésie comme Les Souillonsen 2010 ou Confidences en 2006.
Il lui est interdit de quitter la Côte d’Ivoire. Sa femme et ses enfants vivent en exil au Ghana. Et sa mère, à Lyon. « Ne pas voir ma famille, ne pas vivre avec elle, c’est le plus dur. Depuis ma libération, ma femme a obtenu à deux ou trois reprises un visa de quelques jours pour venir ici. Ce n’est pas beaucoup. »
Des relations distantes avec la politique
La politique ? Il n’y a pas renoncé. Socialiste, il souhaite voir le retour au pouvoir du Front populaire ivoirien (FPI), le parti de son père. Y croit-il et le souhaite-t-il vraiment ? Ce n’est pas sûr. Du temps de son père président, il n’a jamais occupé un poste clé dans le système Gbagbo.
Depuis que Laurent Gbagbo est en prison, le fils apparaît, à une partie de ses partisans, comme l’héritier du roi déchu. Mais il semble peu intéressé par cette tâche. a priori, il n’est pas de la même facture qu’un Joseph Kabila, un Karim Wade ou un Ali Bongo, ces fils de présidents africains habités par l’impérieux désir du pouvoir.
En revanche, il se mobilise pour défendre les partisans de son père toujours emprisonnés. « Les arrestations sont brutales, les conditions de détention précaires et barbares », dit-il. Ancien prisonnier des forces pro-Ouattara, il en sait quelque chose. Les images de son arrestation, de ses humiliations ont fait le tour du monde. Cette expérience l’a profondément marqué. « Pourtant,souligne-t-il, j’ai eu de la chance. Comme fils de mon père, j’ai trouvé des gens qui m’ont aidé pendant ma détention, qui m’ont apporté de la nourriture, des médicaments et des livres. Mais j’étais une exception. »
Michel Gbagbo rallume une cigarette, parle de son catholicisme : « Je pense que je dois la vie aux prêtres qui sont rapidement venus me rendre visite dès le début de ma détention. Ils m’ont protégé des plus violents. »
Il assure mener une vie presque normale : « Je sors, je me promène, je fais des courses, mais je ne conduis pas car je n’y vois rien », dit-il en souriant. La première chose qu’il fera, une fois sa liberté de mouvement retrouvée ? « Filer à Lyon, voir ma mère. Puis à La Haye, voir mon père. »
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LAURENT ET SIMONE GBAGBO ET LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE (CPI)
23 novembre 2011 : mandat d’arrêt émis par la CPI contre Laurent Gbabgo.
30 novembre 2011 : l’ancien président ivoirien est remis à la CPI par la Côte d’Ivoire.
12 juin 2014 : audience de confirmation des charges.
28 janvier 2016 : ouverture prévue du procès.
LES CHARGES RETENUES CONTRE LAURENT GBAGBO
Laurent Gbagbo est accusé de quatre charges de crimes contre l’humanité : le meurtre, le viol, les autres actes inhumains ou – à titre subsidiaire – la tentative de meurtre, et la persécution perpétrée dans le contexte des violences post-électorales en Côte d’Ivoire en 2010-2011.
SIMONE GBAGBO ET LA CPI
22 novembre 2012 : la CPI émet un mandat d’arrêt à l’encontre de Simone Gbagbo pour quatre chefs de crimes contre l’humanité prétendument commis sur le territoire de la Côte d’Ivoire.
Le 27 mai 2015 : la chambre d’appel a confirmé la décision de la chambre préliminaire I du 11 décembre 2014, qui avait déclaré l’affaire à l’encontre de Simone Gbagbo recevable devant la CPI. La Côte d’Ivoire refuse, pour l’heure, de remettre Simone Gbagbo à la CPI, estimant être fondée à la juger elle-même. La cour d’assises d’Abidjan l’a ainsi condamnée à vingt ans de prison le 10 mars 2015 mais la défense et l’accusation ont fait appel.
LAURENT LARCHER (à Abidjan, Côte d’Ivoire)
Lire l’article sur…http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Afrique/Michel-Gbagbo-fils-de-20…