L’opposition ivoirienne ne reconnait plus la Commission électorale indépendante (CEI), qu’elle juge inféodée au pouvoir. Elle appelle à des manifestations cette semaine, à la veille des premières sénatoriales de l’histoire du pays qui doivent se tenir ce samedi 24 mars.
La tension monte entre le pouvoir et l’opposition ivoirienne, à quelques jours des sénatoriales de ce samedi. Alors même que le scrutin est inédit, ce n’est pas la bataille pour les 99 sièges du futur Sénat qui cristallise les crispations. Le couleur de l’hémicycle ne fait en effet l’objet d’aucun suspense : il sera quasi uniquement aux teintes du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Un tiers des sénateurs est en effet choisi directement par le président, les deux autres tiers par un collège de grands électeurs, acquis à la coalition au pouvoir.
Crise de confiance
Plus que jamais, c’est la Commission électorale indépendante (CEI) qui est dans le collimateur des opposants à Alassane Ouattara. Ce lundi 19 mars, dix-huit formations d’opposition, dont la frange du Front populaire ivoirien (FPI) menée par Pascal Affi N’Guessan, ont ainsi « retiré officiellement leur confiance et leur caution à la Commission électorale indépendante (CEI) ». Ces partis soulignent qu’il n’existe plus de consensus autour de la formation de cette instance, qu’ils accusent d’être déséquilibrée, avec une composition qui la ferait pencher en faveur du pouvoir.
Ils ont notamment annoncé ne plus reconnaître les quatre membres de la CEI censés représentés l’opposition. Or, sur les dix-sept personnes qui composent cette instance-clé du jeu électoral, quatre représentent des membres du gouvernement – dont le président la République – et quatre autres le parti au pouvoir. Si les quatre membres supposés représenter l’opposition ne sont plus reconnus par elle, les autorités emportent donc mécaniquement la majorité.
Combat commun de l’opposition
Avec cette annonce, un pas est franchi. Malgré ses divisions internes, l’ensemble de l’opposition ivoirienne s’accorde en effet autour de la contestation de la CEI et de son président, Youssouf Bakayoko. Samedi, l’autre camp de l’opposition, menée par les pro-Gbagbo d’Aboudramane Sangaré et unie sous la bannière de la plate-forme Ensemble pour la démocratie et la souveraineté, avait déjà dit son mécontentement.
« Alassane Ouattara a une volonté manifeste de tout verrouiller. Cette commission est tout entière au service de l’exécutif. Aucune élection juste et crédible ne peut se tenir dans ces conditions », estime Laurent Akoun, l’un des proches de l’ancien président Laurent Gbagbo, joint par Jeune Afrique. « Nous disons à Ouattara : asseyons-nous maintenant, et discutons. »
C’est pourtant une fin de non-recevoir qu’a opposé jusqu’ici le pouvoir. Dans un communiqué daté du 12 mars dernier, Sansan Kambilé, le ministre ivoirien de la Justice estime que « la question de la réforme de la composition actuelle de la CEI ne se justifie guère », affirmant qu’elle résulte « d’un large consensus de tous les acteurs. »
Pressions internationales
Les pressions internationales se sont pourtant intensifiées depuis la dernière élection présidentielle en 2015. Dans un arrêt daté du 18 novembre 2016, la Cour africaine des droits de l’Homme a ainsi estimé que « l’organe électoral ivoirien ne présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité ». Une décision capitale pour l’opposition.
Récemment, les représentants de plusieurs partenaires internationaux, dont l’Union européenne, la Belgique et les États-Unis, ont fait part de leur préoccupation lors d’un entretien avec le ministre ivoirien de la Justice et le directeur de cabinet du président de la République, Fidèle Sarrasoro.
Les tensions risquent de continuer à croître d’ici au scrutin du 24 mars. Jeudi 22, l’opposition appelle à une nouvelle « grande marche » à Abidjan. Leur dernier rassemblement, samedi 17 mars à Yopougon, avait été dispersé par la police à coups de gaz lacrymogènes, avant de finalement pouvoir se tenir. « Nous ne nous mobilisons pas pour ce scrutin où tout est joué, mais pour l’avenir. Si nous attendons la veille de la présidentielle de 2020, les crispations ne seront que plus grande », conclut Laurent Akoun.
Avec jeuneafrique