Ouattara est habile dans la gestion de son image de marque (c’est connu) ; mais il l’est davantage dans l’art de manipuler l’information de masse, donc les foules. Ces six derniers mois ont vu son habileté en la matière. Sur la question de la présidentielle de 2020, alors que tout le monde était instruit de ce qu’il ne serait pas candidat, il bémolise subitement (et consciemment ?) sa position en en faisant miroiter la perspective. Les analystes politiques ont vite compris l’astuce : il s’agissait, par cette déclaration, de mettre fin (ou du moins le suspendre) au conflit successoral qui s’était déclaré entre partisans d’Amadou Gon, d’Ahmed Bakayoko et ceux de Guillaume Soro, tous les trois, héritiers virtuels de Ouattara. Cette déclaration porta ses fruits : depuis, plus de dissensions apparentes et si hautement exprimées au Rdr. C’était donc bien joué !
Suivons l’actualité. Le mois de mai a vu le régime du Président Ouattara être malmené sur tous les fronts en matière de communication de masse. Les cyber-activistes ont provoqué la noyade totale des services de communication de l’Etat : presse gouvernementale, télé, radio, sites Internet. Le spectre de la mal gouvernance a fini de ternir l’image d’un régime visiblement en mal d’inspiration et arc-bouté sur l’illusion de succès relatifs, malgré les cris d’insatisfaction et de déception que relaient si frénétiquement les réseaux sociaux et les journaux de l’opposition ainsi que la presse étrangère – française précisément. L’échec (indiscutable) de la politique d’Education nationale, celui de l’urbanisation (une inacceptable catastrophe écologique), la grande fortune de la corruption (presque généralisée), les actes de mauvaise gestion, ont achevé de rendre problématique la crédibilité, voire la survie de ce régime. Le scandale du guichet unique a placé un ”sforzando (Sfz)” sur l’ensemble des fausses notes de ce régime. Des observateurs vont même jusqu’à se demander si nous atteindrons 2020 avant la désintégration de ce système. Et c’est ce moment que choisit le Président Ouattara pour fait resurgir le spectre de sa probable candidature en 2020. En habile tacticien : la nouvelle (?) qui est vraiment loin d’être nouvelle, fait le buzz sur les réseaux sociaux et devient désormais le sujet principal des échanges, dans tout le pays.
On le voit : Ouattara vient là de prouver qu’il est vraiment un politicien aguerri au métier, un tacticien de niveau respectable. Pour preuves : qui parle encore aujourd’hui d’inondations, de non fiabilité du goudron et des chantiers ? Qui parle du scandale du Guichet unique, de la faim, de l’insalubrité, de l’indiscipline, du désordre, des fraudes aux examens et concours, du népotisme, de l’ethnisme qui infecte l’administration ivoirienne ? Nous pouvons parier que dès que s’estompera l’effet (attendu) de cette autre pierre malicieusement jetée dans la mare publique, Ouattara agitera une autre (vieille) idée qui provoquera le même effet d’aimant : le parti unifié. Et du coup, les querelles de prosélytes alimenteront de nouveau le climat politique du pays, donnant ainsi du répit au Président pour faire avancer les dossiers qui lui tiennent à cour : le 4è pont, le métro, le Stade olympique, les vastes chantiers infrastructurels du nord, etc. On peut l’affirmer : l’homme a assimilé la technique, vieille (mais qui fait toujours recette) de la manipulation d’informations de masse, pour distraire l’adversaire politique. C’est du grand art ! De la haute prestidigitation politique.
[Départ programmé]
Ouattara se sert de la probabilité de sa candidature comme d’un épouvantail. Manifestement, il procède ainsi pour dérouter partenaires, adversaires et ennemis entêtés, ainsi que d’éventuels conspirateurs de l’ombre ! Et je devine que ça l’amuse, lui et ceux qui savent sa vraie position sur ce sujet, d’agiter ainsi la République ! De la pure diversion donc. Oui, diversion car Alassane Ouattara sait très bien qu’il n’ira pas à cette présidentielle de trop dans sa vie. Les raisons, sages, qu’il avait avancées il y a de cela deux ans pour éviter de succomber à cette tentation délicate sinon dangereuse, sont encore en vigueur.
A mon avis, hier (en 2015) comme aujourd’hui, Ouattara n’a plus rien à prouver à cette fonction présidentielle. Il peut donc partir (et il lui faut le faire) sous les acclamations populaires, surtout que, manifestement, il a atteint ce que, dans les arts, l’on appelle le « seuil de compétence » (appelé aussi « seuil d’incompétence » – un stade d’évolution à partir duquel le sujet ne peut plus progresser : il stagne donc. Oui, Alassane Ouattara peut partir, sans grand regrets : la route qu’il a tracée est, dans l’ensemble, bonne (tel a toujours été mon avis sur cette question) ; les travaux prévus sont d’utilité publique indiscutable ; et son successeur se fera forcément le devoir de les accomplir : ce dernier n’aura pas même le choix car l’achèvement de ces chantiers rehaussera son règne.
Alassane Ouattara partira donc en 2020. Car il sait comment il est entré dans la vie politique ivoirienne ; et il sait aussi comment il est entré dans l’Histoire générale en tant que personnage d’Etat d’envergure internationale – notre pays est membre des Nations unies. Mais Ouattara sait surtout ce que le Maître Zadi n’a cessé de dire aux politiciens de notre pays, particulièrement à son produit Laurent Gbagbo qui, devenu chef d’Etat (c’était son fantasme depuis ses années collège), se croyait désormais Hermes trismégiste :« L’essentiel n’est pas de rentrer dans l’Histoire, mais de savoir par quelle porte on en sort. » Parole de philosophe de la Cité et de grand Maître d’initiation à l’initié bien-aimé !
Alassane Ouattara a eu le temps de savoir par quelle porte il doit sortir de l’histoire – cette histoire ivoirienne du relationnel pourri : la porte qui ne mène pas à la déchéance et à la honte, car le cap 2020 est chargé de mille périls à son détriment et désavantage. Jamais comme dans un passé si peu lointain, il n’a réuni contre lui autant de récriminations collectives (justifiées ou non), autant d’aigreurs, de désirs de le voir chuter dans la disgrâce populaire et la capitulation politique. Alassane Ouattara sait tout cela – il a eu le temps d’évaluer un peu du spectre de son impopularité actuelle ou, du moins, de la baisse du niveau d’estime nationale hier à son crédit.
Voltaire, ignoble raciste, mais malheureusement grand écrivain et penseur français, disait : « La politique est le moyen pour des hommes sans principes de diriger des hommes sans mémoire. » Or les Ivoiriens d’aujourd’hui ont de la mémoire (Internet et ses vidéo témoignages), les épisodes douloureux de leur vie sociale quotidienne, et la cruelle réalité des agissements d’un pouvoir qui ne les a pas souvent ménagés. Oui, ce peuple a désormais de la mémoire. Et Alassane Ouattara a des principes ou du moins, il n’est pas un homme sans principes. Donc. ! Divorce consommé avec le peuple – c’est un cruel syllogisme.
Chers concitoyens, je vous le dis : la récente déclaration du Président Ouattara a pour but de lui permettre de jauger du spectre de recevabilité de la perspective de sa candidature en 2020. Il a vu la réaction de son peuple. En homme intelligent et instruit du sort de son prédécesseur qui s’accrocha stupidement au trône, il saura faire l’option, avisée et sage, qu’il avait même déjà annoncée : partir. Partir sans problème. Partir dans l’honneur des grands. Dans l’élégance et la dignité des gentlemen, et surtout dans l’hommage de la Nation et au nom de la . paix ! Et, je vous le dis, je suis sûr que le Président Alassane Ouattara a déjà conçu dans les moindres détails les donnes de son départ avec une froideur d’homme de science lucide et prévoyant – c’est un homme méthodique. Bref, dans un cas comme dans l’autre, cet homme restera pour nous tous, une redoutable énigme. C’est cela aussi savoir être un grand homme au milieu des siens et dans l’Histoire : demeurer insaisissable et impénétrable afin de toujours susciter la curiosité de ses contemporains et de l’Histoire. Chapeau, grand-frère !
Avec connectionivoirienne