Le président du holding ivoirien Snedai Group n’en finit pas de se diversifier, du biométrique au BTP. Un essor qui s’est accéléré sous Alassane Ouattara, pour qui il fait inlassablement campagne…
À Abidjan, sa proximité avec le palais irrite jusqu’aux barons du Rassemblement des Républicains (RDR), le parti au pouvoir. Mais elle a rendu Adama Bictogo, 52 ans, intouchable. Dominique Ouattara, la première dame, est sa « grande soeur » ; le secrétaire général de la présidence, Amadou Gon Coulibaly, un ami fidèle. Et c’est une relation quasi filiale qui le lie au président Alassane Ouattara depuis leur première rencontre, le 14 février 1994.
Adhérent de la première heure du RDR, Adama Bictogo a été de toutes les batailles, de tous les rapprochements, de tous les compromis. Lors de la crise postélectorale de 2010, il a su trouver des soutiens internationaux. Négociateur habile, il avait déjà été en 2007 l’un des artisans des accords de Ouagadougou, qui ont permis de renouer le dialogue entre l’ex-président Laurent Gbagbo et le chef rebelle Guillaume Soro.
Récompensé pour sa loyauté, il a décroché en 2011 le ministère de l’Intégration africaine. Avant d’être poussé à la démission un an plus tard, lorsque a éclaté le scandale du détournement des indemnisations des victimes du Probo Koala, ce navire qui, en 2006, avait déversé des déchets toxiques à Abidjan. Début 2010, l’homme dirigeait le cabinet MBLA, chargé de gérer la médiation entre les parties. Blanchi au pénal, l’homme reste marqué par cet épisode. « Le plus important est d’avoir pu conserver la confiance du président », insiste-t-il.
Sa double appartenance aux sphères publique et privée est une de ses forces
À cheval entre politique et économie
Sans surprise, le secrétaire général adjoint du RDR sera l’un des grands ordonnateurs de la campagne d’Alassane Ouattara, candidat à sa propre succession en octobre. À Yamoussoukro, Adiaké, San-Pédro, il s’active à motiver les comités départementaux – avec déjà trois meetings les 22 et 23 août. Le début d’un marathon où il devra alterner bains de foule et rendez-vous d’affaires.
Car, depuis son départ du gouvernement, ce fils de planteur s’est surtout consacré au développement de ses entreprises. Au moment où il s’est engagé en politique, dans les années 1990, il était déjà à la tête d’une société d’import-export. Et il a par la suite toujours conservé un pied dans le secteur privé, par exemple dans le négoce de cacao au milieu des années 2000, tout en étant conseiller politique.
En 2008, Désiré Tagro, alors ministre de l’Intérieur, dont il s’est rapproché à la faveur des accords de Ouagadougou, l’informe que la Côte d’Ivoire entend adopter un passeport biométrique, une première en Afrique de l’Ouest. Flairant l’opportunité, Adama Bictogo crée l’entreprise Snedai et approche le belge Zetes, candidat malheureux en 2007 face à Sagem Sécurité (devenu Morpho) pour la réalisation du fichier électoral. L’association est un succès. Depuis, tous deux ont emporté des marchés au Mali, en Gambie, au Togo et en Côte d’Ivoire, où ils gèrent l’enrôlement pour la couverture maladie universelle.
Un patron au réseau dense
Avec l’accession au pouvoir de son mentor et le retour de la croissance, cette double appartenance aux sphères publique et privée est devenue l’une de ses forces. Même si, sous la pression de l’opinion, il a parfois dû y renoncer, comme en 2011, lorsqu’il avait voulu s’associer au groupe français Nicollin pour le ramassage et le traitement des déchets.
Quand on lui oppose ce mélange des genres, l’homme ne se dérobe pas : « Oui, j’ai un solide réseau, y compris à l’étranger, et je me donne beaucoup de mal pour cela. Je suis le VRP de mon groupe quand les multinationales engagent des sociétés de relations publiques. » Dès 2011, le businessman s’est rapproché de Macky Sall pour décrocher le marché des visas biométriques. Et a pu obtenir une compensation lorsque l’État a fait machine arrière début 2015. « Mais avoir des contacts ne suffit pas, ajoute-t-il. Jugez-moi sur les marchés que j’ai obtenus. Si je bénéficie toujours du soutien des banques, c’est parce que je respecte mes engagements. »
Ce patron doit aussi sa réussite à sa capacité à renforcer les ressources humaines de ses entreprises. « Aujourd’hui, nous pouvons répondre sans Zetes à certains appels d’offres, comme pour la carte consulaire au Burkina Faso », illustre l’intéressé.
Diversification de ses activités
Depuis trois ans, Adama Bictogo diversifie ses activités, investissant les secteurs des transports, de l’immobilier, des travaux publics et de l’énergie. Ses six entreprises emploieraient 1 000 salariés. Parmi ses dernières réalisations figure un lotissement de 108 villas et appartements de haut standing destiné à la location dans le quartier des Deux-Plateaux, à Cocody.
D’ici à quelques semaines, il démarrera la construction d’embarcadères pour les passagers sur la lagune Ébrié. Un investissement estimé à 20 milliards de F CFA (30,5 millions d’euros) pour lequel il s’était associé avec le groupe turc Yildirim, responsable selon lui de retards sur le chantier. Selon nos informations, il devrait finalement l’exécuter seul. Et au Sénégal, il attend le feu vert des autorités pour une série de bâtiments administratifs. Mais ses projets les plus ambitieux concernent le secteur de l’énergie avec la réalisation de centrales électriques en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Guinée et au Bénin. En discussion depuis cinq mois avec un groupe ibérique, le partenariat pourrait être officialisé en septembre.
Entre 2016 et 2020, Adama Bictogo prévoit d’investir un milliard d’euros grâce à l’appui de banques comme BGFI ou Ecobank. Afin d’augmenter son poids financier, il a décidé, avec le soutien du cabinet PwC, de consolider ses activités dans un holding, Snedai Group, qui représenterait 100 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Cet entrepreneur atypique, diplômé de l’Institut supérieur de gestion de Paris grâce à son frère Lassana, qui a financé ses études, prévoit d’ici à cinq ans de poursuivre son développement dans le champ de la microfinance « pour donner les moyens au secteur informel de créer de la valeur ajoutée ». Et de devenir, comme il en rêve à haute voix, l’un des cinq plus importants chefs d’entreprise de l’Uemoa. Et la politique ? Après 2020, les ambitions seront légitimes, sourit-il.
Avec JeuneAfrique