Cette nouvelle institution, dont la création a fait polémique, entrera en fonction le 10 avril prochain, une première dans l’histoire de la Côte d’Ivoire. Elle devrait laisser peu de place à l’opposition.
Situé au cœur de Yamoussoukro, l’imposant siège de la fondation Félix-Houphouët-Boigny a des faux airs de palais présidentiel. Achevé en 1987, il abrite les bureaux de ladite fondation, ceux du gouvernorat de la capitale ivoirienne, et accueille parfois le Conseil des ministres. À compter du 10 avril, c’est dans l’un de ses deux auditoriums que siégeront les 99 membres du premier Sénat de l’histoire de la Côte d’Ivoire. Soixante-six seront élus le 24 mars par un collège de grands électeurs – deux par région –, et le tiers restant sera nommé par le président.
Un projet qui remonte à 1995
Ce sera l’aboutissement, après de multiples rebondissements, d’un vieux projet proposé dès 1995 et repris par le président Alassane Dramane Ouattara (ADO) lors de sa campagne de 2015. Il s’agit, en effet, de la grande nouveauté de la Constitution de la IIIe République, instaurée le 8 novembre 2016. En principe, la nouvelle assemblée aurait dû être mise en place dès les mois suivants. Le contexte mouvementé du début de l’année 2017 – mutineries, grèves des fonctionnaires et crise du secteur du cacao – en a décidé autrement.
Les autorités ont ensuite semblé hésiter. Alors que le chef de l’État pensait organiser ce scrutin, ainsi que les municipales et les régionales, en 2020, certains dans son entourage – notamment son Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly – l’ont convaincu qu’il était préférable que ces élections se tiennent en 2018. « Le mandat des maires et des conseillers municipaux se termine à la fin de l’année. Nous ne voulions pas le prolonger », explique-t-on à la primature.
Certains observateurs estiment néanmoins que le pouvoir agit comme s’il voulait contrôler le visage de la future Chambre
Est ensuite venue la question du calendrier électoral : fallait-il organiser les sénatoriales avant ou après les locales ? L’enjeu était d’importance puisque ce sont précisément les élus locaux qui désignent les sénateurs. Or l’opposition ayant boycotté les scrutins de 2013, l’actuel collège électoral d’environ 7 000 personnes (selon la CEI, la Commission électorale indépendante de Côte d’Ivoire) est très favorable à la coalition au pouvoir : il est presque exclusivement composé d’élus du Rassemblement des républicains (RDR, d’ADO) et du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, de son allié Henri Konan Bédié).
Lors du dernier Conseil des ministres de 2017, ADO demanda au garde des Sceaux, Sansan Kambilé, et à Sidiki Diakité, à l’Intérieur, de réaliser des simulations pour chaque cas de figure. Ils rendirent leurs conclusions juste avant le Conseil des ministres de ce 14 février. Après un dernier échange avec le Premier ministre (RDR) et le vice-président (PDCI), Daniel Kablan Duncan, la décision est prise : les sénatoriales auront lieu le 24 mars, avant les municipales et les régionales prévues pour juillet.
Quelle place pour l’opposition ?
Les autorités expliquent que le Sénat devant être installé sept jours après l’ouverture de la première session de l’Assemblée nationale, qui aura lieu le 2 avril, ce choix s’imposait à elles. Certains observateurs estiment néanmoins que, dans un contexte politique incertain, le pouvoir agit comme s’il voulait contrôler le visage de la future Chambre.
Le Sénat n’est qu’une maison de retraite sans véritable enjeu politique », nuance toutefois un cadre du RDR
Même si le président décide d’y nommer des opposants, les deux partis au pouvoir devraient donc se partager l’essentiel des sièges. Ils présenteront des candidats sur des listes communes dans l’ensemble du territoire. Alors que la création du parti unifié, qu’ils projettent de fonder ensemble, génère de fortes tensions, certains espèrent que ces élections resserreront les liens. Les passes d’armes de ce week-end montrent cependant que le mal est plus profond.
Croire que des postes de sénateur vont régler les problèmes entre le RDR et le PDCI est un leurre, nuance toutefois un cadre du RDR. Le Sénat n’est qu’une maison de retraite sans véritable enjeu politique. Les ministres débarqués du gouvernement, les ambassadeurs en fin de parcours ou les hommes d’affaires qui veulent l’intégrer ont en tête les avantages qui vont avec la fonction. »
Ordonnance présidentielle
Alors qu’une bonne partie de l’opinion publique n’est toujours pas convaincue de l’utilité d’un Sénat, l’opposition, qui critique depuis le début une institution « budgétivore » et « inutile », dénonce désormais la méthode précipitée du gouvernement. La date et les conditions du scrutin ont, de fait, été fixées par ordonnance présidentielle le 21 février, à peine plus d’un mois avant le scrutin.
« L’article 51 de la Constitution indique que les modalités de l’élection du Parlement doivent être précisées par une loi organique. Or, pour le moment, cela a été fait par une ordonnance présidentielle », rappelle ainsi l’ex-président du Conseil constitutionnel, Francis Wodié. « Cette ordonnance a été prise par le chef de l’État à des fins strictement électorales », répond un proche d’ADO, qui rappelle « qu’il n’y a pas eu de loi organique votée avant les législatives de décembre 2016 ».
« Nous avons tout fait pour que le Sénat soit créé en respect de la Constitution. Après son adoption, le Parlement a fonctionné pendant plus d’un an sans nouveau règlement intérieur. Ce texte a été adopté seulement au début de l’année. Il fait office de loi organique. Avec les municipales et les régionales, c’est la dernière phase de la mise en place des institutions de la IIIe République », conclut un ministre au cœur du dossier.
Un Sénat envisagé dès 1995 par Henri Konan Bédié
Si Alassane Dramane Ouattara est le premier président ivoirien à instaurer un Sénat, il n’est pas le premier à en avoir eu l’idée. Successeur de Félix Houphouët-Boigny après la mort de ce dernier, Henri Konan Bédié proposait dans son programme présidentiel lors de la campagne de 1995 « une révision de la Constitution pour instaurer, notamment, la procédure de l’empêchement, le référendum d’initiative populaire et un Sénat ».
Après son élection, un projet de loi fut adopté en 1997 par l’Assemblée nationale. Comme c’est le cas aujourd’hui, le texte prévoyait initialement qu’un tiers des sénateurs soient nommés par le chef de l’État. Mais devant l’opposition d’une partie du Parlement, Bédié accepta de renoncer à son quota de nominations. Confronté à des difficultés budgétaires, le président décida ensuite de reporter la mise en place de l’institution.
Renversé par un coup d’État en 1999, il n’aura jamais l’occasion de concrétiser son projet. Par la suite, Laurent Gbagbo, élu en 2000, évoquera également la création d’une deuxième chambre parlementaire dans son premier programme de gouvernement, puis lors de la campagne électorale de 2010. « Si je suis élu, nous allons créer un Sénat. Et je suis content que le Premier ministre Ouattara soit maintenant d’accord avec moi », déclara-t-il lors du débat télévisé de l’entre-deux tours.