Il fallait s’y attendre. Sur les bords de la lagune Ébrié, le linge sale se lave désormais en public.
Entre le Rassemblement des républicains du président Alassane Dramane Ouattara (ADO) et le PDCI d’Henri Konan Bédié, l’un de ses prédécesseurs à la tête de l’État, le ton monte, par lieutenants interposés.
Enjeu : la présidentielle de 2020, qui cristallise les tensions et suscite ambitions légitimes comme appétits démesurés. Depuis une récente cérémonie d’hommage à Bédié (à Yamoussoukro, le 10 mars), au cours de laquelle des cadres du PDCI ne ménagèrent pas leurs critiques au RDR, c’est le temps des petites phrases assassines entre alliés présumés.
Le sniper en chef se nomme Jean-Louis Billon, ex-ministre du Commerce et porte-parole adjoint du PDCI. Pas vraiment un cadre de la première heure de l’ancien parti unique. Les vidéos à sa gloire, qui fleurissent sur les réseaux sociaux, semblent montrer qu’il roule avant tout pour lui-même et rêve d’un destin national. Mais peu importe. Billon a multiplié les déclarations pour expliquer que, le PDCI ayant soutenu Ouattara en 2010 et en 2015, il serait légitime et normal que la réciproque joue en sa faveur en 2020.
La riposte des cadres du RDR n’a pas tardé. Après des propos empreints d’une telle acrimonie, on voit mal comment le projet de fusion des deux formations au sein d’un Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) pourrait aboutir rapidement, et sans casse, même si ADO y tient beaucoup.
Après la séquence Guillaume Soro, autre allié ambitieux avec lequel les tensions ont dangereusement monté avant de retomber – mais l’accalmie est-elle durable –, un nouveau front s’ouvre devant Alassane Ouattara. Sur le fond, rien d’illogique.
Pour la première fois, ni Bédié, ni Ouattara, ni Gbagbo, les trois hommes qui ont dominé la vie politique ivoirienne après la disparition de Félix Houphouët-Boigny, il y a vingt-quatre ans, ne sont, en principe, concernés par la conquête des palais du Plateau et de Yamoussoukro.
Nouveaux prétendants
Une nouvelle génération d’hommes (et de femmes) aux profils forcément différents est appelée à prendre ses responsabilités. La liste des prétendants – réels, supposés ou simplement fantasmés – s’allonge chaque jour : Daniel Kablan Duncan, Amadou Gon Coulibaly, Guillaume Soro, Hamed Bakayoko, Jeannot Ahoussou-Kouadio, Pascal Affi N’Guessan, Albert Mabri Toikeusse, Patrick Achi, Thierry Tanoh, Jean-Louis Billon, Alain-Richard Donwahi, Tidjane Thiam…
ADO est parfaitement dans son rôle. Après dix ans à la tête de la Côte d’Ivoire, il entend passer le relais à une personnalité qu’il juge à la hauteur des enjeux. Un homme capable de poursuivre son œuvre, en somme. Cela s’organise. Quant à Bédié, qui peut raisonnablement penser qu’il puisse, une nouvelle fois, demander à ses troupes de s’effacer ? En 2010, après sa défaite au premier tour de la présidentielle, il avait appelé à voter Ouattara, seul moyen, pensait-il, de mettre un terme à l’aventure Gbagbo.
Ces querelles politiciennes sont détestables et donnent aux Ivoiriens l’impression que leurs dirigeants, toutes tendances confondues, se soucient davantage de leurs intérêts propres que de ceux de leurs administrés
En 2014, il avait lancé son fameux « appel de Daoukro », objet de tous les fantasmes actuellement, qui consistait à ne pas présenter de candidat du PDCI face à ADO – lequel sera, comme l’on sait, réélu dans un fauteuil. Une fois encore, pouvait-il faire autrement ? Non, bien sûr. Le RDR était alors bien plus puissant que le PDCI, ADO était au faîte de sa popularité, lui-même n’avait plus ni l’âge ni les moyens de prendre une hypothétique revanche sur le destin, et personne n’avait encore entrepris de briguer sa succession. Bédié avait-il d’ailleurs envie que quiconque lui succédât ? Cela ne correspond ni à son tempérament ni à l’estime qu’il a de lui-même…
Sur la forme, en revanche, ces querelles politiciennes sont détestables et donnent aux Ivoiriens l’impression que leurs dirigeants, toutes tendances confondues, se soucient davantage de leurs intérêts propres que de ceux de leurs administrés. Les affrontements entre RDR et PDCI font suite aux joutes entre ouattaristes et soroïstes, et à la guéguerre au sein du Front populaire ivoirien (FPI) entre les partisans d’Affi N’Guessan et ceux d’Aboudramane Sangaré. Petits calculs, combines entre tel et tel « grand quelqu’un »… On n’en sort pas.
La Côte d’Ivoire a changé, la majorité de ses citoyens n’ont pas connu Houphouët
Or les Ivoiriens attendent de leurs dirigeants, a fortiori de ceux de la nouvelle génération, une autre manière de conquérir le pouvoir et d’exercer les responsabilités publiques, fondée sur un projet de société rassembleur, la bonne gouvernance et la culture du résultat.
Quid des programmes, idées, initiatives, enjeux ?
La Côte d’Ivoire a changé, la majorité de ses citoyens n’ont pas connu Houphouët. Les électeurs ne sont plus les captifs de partis traditionnels qui ont longtemps eu tendance à les considérer comme du bétail censé suivre aveuglément les consignes de vote. Ils peuvent être attachés à leurs origines géographiques ou ethniques sans en être prisonniers et voter, de manière pavlovienne, comme leurs parents.
Ils ont besoin d’être considérés, ils veulent qu’on leur parle, qu’on leur explique les possibilités qui s’offrent à eux. À des années-lumière des sempiternelles querelles de chiffonniers, des insultes et des indéchiffrables plans sur la comète électorale. Hélas ! Personne ne parle programme, idées, initiatives, enjeux. Finalement, le meilleur moyen de mettre fin aux tensions et de répondre aux attentes d’une population plus mature que ne semblent le penser leurs représentants serait peut-être de tenir des élections totalement ouvertes.
Tous ceux qui le souhaitent (et remplissent les conditions) devraient pouvoir solliciter les suffrages des électeurs, affronter le peuple, mener campagne, tenir meeting et débattre dans les médias. Qu’ils se livrent, dévoilent leurs programmes, s’expliquent, tentent de convaincre… Et que le meilleur gagne !