Rien ne va plus avec votre coactionnaire ? Vous souhaitez que ce dernier quitte le navire ou vous menacez de le faire vous-même ? Malheureusement, sans convention entre actionnaires, vous risquez d’avoir beaucoup de difficulté à vous faire entendre…
« Lorsqu’ils se lancent en affaires, les nouveaux actionnaires associés dans un projet peuvent vouloir limiter les dépenses. Ils souhaitent économiser sur les frais légaux et ne font pas préparer de convention entre actionnaires, ou encore ils utilisent un formulaire trouvé sur Internet qui ne sera malheureusement pas adapté à leur situation », explique Me Pierre-Marc Mallette, associé principal chez Bernard & Brassard, avocats d’affaires. En cas d’impasse et si aucune convention n’a été prévue, vendre ou acheter des actions deviendra alors un processus complexe, car on ne peut pas forcer les actionnaires à le faire, sauf en cas de circonstances exceptionnelles. Le recours en liquidation judiciaire pourrait devenir la seule option, dernière extrémité jusqu’à laquelle on n’a pas nécessairement envie de se rendre.
Une société par actions est une personne morale dont le but est d’exploiter une entreprise afin de réaliser des profits. Ces derniers sont ensuite réinvestis dans l’entreprise ou distribués entre les actionnaires sous forme de dividendes. Il arrive toutefois que la bisbille naisse entre les actionnaires. Certains peuvent alors souhaiter récupérer leurs fonds, racheter les actions des autres ou encore modifier le mode de fonctionnement de la société. Une convention entre actionnaires a-t-elle été rédigée ? Si la réponse est non, vous n’êtes pas au bout de vos peines…
Faciliter l’achat et la vente
Les actions constituent un bien qui fait partie du patrimoine de l’actionnaire. Par conséquent, elles peuvent être vendues à la personne de son choix, léguées à ses héritiers ou même saisies par des créanciers. « C’est la raison pour laquelle, dans une PME, on peut se retrouver avec des coactionnaires avec qui l’on n’a pas nécessairement choisi de s’associer. Or, en cas de conflit, un actionnaire ne peut généralement pas en forcer un autre à lui vendre ses actions », souligne Me Mallette.
Une convention entre actionnaires peut toutefois prévoir des portes de sortie dans ces situations qui, autrement, débouchent sur une impasse. Par exemple, il est possible de prévoir des droits de premier refus en cas de ventes d’actions. « Si un actionnaire souhaite vendre, il doit d’abord offrir ses actions à son ou ses coactionnaires », explique Me Mallette. On peut aussi intégrer une clause de rachat forcé advenant certains événements : retraite, décès, faillite, contravention à la convention entre actionnaires, commission d’un acte criminel, etc., dans lesquels un actionnaire sera forcé de vendre ses actions à son ou ses coactionnaires. La convention peut également établir à l’avance la valeur qui sera accordée aux actions dans un contexte de rachat forcé, ainsi qu’en cas d’achat ou de vente.
Une clause d’achat-vente de type shotgun, quant à elle, peut permettre à un actionnaire de racheter les actions de son coactionnaire. Elle devra toutefois être rédigée et utilisée avec beaucoup d’attention pour ne pas devenir une arme à double tranchant.
Rééquilibrer les droits et les pouvoirs
L’actionnaire dispose de peu de pouvoir dans l’administration de la société. Il peut, entre autres, élire ou révoquer un administrateur, être informé une fois par an de l’administration de la société et nommer les vérificateurs de cette dernière lors de l’assemblée des actionnaires. « Il n’a aucune autorité sur les décisions administratives qui peuvent avoir un impact négatif sur la société, ou peut même n’en être informé que longtemps après, lors de la tenue de l’assemblée annuelle », mentionne Me Mallette. Il ajoute que bien qu’un actionnaire ait droit au partage des profits par le versement de dividendes déclarés, ce sont les administrateurs qui décident de déclarer ou non des dividendes.
Pour rééquilibrer les pouvoirs, une convention peut prévoir que certaines décisions importantes devront obtenir l’aval d’une majorité d’actionnaires, ou être prises à l’unanimité. Elle pourrait aussi assurer aux actionnaires l’obtention d’un poste d’administrateur, ou leur accorder un droit de veto. « Il est aussi possible de retirer certains pouvoirs aux administrateurs, par exemple en stipulant que seuls les actionnaires pourront autoriser un emprunt ou l’émission de dividendes », précise Me Mallette. Si l’actionnaire est minoritaire, la convention est donc une bonne façon de protéger ses droits. Sans cela, la seule possibilité est le recours en oppression devant les tribunaux, avec tous les aléas que cela comporte.
Protéger son entreprise et ses informations confidentielles
Contrairement aux administrateurs, les actionnaires n’ont pas le devoir d’agir dans l’intérêt de la société. « Leur seul devoir est de payer leurs actions et de respecter les engagements contractuels pris envers la société », indique Me Mallette. De ce fait, il ne leur est pas interdit de concurrencer l’entreprise, de solliciter des clients ni même de tenter de débaucher des employés. La convention aide toutefois à fixer des balises grâce aux clauses de non- concurrence, de non-sollicitation et de confidentialité, assorties de pénalités. « Ces dispositions sont rassurantes pour tout le monde, aussi bien les actionnaires majoritaires que les actionnaires minoritaires », soutient Me Mallette.
Prévenir les inégalités
C’est souvent la proportion d’actions détenues qui détermine les revenus que touchera chaque actionnaire lorsque des dividendes sont déclarés. Or, dans une société, il arrive que l’un des actionnaires considère son apport comme plus important que celui de son coactionnaire, sur le plan financier ou sur celui des efforts fournis. « Il n’est pas rare de voir émerger des frustrations et des conflits résultant de l’impression, à tort ou à raison, que le partenaire ne contribue pas suffisamment à l’essor et à la prospérité de la société, bien qu’il reçoive malgré tout sa part de profits », remarque Me Mallette.
Pour prévenir ce type de difficultés, il est possible d’intégrer dans la convention des clauses déterminant la répartition des tâches, le partage des revenus, l’apport que chacun devra fournir et les conséquences en cas de manquement. « Par exemple, la convention pourrait stipuler que les associés doivent effectuer au moins 30 heures de travail hebdomadaire dans l’entreprise. Cela pourrait même constituer une cause de rachat forcé des actions, à une valeur définie à l’avance en cas de contravention à un tel engagement » , note Me Mallette.
Le conseil de l’expert
Faire rédiger une convention par un spécialiste en droit des affaires permet de déterminer à l’avance les règles qui s’appliqueront aux parties. « Si un actionnaire ne la respecte pas, cela crée automatiquement une iniquité. La partie qui s’estime lésée peut donc se tourner vers les tribunaux pour forcer l’autre actionnaire à se plier aux clauses de la convention, ou même à demander le rachat forcé des actions en cas de manquement », explique Me Mallette. Une excellente protection qui assure la paix de l’esprit !
ENCADRÉ : Administrateur et actionnaire : des concepts à ne pas confondre
Il existe beaucoup de confusion entre les concepts d’actionnaire et d’administrateur. Il faut savoir qu’en l’absence d’une convention entre actionnaires, seul le conseil d’administration d’une société peut prendre les décisions au sein de celle-ci. Les actionnaires se bornent généralement à élire les administrateurs composant le conseil d’administration et à en nommer les vérificateurs. S’ils sont minoritaires, les actionnaires ne sont d’ailleurs même pas assurés de pouvoir faire partie du conseil d’administration. Inversement, certaines obligations incombent à l’administrateur, notamment l’obligation de loyauté envers l’entreprise ainsi que certaines obligations statutaires, et ce, contrairement aux actionnaires.
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