Depuis une dizaine d’années, la Chine rattrape à coup de grandes gorgées son retard tant au niveau de sa consommation de vin, que de sa connaissance des crus et de sa production. De là à s’imposer sur tous les plans ? Pas sûr.
Pékin, le 13 mai 2018. Des centaines de passionnés venus de toutes parts sont en passe d’achever la dégustation de plus de 9 000 crus dans le cadre du très renommé « Concours Mondial de Bruxelles ». Une sorte de championnat du monde de la dégustation de vin dont la première édition remonte à 1994. Chaque année, une ville est sélectionnée pour organiser ce concours de premier plan. Et si le fait que cette édition se soit déroulée à Pékin peut sembler surprenant, Baudouin Havaux, le président de la compétition, estime que tout ceci n’a, en réalité, rien d’étonnant.
Selon lui, la Chine constituerait aujourd’hui « le marché le plus dynamique au monde » en ce qui concerne la consommation de vin. Et les chiffres sont sans appel. Les Chinois se positionnent désormais au 5e rang mondial et boivent 1,46 milliard de litres de vin par an. Ils se hissent fièrement derrière les Américains, les Français, les Italiens et les Allemands.
Une très forte inclinaison que Fabrizio Bucella, professeur à l’université Libre de Bruxelles, spécialiste du vin et directeur de l’école de dégustation de vin Inter Wine & Dine, a également pu mesurer.
Consommer pour rayonner
Selon lui, il apparaît clairement que « les Chinois sont de très grands consommateurs de vin. Qui plus est, si l’on ne se concentre que sur le vin rouge, ils sont sûrement les premiers consommateurs mondiaux ». Une passion grandissante qui, d’après l’expert, pose la question du rapport que les consommateurs chinois entretiennent avec le vin.
« Le vin joue un rôle de marqueur social et culturel depuis des milliers d’années. Il multiplie les interactions entre les Hommes », analyse Fabrizio Bucella. Et pour cause… Nombreux sont les spécialistes du secteur à constater que les consommateurs chinois apprécient tout particulièrement le fait d’offrir du vin en cadeau afin d’afficher leur niveau d’éducation et de richesse.
« A cela, s’ajoute le fait que la Chine s’est récemment ouverte au monde. On a vu se développer une classe moyenne qui n’existait pas auparavant. Doucement mais sûrement, cette classe a pris de l’importance. Elle a commencé à s’intéresser au vin au point de vouloir elle-même créer ses vignobles ».
Ainsi, dans un marché mondial où la demande est nettement plus importante que l’offre, la Chine est donc bien décidée à tirer son épingle du jeu. « Elle ne veut plus dépendre des importations », concède Fabrizio Bucella. « Elle produit et cultive de manière à pouvoir alimenter son marché intérieur ».
Les grands crus attendront
A celles et ceux qui pensent que l’empire du Milieu aura beau atteindre des sommets tant au niveau de sa consommation que de sa production, il n’égalera jamais l’excellence hexagonale, le spécialiste du vin répond que « la Chine est aujourd’hui tout à fait capable de produire des vins de qualité. Ce n’est pas étonnant qu’elle ait été maintes fois récompensées et médaillées lors de la dernière édition du ‘Concours Mondial de Bruxelles’ ». Mais il tient à le préciser : « On parle ici de vins de consommation courante. Nous ne sommes pas non plus au ‘Jugement de Paris’ ».
A la question, « la France doit-elle s’inquiéter de l’essor du marché chinois sur ce segment ? », Fabrizio Bucella rétorque qu’il n’y aurait, au final, pas lieu de se tracasser. Du moins, pas tout de suite…
« Nous sommes dans un marché ouvert où la demande est forte. Or la France ne peut logiquement pas répondre à la totalité de cette demande. Il est clair que les facteurs de croissance pour le vin français ne vont pas fléchir », souligne-t-il.
« Il faut également garder à l’esprit le fait que la France a construit depuis l’entre-deux guerre un système d’appellations extrêmement qualitatif et ce savoir-faire ne s’appréhende pas en un jour. Ce d’autant plus que même si les Chinois avancent vite, ils ne peuvent rattraper 500 ans d’histoire en quelques décennies. Il y a là un prima que possède la France et que le monde entier reconnaît qui fait lorsqu’une clientèle est en quête de grands crus, elle se tourne inéluctablement du côté des vins français », précise-t-il.
Alors certes, « il y a fort à parier que la Chine atteindra très prochainement le trio de tête des producteurs de vin », estime Fabrizio Bucella. « De là à ce qu’elle se retrouve sur les étals des cavistes français, c’est une autre histoire ».
Avec bfm