Si vous avez déjà mis les pieds dans une ferme, vous avez peut-être remarqué comment la vache chasse la mouche, en fouettant de la queue. Les efforts de la vache ne menacent pas la vie de l’insecte. Et ce dernier ne risque pas plus de faire mal au ruminant, plutôt agacé par la petite chose bruyante qui lui tournoie autour du derrière.
C’est l’image qui me vient en tête quand j’observe la petite guéguerre dont vous n’avez sans doute pas entendu parler entre la communauté des «conseillers financiers» et le site Hardbacon, qui se veut une sorte d’intermédiaire entre les conseillers-robots et les épargnants. Hardbacon s’inscrit résolument dans la tendance DIY (do it yourself – fais-le toi-même), avec cet esprit frondeur qui caractérise les start-ups. Le site publie des textes pour encourager les gens à s’occuper eux-mêmes de leurs investissements, en promouvant notamment l’approche indicielle et les conseillers automatisés. Mais aussi, et c’est là l’objet du contentieux, en cassant à l’occasion du sucre sur le dos des «conseillers financiers» traditionnels, souvent pas de manière des plus subtiles.
Je prends une pause ici pour signaler que Hardbacon a été fondée par l’ancien collègue Julien Brault qui continue à entretenir chez nous un blogue sur ses péripéties d’entrepreneur et de fondateur de Hardbacon.
La plus récente attaque de Harbacon à l’endroit des conseillers a pour contexte la mise en application des nouvelles règles de transparence du MRCC2, dont je vous ai parlé il y a quelques mois. À compter de maintenant, lorsque vous consulterez vos états de compte, vous aurez une idée nettement plus précise des frais payés à votre conseiller pour la gestion de vos placements. C’est une excellente nouvelle pour les clients, moins pour les conseillers, dont la plupart sauront néanmoins s’adapter.
Dans un texte publié sur Hardbacon intitulé «Ce que votre conseiller devra vous révéler grâce à MRCC2», l’auteur explique ce qu’il en est, cite une source non identifiée pour souligner que ça ne va pas assez loin et conclut quelques lignes plus bas: «Nous pensons que les meilleurs 10% de tous les conseillers de l’industrie méritent leur rémunération.» On ne sait vraiment pas d’où provient ce chiffre, d’autant plus qu’on semble ici mettre dans le même panier les représentants en épargne collective, les conseillers en sécurité financière, les courtiers, les planificateurs financiers et même les gestionnaires de fonds communs de placement.
J’applaudis à l’idée que des nouveaux venus viennent brasser cette industrie qui compte encore quelques dinosaures. Je suis d’avis qu’un représentant d’épargne collective qui se contente d’appeller sa clientèle une fois par année pour lui rappeler la date d’échéance de contribution REER ne mérite pas son salaire. Je partage l’idée que les fonds indiciels négociés en bourse sont un bon véhicule de placement en raison de leur structure de frais avantageuse.
Mais comment peut-on balancer que seulement un conseiller sur 10 mérite sa rémunération? Je comprends le mécontentement suscité par cette affirmation. D’un autre côté, aussi péremptoire et baveux que puisse être Hardbacon dans sa défense de l’investissement indiciel et des conseillers-robots, il n’y a pas encore de quoi ébranler les murs du temple. Je me suis demandé pourquoi des membres de la profession réagissaient aussi vigoureusement aux publications d’un site artisanal au rayonnement limité. Pourquoi ne pas simplement l’ignorer.
Vous vous demanderez alors pourquoi je vous en parle, non ?
J’allais passer, jusqu’à ce que j’entende Isabelle Maréchal, hier, qui nourrit le même sentiment de suspicion à l’égard des conseillers financiers, avec cette touche démago qui laisse croire que les conseillers sont par défaut des incompétents, des profiteurs ou encore les deux à la fois. Tous ces spécimens existent, comme dans la plupart des professions. Mais le problème est que ce sont ceux-là qui marquent les esprits, tellement qu’on en vient à penser qu’ils sont tous pareils, du moins dans la tête de l’animatrice de radio.
Dans une portion de son émission de plus de 30 minutes dont le thème est «Où investir pour que ce soit payant», Isabelle Maréchal a donc pris soin, hier, d’avertir son auditoire de faire extrêmement attention avant de solliciter des conseils financiers.
Après avoir posé l’hypothèse que notre penchant pour les rénovations de cuisine venait de notre passé de colonisateur (défrichage = «gossage» de bois = «gossage» d’armoires = rénovation de cuisine), l’animatrice, en compagnie de deux experts, explorent pour ses auditeurs différentes façons de faire fructifier son argent. Un désaccord se dessine alors entre un de ses experts invités et un auditeur, puis Isabelle Maréchal de souligner que c’est bien compliqué tout ça, suggérant de confier son argent à un conseiller, pour enchaîner plus loin, comme si elle venait de commettre une gaffe: «Faites attention aux conseillers financiers! On a eu des histoires, on a eu des Vincent Lacroix au Québec, on a eu des histoires de toute sorte de monde là […]». Voilà, les conseillers sont «toute sorte de monde», tous des Vincent Lacroix en puissance, même si Lacroix n’était pas conseiller lui-même, mais plutôt gestionnaire de fonds.
Bref, tout ce discours suggère qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Dans mon appréciation de la situation, je ne peux malheureusement pas avancer un chiffre aussi précis que la statistique de Hardbacon sur ceux qui méritent leur paie. Mais de manière générale, laissez-moi exprimer un petit doute.
Avec lesaffaires