Quand des frères et sœurs sont sur la même longueur d’onde, quand ils s’inspirent des besoins des consommateurs et du déficit de certains services, cela peut donner naissance à des PME à l’avenir prometteur.
Louis Farell Mankou : directeur général du groupe Charden Farell
On a pris l’habitude de l’appeler Charden Farell, du nom de la société qu’il dirige. En fait, il se nomme Louis Farell Mankou et doit sa notoriété à la place qu’occupe désormais son entreprise sur le créneau du transfert d’argent et de la microfinance, avec plus de 600 employés et environ 80 agences implantées dans tout le Congo.
Né dans le commerce
Avant de présider aux destinées de Charden Farell, Louis Mankou avait déjà fait ses preuves. Dans le commerce surtout. Et pour cause. « Je suis né dedans, explique-t-il. Mon père était l’un des plus grands commerçants de Mouyondzi [ville de la Bouenza, dans le sud du pays]. Pendant les vacances scolaires, je passais mon temps dans sa boutique et j’y ai appris les ficelles du métier. Même durant mes études secondaires et supérieures, j’ai toujours fait du commerce avec mes frères et sœurs. J’ai même eu un petit taxi ! »
Né en 1965 dans le village de Mouandi, où il passe les dix premières années de sa vie, Louis Farell Mankou a en effet grandi à Mouyondzi, chef-lieu du district du même nom et ville célèbre pour l’esprit d’entreprise de sa population, au point qu’on la surnomme MTR (« Mouyondzi travaille et ravitaille »).
Il part faire ses études secondaires à Brazzaville, où il intègre ensuite l’université Marien-Ngouabi, dont il sort en 1989 avec un diplôme d’études supérieures (DES) en sciences économiques. « J’aurais préféré faire gestion, mais j’ai été orienté vers l’économie dès le lycée », regrette-t-il.
Soutien familial
Louis Mankou fait ses premiers pas dans la vie active en ouvrant un bar et une boutique à Mouyondzi, puis trois parfumeries à Dolisie (chef-lieu du département voisin du Niari), avec ses frères et sœurs, qui l’accompagneront dans toutes ses entreprises. Et avec le soutien financier et spirituel de sa sœur aînée – « Maman Céli », de son vrai nom Célestine Bibanzilha, « notre maman à tous ! » clame-t-il –, sa précieuse et indéfectible conseillère, sans laquelle il n’entreprend rien.
En 1999, à la suite de la crise sociopolitique, Louis Farell Mankou se replie sur Pointe-Noire, où, toujours en famille, il ouvre un dépôt de boissons. Puis un deuxième, puis un troisième. De 2002 à 2007, il sera le distributeur numéro un des produits Brasco (Brasseries du Congo) dans la cité océane.
C’est en 2003 que la fratrie se penche sérieusement sur l’idée de créer un établissement de microfinance. « Nous faisions du transfert d’argent pour aider la famille et les amis. Et puis nous nous sommes dit qu’il serait peut-être intéressant d’en faire une activité formelle. La situation politique était plus calme, et, grâce aux dépôts de boissons, nous disposions d’un capital », se souvient l’entrepreneur.
Après plusieurs réunions avec « Maman Céli » et leur frère Jean-Paul Kiouari (actuel directeur général adjoint du groupe) pour étudier le marché, Louis Farell Mankou crée Charden Farell (associant le prénom de son frère aîné, Charden, et le sien) et lance ses opérations le 13 août 2003. Jusqu’à présent l’entreprise s’est concentrée sur le transfert d’argent, un métier qu’elle maîtrise désormais parfaitement. L’activité de microfinance est restée marginale et se limite à la partie sud du pays, mais le chef d’entreprise envisage de « développer davantage le volet épargne et crédit ».
En commerçants avertis, les frères et sœurs n’ont jamais mis tous leurs œufs dans le même panier. Outre son dépôt de boissons, quelques caves (vente d’alcools et de vins importés) et une école privée à Pointe-Noire, Charden Farell a ouvert un hôtel à Madingou, dans la Bouenza. Enfin, « parce que l’agriculture, c’est l’avenir du Congo », le groupe compte créer prochainement une ferme à Hinda, dans le Kouilou, à 30 km au nord-est de Pointe-Noire.
Lynelle Mbobi, Directrice générale d’Assistance, dépannage, remorquage automobile (Adra)
Tout est parti d’un incident. En vacances au Congo en 2009, Lynelle Mbobi et sa sœur Sabrina se font arrêter par un agent de la circulation. Motif invoqué (et inventé) : « Votre voiture n’a pas de feux de croisement, il faut que vous la conduisiez à la fourrière. »
Plutôt que d’effectuer le trajet, les sœurs proposent de faire enlever la voiture pour la transporter jusqu’au fameux dépôt. « Mais il n’y a pas de dépanneuse au Congo ! » leur rétorque le policier.
De cette découverte germe l’idée de créer un service de dépannage. Ancienne responsable d’équipe chez l’assureur Axa, en France, Lynelle Mbobi se souvient : « Ma sœur et moi avions acquis chez Axa un savoir-faire dans l’intervention d’urgence et l’assistance aux assurés. On nous appelait du monde entier pour tout type de problème, il fallait rassurer les clients, gérer les dossiers et connaître les procédures de chaque pays. Nous avions aussi géré des cellules de crise avec le ministère français des Affaires étrangères. »
Trio
Il faudra deux ans aux sœurs, rejointes par Ysée Dappe, agent de maîtrise chez Axa, pour monter le projet et quitter la France pour s’installer au Congo. « Une fois le matériel acheté, la société créée et les bureaux loués, nous avons démarré notre activité à Brazzaville en 2011 », raconte la directrice générale.
Pour sa première intervention, la dépanneuse d’Assistance, dépannage, remorquage automobile (Adra) est appelée en plein centre-ville. C’est un véritable spectacle. Tout le monde commente la scène, croyant qu’il y a eu un accident, les taxis s’arrêtent pour contempler la dépanneuse…
« Pour faire connaître notre service, nous sommes allées dans tous les garages, dans les casses automobiles de la capitale, nous avons contacté les assureurs, et le bouche-à-oreille a bien fonctionné », explique Lynelle Mbobi.
La société a même établi un partenariat avec les Assurances générales du Congo, qui proposent désormais un contrat d’assistance en complément de leur assurance automobile. En 2013, Adra a ouvert un bureau à Pointe-Noire et, aujourd’hui, avec quatre dépanneuses et cinq chauffeurs, la PME assure des interventions vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept dans tout le territoire.
Le volume d’activités est régulier. Un succès pour le trio féminin, qui continue de se démener pour développer l’entreprise. Pas toujours facile dans un secteur prétendument masculin. « Il a fallu former les chauffeurs et s’imposer auprès d’eux, reconnaît Lynelle Mbobi. Et nous savons qu’il nous faut plus que les autres être crédibles, en tant que femmes et en tant que représentantes de la diaspora de retour au pays. »
Avec jeuneAfrique