Aujourd’hui, tout le monde dit favoriser du développement durable. L’élastique est assez souple : même les pétrolières s’en réclament. On a donc l’impression d’en faire beaucoup, mais est-ce vraiment le cas ? », demande Philippe Terrier, maître d’enseignement et codirecteur du laboratoire d’ingénierie pour le développement durable de l’ÉTS.
À son avis, beaucoup de projets dits «de développement durable» sont en réalité plutôt conventionnels, car dans ce domaine comme dans d’autres, il existe différentes écoles de pensée : certaines mettent de l’avant une durabilité plus faible, et d’autres, une durabilité plus grande.
« Le développement durable concerne trois préoccupations : l’économie, l’environnement et le social. Bien souvent, on est prêt à favoriser l’économie aux dépens du social et de l’environnement », dit M. Terrier. Sa vision du développement durable est plutôt d’assurer un développement social au moyen de l’économie tout en respectant les limites imposées par l’environnement.
Un exemple de projet qui, selon lui, s’approche davantage de ce que devrait être le développement durable ? Dans le cadre d’une collaboration réalisée avec Oxfam Québec, son laboratoire, le LIDD, a créé une presse à huile de Moringa. Le but : contribuer au développement social en Haïti, c’est-à-dire ultimement non pas de générer des profits, mais plutôt d’aider les gens à envoyer leurs enfants à l’école, par exemple. « On s’assure que notre machine n’aura pas d’impacts sociaux ou environnementaux négatifs, dit M. Terrier. On ne développerait pas une machine qui se sert de matières dangereuses parce qu’on se doute bien qu’elles vont finir dans les égouts. »
Le rôle de l’ingénieur au sein de l’industrie
Quel devrait être le rôle des ingénieurs dans la mise de l’avant d’un véritable développement durable ?
Si M. Terrier admet que les ingénieurs sont souvent contraints à répondre aux demandes de l’industrie, il note cependant que ce sont eux qui ont les compétences pour trouver des solutions.
Selon lui, « les ingénieurs comprennent et peuvent proposer de nouvelles pratiques, comme des analyses de cycle de vie, mais s’ils travaillent dans le système industriel existant, ils sont souvent plus des exécutants que des décideurs ».
Les ingénieurs devraient donc, à son avis, prendre davantage la parole dans les débats sociaux. « Ils sont avant tout des citoyens. C’est donc leur responsabilité de s’impliquer. Mais beaucoup d’entre eux restent en retrait. C’est dommage, parce qu’ils ont beaucoup de connaissances qui pourraient répondre aux problèmes actuels. »
Les choses commencent à changer
Les ingénieurs ont souvent le réflexe de se préoccuper des aspects techniques d’un projet et de laisser aux autres les questions comme celles du développement durable, note Olivier Riffon, professeur en écoconseil à l’Université du Québec à Chicoutimi et spécialisé, entre autres, en intégration des outils et des principes de développement durable dans les organisations et les projets. Les choses commencent toutefois à changer. « Quand j’ai obtenu mon diplôme en 2002, ces notions n’étaient même pas enseignées, dit-il. Aujourd’hui, les programmes évoluent, tout comme l’intérêt et la sensibilité des gens pour les questions environnementales. »
En ce qui a trait aux projets d’ingénierie comme tels, M. Riffon note que les plus grands d’entre eux sont par la loi soumis à des études d’impact. Mais en ce qui a trait aux projets de moindre envergure, il reste à son avis du travail à faire.
« Les questions de développement durable doivent être intégrées davantage dans les petits projets parce qu’il n’y a pas de contraintes réglementaires qui l’obligent, dit-il. Oui, certaines lois protègent l’environnement, mais nous oublions souvent les consultations publiques. »
Un exemple de projet bien réalisé
M. Riffon mentionne celui de la minicentrale hydroélectrique de Val-Jalbert, où les enjeux étaient de nature économique, mais aussi environnementale, culturelle et sociale. « Il y avait un gros problème d’acceptabilité », dit-il. Les opposants au projet estimaient notamment que la beauté naturelle du site, ayant une valeur historique, serait faussée, et que les poissons seraient mis en danger.
Des consultations ont cependant été tenues, et les ingénieurs ont également été impliqués dans le projet. « Certains disaient au départ que ce n’était pas leur rôle de se pencher sur ces enjeux-là, mais ils ont changé leur fusil d’épaule en cours de route et ont embrassé le rôle qu’ils avaient à jouer », explique M. Riffon.
Au final, la collaboration entre les différents intervenants, incluant les ingénieurs, a permis de trouver des solutions adéquates. Pour conserver la beauté du site, la centrale a par exemple été partiellement enfouie alors qu’un débit esthétique a été maintenu. Un débit suffisant pour protéger la ouananiche a également été déterminé, raconte M. Riffon. « Je crois que c’est un exemple de travail bien fait. »
avec : lesaffaires