Elu du personnel, délégué syndical ou simple militant, il joue parfois les empêcheurs de manager en rond. Au lieu de le prendre de front, essayez de vous en faire un allié.
Déjà surpris d’apprendre qu’un membre de son équipe visionnait des films X sur son lieu de travail, Paul, responsable des méthodes après-vente au siège d’un constructeur automobile, a bien failli tomber de sa chaise quand on lui a signifié que c’était peut-être aussi un peu sa faute! «La direction des ressources humaines avait remarqué des téléchargements suspects et elle m’a convoqué», raconte-t-il. Ce qu’il a alors entendu le met encore aujourd’hui dans une colère noire: «Une personne de mon service, que je connaissais depuis dix ans et avec qui j’avais toujours eu de bonnes relations, venait d’être élue représentante du personnel. Et elle est allée raconter que si le salarié avait visionné du porno sur son écran, c’était parce que je ne lui avais pas donné assez de travail!»
Avoir un syndicaliste dans son équipe n’est pas de tout repos, notamment s’il est doté d’un mandat représentatif. Statut protégé, heures de délégation, tendance à confondre parfois le manager avec le dirigeant et à le prendre en grippe… Si chacun n’y met pas du sien, la situation peut vite déraper.
Gagnant-gagnant. «Pourtant, les enjeux d’un bon dialogue social sont réels, explique Sylvain Niel, avocat associé au cabinet Fidal. Si on compare une entreprise où le dialogue social fonctionne (une dizaine d’accords sont signés chaque année sur la flexibilité, les seniors, l’égalité professionnelle, etc.) à une entreprise où il est bloqué, le chiffre d’affaires par salarié sera supérieur de 10 à 20% dans la première.»
Pas de privilèges. Au sein des équipes, cette vision idyllique fait place à des réalités plus contrastées. «Lorsque je suis devenu chef du pôle édition dans une agence de publicité, à Lyon, se souvient Henri, 37 ans, j’ai hérité d’un collaborateur avec un mandat de délégué du personnel. Comme il ne se montrait pas virulent, il était dans les petits papiers de la direction. Ses collègues aussi l’aimaient bien: il avait contribué à améliorer la liste des prestations financées par le comité d’entreprise. Le perdant dans l’affaire, c’était moi, car il utilisait son temps de travail pour développer une activité perso fort lucrative. Et comme il était protégé par le code du travail, personne ne lui disait rien. Je devais appeler des free lances en renfort pour livrer les projets à temps, mes objectifs trimestriels de rentabilité n’étaient jamais atteints.» Le grand regret d’Henri: ne pas avoir pris le délégué entre quatre yeux pour lui rappeler que son droit à des horaires aménagés ne le dispensait pas de consacrer l’essentiel de son temps à son job à l’agence.
Recadrez-le. Parfois, ce sont les réunions de service qui sont transformées en tribune où l’on harangue les collègues comme dans un meeting ou une assemblée générale, sous le nez du manager… «Au cours des réunions de présentation du chiffre d’affaires, un de mes collaborateurs syndiqués reprenait mot pour mot le discours de son organisation pour marteler que le personnel était sous pression et harcelé», témoigne Jeanne, responsable marketing d’un centre d’appels. Plusieurs fois, elle lui a répété en tête à tête qu’il n’avait pas à s’exprimer en tant que syndicaliste pendant ces réunions de travail. Peine perdue. «Un jour, j’ai craqué. Je lui ai coupé la parole devant tout le monde et j’ai abondé dans son sens: «Oui, c’est grave ce que tu racontes. D’ailleurs, je vais de ce pas à la DRH pour les alerter. Mais dis-moi d’abord: qui, dans mon équipe, est harcelé? Et quel rapport y a-t-il entre ce que tu dis et le sujet de notre réunion?» En montrant à tous que ses propos étaient déconnectés de la réalité de notre travail, j’ai prouvé qu’il ne jouait pas le jeu. Ca l’a calmé.» Partenaire précieux. Il reste que le militant syndical donne souvent des informations utiles et qu’il peut être apprécié par le reste de l’équipe.
Dans ce cas, il est naturel de vous en réjouir et de le mettre en avant. Cela rejaillira sur vous: on a les représentants que l’on mérite. Il peut même se révéler un aiguillon précieux dans votre management. «Mon supérieur ne voyait pas qu’un de ses collaborateurs, dépassé par sa charge de travail, était sur le point de craquer, raconte Robert, délégué syndical CFTC chez un équipementier automobile. J’ai discuté trois heures avec lui et obtenu qu’il répartisse mieux les dossiers au sein du service pour alléger la tâche de cette personne. D’abord, il a pris cela pour une intrusion. Puis il a fini par admettre que j’avais désamorcé une situation qui allait lui retomber dessus.»
Il arrive même que le représentant du personnel devienne un allié objectif du manager: dans une enseigne de bricolage, le directeur d’un magasin avait un problème avec sa direction générale, qui refusait de financer le remplacement d’un monte-charge défectueux et potentiellement dangereux. Les travaux, estimés à 500 000 euros, étaient trop chers selon elle. Au lieu de lui écrire pour la mettre face à ses responsabilités, ce qui aurait forcément refroidi leurs relations, le directeur a habilement décidé d’attirer l’attention d’un élu du personnel sur la gravité du problème. Bien sûr, le sujet a été évoqué dès la première réunion du CHSCT. Et le monte-charge a bien été changé…
Et l’évaluation annuelle ?
Qu’elle soit positive ou négative, vous ne devez jamais faire sentir à un collaborateur l’appréciation que vous portez sur son engagement et son mandat syndical. C’est uniquement son travail, hors temps de délégation, qui est évalué lors de l’entretien annuel. S’il évoque des problématiques générales, du type «On n’a pas les moyens suffisants pour travailler», vous pouvez couper court: il est évalué sur les mêmes bases que l’ensemble de l’équipe.
Avec hbrfrance