Les habitants de Tver disent que leur ville souffre de la malchance d’être coincée entre Moscou et Saint-Pétersbourg, car les opportunités que présentent ces grandes villes aspirent toute la population la plus éduquée et la plus talentueuse. « Tout ce qu’ils laissent à Tver, c’est de la m***e », s’exclame un conducteur de taxi local.
Une vision plutôt pessimiste donc, mais autant être clair d’emblée : ici l’on n’aime pas les Moscovites. D’ailleurs les habitants de Tver ont toujours considéré que leur ville aurait dû être la vraie capitale. Mais, conséquence de nombreuses années de guerre avec les princes de Moscou, Tver fut plusieurs fois occupée, pillée et réduite en cendres.
Malheureusement, exceptés le vieux kremlin et quelques églises médiévales, il ne reste plus grand chose à voir aujourd’hui. Néanmoins, lors de votre promenade à travers la ville, vous vous rendrez compte qu’elle a prospéré et prospère toujours, grâce à son positionnement stratégique entre les deux principales villes du pays. De fait, de nombreux architectes réputés ont parfois travaillé à Tver, avant d’être impliqués dans de plus grands projets à Moscou ou Saint-Pétersbourg.
Jour 1: Balade à travers l’histoire russe
Pour apprécier les meilleures vues, empruntez le chemin le long des berges de la Volga, qui prend sa source non loin de Tver. En hiver, vous pourrez traverser la rivière gelée, à pied ou en skis.
Une fois sur la rue Stepan Razine, vous apercevrez un long défilé de vieilles et jolies maisons de marchands. De nombreuses équipes de tournage désirant représenter l’ancien Moscou décident en fait de filmer à cet endroit. Sur l’autre rive, vous pourrez contempler le couvent Sainte-Catherine et ses vives couleurs blanches, bleues et vertes. Rendez-vous-y si vous souhaitez vous plonger dans l’univers silencieux des églises russes.
À l’emplacement où le port de Tver attend aujourd’hui d’être démoli, se tenait autrefois le plus vieux monastère de la région. Les archives racontent qu’il fut érigé en 1206, mais que Staline le fit démolir. Seule la petite église de la Dormition survécut. Puis, en 1938, un port fluvial fut construit, dans le style monumental néo-classique cher au Père des peuples, connu sous le nom de « style impérial stalinien ».
Cependant, les architectes avaient mal étudié l’instabilité des sols profonds, une erreur qui devint flagrante durant l’été 2017, quand une partie de l’édifice s’écroula.
Ponts européens et cinéma «asiatique»
Quelques centaines de mètres en contrebas du fleuve se trouve le soi-disant « nouveau » pont de pierre, qui se trouve en fait être en partie un don de Saint-Pétersbourg. En 1956, lorsque le gouvernement municipal de cette dernière entama la rénovation de son plus vieux pont, certaines de ses parties furent envoyées à Kalinine – le nom que portait Tver entre 1931 et 1990. À présent, les habitants sont plutôt fiers de leur « pont pétersbourgeois ».
Un autre pont sur la Volga possède une histoire liée à l’Europe : il est une réplique du célèbre pont métallique de Budapest, capitale de la Hongrie. En se tenant dessus, on ne peut d’ailleurs vraiment dire avec certitude si l’on est au-dessus du Danube ou de la Volga.
Entre les deux ponts se tient le centre culturel de Tver, qui attire l’œil. Le cinéma Zvezda (« L’Étoile ») fut construit en 1937 selon le style constructiviste de l’époque. Mais selon la légende locale, les architectes auraient confondu deux projets et ce bâtiment aurait en fait dû être construit dans la capitale de l’Ouzbékistan, Samarcande. Pour autant, il est probable que cela soit juste la manière dont les habitants tentent de rationaliser la présence d’une architecture aussi inhabituelle dans leur région.
Ils ont voyagé à Tver: Pouchkine, Nikitine et Catherine II
Monument à Alexandre Pouchkine
Peggy Lohse
Après avoir fait un tour dans le parc de la ville, vous retomberez sur le fleuve, où Alexandre Pouchkine vous attendra. Il s’est souvent rendu dans la région. Sur l’autre berge vous serez accueilli par Athanase Nikitine – un voyageur né et ayant grandi à Tver avant de parcourir les « trois océans » jusqu’en Inde, mais qui n’en revint malheureusement jamais.
Une des plus belles vues de Tver est sans doute la place Catherine II, récemment rénovée. Le complexe palatial ainsi que son parc, récemment victimes de la révolution puis de la guerre, furent reconstruits à l’aide de documents et photographies historiques. Au XVIIIe siècle, le palais fut bâti pour accueillir Catherine II lorsque, durant ses nombreux voyages entre les deux capitales, elle séjournait à Tver.
Le musée d’art local vaut aussi le coup d’œil. Des anciennes reliques russes aux classiques Chichkine, Aïvazovski et Répine, en passant par des porcelaines de propagande soviétique, vous pourrez y trouver des pièces symboliques de chaque période de l’art russe.
Zones piétonnes pour faims et soifs
Afin de conclure votre premier jour à Tver, deux zones piétonnes vous attendent avec leurs cafés, restaurants et bars : Triokhsviatskaïa et Radichtcheva. Bien qu’elle paraisse petite et provinciale, la ville possède une culture gastronomique bien développée. Vous pourrez y trouver un restaurant italien, avec du fromage « italien » fait en Russie, juste à côté de grands classiques de la cuisine locale, le tout sur une agréable terrasse abritée, ou encore un café fraîchement préparé et des pâtisseries faites maison.
Jour 2: À travers les merveilles de la campagne russe
Lors de votre deuxième jour, vous aurez l’occasion de sortir de la ville et de vous plonger dans la pure et sereine vie campagnarde.
1. Staritsa, ville pittoresque et spirituelle
En vous tenant au milieu du pont central de Staritsa (à environ 65km au nord-est de Tver), vous ne pourrez vous sentir que transporté : ici la Volga se jette sous vos pieds, et vous êtes entourés des collines de trois monastères, comportant une douzaine de vieilles églises russes. Où se sentir vraiment Russe sinon en ce lieu ?
Staritsa fut fondée au XIIIe siècle en tant que forteresse fluviale, mais le vieux kremlin n’a pas survécu à son rôle de frontière entre des principautés en guerre. Plus tard, la ville devint le centre spirituel des régions de Tver et de Moscou. Le monastère de la Dormition, fondé au XVIe siècle, est le plus populaire et célèbre du coin.
Au cas où il vous resterait du temps, vous pouvez aussi visiter la maison de campagne de la famille Osip-Wulf, à Bernovo, où Pouchkine avait l’habitude de séjourner avec ses amis et ses admirateurs. En plus du petit musée local et du parc avoisinant, vous pourrez profiter d’une balade à travers un authentique village russe, et vous sentir l’âme d’un poète.
2. Torjok, une histoire d’or
La jolie ville de Torjok (60km à l’Ouest de Tver) est située sur la rivière Tvertsa, et son emplacement avantageux y a favorisé le commerce. Tout comme Tver, Torjok est coincée entre Moscou et Saint-Pétersbourg. En 1478, elle fut annexée par le souverain moscovite Ivan III (dit le Grand). Après la fondation de Saint-Pétersbourg en 1703, la ville devint un nœud important sur la route des marchandises transitant vers la nouvelle capitale impériale.
La route postale entre Moscou et Saint-Pétersbourg apportait aussi un flux assez stable de visiteurs célèbres à travers Torjok. Au XVIIIe siècle, ceux-ci incluaient la Grande Catherine et sa cour, tandis qu’au XIXe, c’étaient les écrivains Pouchkine, Gogol, Tourgueniev et Tolstoï qui s’y rendaient. Comme beaucoup d’autres villes de province, Torjok a grandement été rebâtie à la fin du XVIIIe siècle.
De nombreux riverains aisés ont reconstruit leurs maisons conformément au style néoclassique, vous pourrez vous en rendre compte en jetant un œil aux berges récemment rénovées. Torjok possède deux principaux lieux à visiter : le monastère des Saints-Boris-et-Gleb, et le musée de l’usine de broderie d’or.
3. Kimry, l’Art Nouveau de bois
S’il est possible de visiter Staritsa et Torjok dans une même journée (si toutefois vous vous levez assez tôt), la petite ville de Kimry (100km à l’est de Tver) est, elle, située dans la direction opposée. Bien que cela requiert un jour à part, si vous êtes amateur d’architecture et d’histoire, vous devriez absolument vous y rendre.
Bien que la première mention de Kimry remonte à une charte d’Ivan le Terrible en 1546, ce ne fut qu’en 1917 qu’elle fut officiellement élevée au rang de ville. Comme nombre de cités situées entre les deux capitales, Kimry était un nœud d’échanges, et était particulièrement réputée pour la production de bottes en cuir, qui furent même envoyées à l’Exposition niverselle de Londres en 1862. Aujourd’hui, il est possible de voir ces chaussures et bottes élégantes et pratiques dans le musée local.
Les sites les plus populaires de Kimry sont les magnifiques et exceptionnels manoirs style Art Nouveau, entièrement faits de bois – les seuls chalets de ce type en Russie.
Comment s’y rendre?
Depuis Moscou, vous pouvez prendre les confortables trains inter-cités Lastotchka (environ toutes les heures, les billets pouvant être achetés sans passeport), depuis la gare de Leningrad. Il existe aussi certains trains à grande vitesse : le Sapsan fait un arrêt à Tver ; de même que tous les longs trains pour Saint-Pétersbourg. Bien sûr, des bus et minibus existent aussi, mais ils restent souvent coincés dans les embouteillages aux abords de Moscou. Depuis Saint-Pétersbourg, prenez n’importe quel train longue distance vers Moscou, mais certains trains à grande vitesse, tel le Sapsan, s’y arrêtent aussi. Dans Tver et ses environs vous pouvez : a) prendre un taxi bon marché, ou b) les transports en commun (minibus, tram, trolleybus ou bus normaux). Les minibus se rendant dans les villes avoisinantes se prennent en face de la gare ferroviaire.
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