Tandis que le monde entier avait les yeux tournés vers la Grèce, la Chine était victime d’une crise boursière d’une extrême gravité.
Hypnotisé par le feuilleton grec, le reste du monde n’a pas pris la mesure de l’énormité du krach boursier chinois, qui aura duré un mois et écorné la réputation de grand maître de l’économie du président Xi Jinping. Comme tout ce qui se passe en Chine, les bêtises qui l’ont provoqué et le sauvetage qu’il a nécessité ont été d’une ampleur sans précédent : 3 000 milliards de dollars (2 750 milliards d’euros) ont été perdus à la Bourse de Shanghai et à celle de Shenzhen entre le 12 juin et le 8 juillet du fait de l’effondrement des cours des entreprises cotées. Soit près de neuf fois le montant de la dette grecque, qui a provoqué tant de crises de nerfs chez les Européens ! Retour en arrière.
Campagne de promotion de la Bourse en 2014 : « Enrichissez-vous! »
En 2014, le pouvoir s’efforce de dégonfler la bulle immobilière et d’orienter vers la Bourse l’argent des épargnants-spéculateurs de la classe moyenne. Il pense ainsi faire coup double, voire triple. En plus de l’assagissement des prix de l’immobilier, il espère provoquer un enrichissement général qui corrigera l’absence d’un système de retraite et occultera le ralentissement de la croissance, perceptible en dépit de divers tripatouillages des statistiques macroéconomiques.
À peine créées, des entreprises valent déjà des fortunes. Comme aux États-Unis en 2000, une « bulle » est à l’évidence en train de se constituer
Le Parti communiste – mais oui ! – et les médias officiels engagent alors une campagne de promotion de la Bourse. On fait miroiter aux spéculateurs potentiels les gains qu’elle est censée leur procurer. Comme le suggérait jadis François Guizot (1787-1874) aux Français : « Enrichissez-vous ! » Quatre-vingt-dix millions de naïfs se laissent prendre au piège et se ruent sur les actions des entreprises. Les indices progressent de 150 % en un an. Il est vrai que les sociétés de Bourse sont autorisées à accorder des crédits aux audacieux qui veulent accélérer leurs gains en investissant un argent qu’ils ne possèdent pas. Les sommes empruntées par les apprentis boursiers passent de 65 milliards d’euros en juillet 2014 à 350 milliards début juillet 2015.
Une bulle au printemps
À peine créées, des entreprises valent déjà des fortunes. Comme aux États-Unis en 2000, une « bulle » est à l’évidence en train de se constituer. Au printemps, les autorités s’en effraient et tentent d’encadrer cet emballement. Mais ce coup de frein oblige des emprunteurs à vendre leurs actions pour rembourser leurs créanciers. Patatras ! La boule de neige repart alors dans l’autre sens. Les petits spéculateurs chinois, qui n’ont aucune culture boursière, paniquent et vendent au plus mauvais moment. Ce qui entraîne un nouveau recul du cours des actions, et bientôt de nouvelles ventes. Il n’existe pas en Chine d’institutions stabilisatrices (assurances, fonds de pension, banques ou caisses de retraite) qui puissent les aider à laisser passer l’orage, à garder leur sang-froid et, accessoirement, à conserver leur portefeuille.
L’indice de Shanghai part en vrille : 5 100 points début juin, 3 500 le 8 juillet. Les petits porteurs s’arrachent les cheveux devant l’évanouissement de leur capital. Sur les réseaux sociaux, la colère gronde. La panique gagne alors d’autres places asiatiques : Hong Kong, Tokyo… Et les matières premières piquent du nez : elles servent souvent de garanties aux emprunts spéculatifs sur le marché des actions et sont vendues massivement pour régler les pertes en Bourse. Et comme les Chinois spéculent aussi sur les matières premières (lire encadré ci-dessous), c’est tout l’édifice politico-économico-social qui se trouve soudain menacé.
Le bâton brandi par le pouvoir : interdiction de vendre ses actions
C’est le branle-bas de combat ! En deux semaines, le pouvoir met en place un formidable dispositif pour que le bon peuple continue de croire au « marché boursier haussier de tonton Xi » (en chinois dans le texte : « Xi dada niu shi »). Pas question que la baisse du pouvoir d’achat de la classe moyenne provoque un effondrement de la consommation, comme semble l’annoncer le net recul des ventes de voitures.
Pour faire remonter les cours, une agence d’Etat met 450 milliards d’euros sur la table
Le bâton est brandi : interdiction est faite aux maisons de courtage et aux chefs d’entreprise de vendre leurs actions pendant six mois. En tout cas, tant que la Bourse de Shanghai n’est pas revenue à 4 500 points. Des enquêtes sont diligentées, pour l’exemple, contre une dizaine d’investisseurs qui avaient « malicieusement » parié sur la baisse des cours.
Mais aussi la carotte : l’agence d’État China Securities Finance Corporation (CSF) ordonne aux courtiers, aux banquiers et aux grandes entreprises publiques de lui confier des fonds qui, s’ajoutant aux milliers de milliards de yuans en provenance de la Banque de Chine, lui permettent de mettre sur la table l’équivalent de 450 milliards d’euros. Objectif : acheter suffisamment d’actions pour faire remonter les cours. À titre indicatif, 450 milliards d’euros, c’est presque le montant du plan de soutien mis en place par Pékin pour surmonter la crise mondiale de 2008-2009…
Un krach qui laisse des traces
Ce tir d’artillerie – très – lourde stoppe net la dégringolade. Les actions des entreprises publiques (pourtant généralement mal gérées) sont les premières à sonner la reprise : 4 000 points à Shanghai le 22 juillet (+ 14 % en deux semaines). Commentaire répété à l’envi dans les sociétés de courtage et les banques chinoises : « Le Parti n’avait aucun intérêt à ce que la Bourse s’effondre. » Mission accomplie.
Sauf que ce krach laissera des traces. Le président Xi, qui est aussi le premier secrétaire du PC chinois, avait promis de laisser le marché jouer un plus grand rôle dans la vie économique du pays. Or, au premier coup de tabac boursier, il a enrayé les mécanismes d’assainissement et s’est rallié au dirigisme le plus classique. Il risque ainsi de faire croire à ses concitoyens qu’ils peuvent continuer de spéculer à tort et à travers. Quelle importance puisque « oncle Xi » veille au grain ? Décidément, la Chine a encore des progrès à faire en matière de capitalisme. Comment faire pour que son État cesse d’être considéré comme un danger public par les acteurs économiques du monde entier ?
L’ENFER DU JEU
Les Chinois ont toujours été des joueurs invétérés. Dans tous les domaines, y compris les plus saugrenus. En 2009, de nombreux éleveurs de porcs, de poulets ou de canards avaient obtenu des prêts bancaires pour agrandir leurs exploitations. Un investissement normal : les Chinois s’enrichissent, et leurs habitudes alimentaires changent au profit de la viande, dont la demande explose.
Ce qui l’est moins, c’est que certains éleveurs ont utilisé cette manne pour spéculer sur les métaux, dont les cours s’envolaient sous l’effet de la reprise mondiale. Les plus éduqués et les plus riches se sont empressés d’acheter des montagnes de cuivre, d’étain et de plomb entreposés dans les hangars du port de Shanghai, contribuant ainsi à la hausse des cours. Les plus frustes ont stocké à leur domicile des tonnes de métal. Le Wall Street Journal a par exemple déniché un éleveur de porcs du Guangdong (Sud-Est) qui empilait les lingots de cuivre dans sa chambre à coucher. Il faut dire que la revente desdits lingots était à l’époque beaucoup plus profitable que celle de la viande préférée des Chinois !
Ce n’était pas un « bas de laine » à la française, censé enrichir son propriétaire en dormant, mais une sorte de casino où les petits malins se sont brûlé les doigts : ils ont omis de vendre leurs stocks de métal avant la dégringolade des cours des matières premières, pourtant provoquée, à partir de 2013, par… le ralentissement de la croissance chinoise.
Avec Jeune Afrique