Histoire d’une des premières et (très) discrètes opérations d’espionnage et d’influence chinoises en Afrique… bien avant qu’on ne découvre officiellement la Chinafrique. Récit inédit de Nicolas Courtin, ancien agent contractuel du Service de coopération technique internationale de police (SCTIP, actuel DCI) auprès de l’ambassade de France à Pékin (2004-2007), Nicolas est rédacteur en chef adjoint de la revue Afrique contemporaine.
En janvier 1973, le général Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Za Banga,arrivé au pouvoir au Congo-Kinshasa en 1965 après un coup d’État, se rend en visite officielle en République populaire de Chine. Première visite présidentielle du « roi du Zaïre » en Asie, elle conditionnera largement la suite de son règne, achevé en 1997.
Lors d’une conversation avec Zhou En Lai, premier ministre de Mao Zedong et homme plein de finesse et d’exactitude dans sa geste coutumière, la première question posée par Mobutu était loin de correspondre aux protocolaires échanges de dirigeants en visite officielle (dialogue rapporté par un acteur) :
– « Comment se fait-il que tous les dirigeants chinois soient en si bonne santé ? interrogea Mobutu.
– Je peux vous révéler un secret, rétorqua avec un sourire malicieux le premier ministre chinois.
– Quel secret ?
– Si les dirigeants chinois, bien que très âgés, travaillent beaucoup et sont en bonne santé, c’est grâce au massage, révéla Zhou En Lai.
– Pour moi, ce n’est pas possible ! Je n’ai pas de masseur à mon service.
– Nous pouvons vous arranger cela, conclut le numéro 2 chinois ».
La première visite présidentielle de Mobutu en Asie se poursuivit. Il en oublia presque cette anodine entrevue de courtoisie diplomatique. À son retour à Kinshasa, deux chinois, un masseur et un interprète francophone, l’attendaient à la présidence.
Zhou En Lai avait tout prévu, tout organisé ; et surtout, il avait perçu dans cette opportunité la possibilité de placer au plus près de l’intimité du Maréchal, des agents chinois.
Deux fois par jour, pendant plus de vingt ans, une douzaine de médecins chinois massèrent Mobutu et parfois même sa deuxième femme, Bobi Ladawa, épousé le 1er mai 1980. Masseur et acupuncteur, de vrais médecins traditionnels se tenaient non pas au chevet, mais aux côtés du Léopard.
En voyages officiels de par le monde et en Afrique, à la présidence à Kinshasa et en privé à G’Badolité, sa région natale, dans le palais de brousse que les chinois lui avaient construit, ils étaient auprès de lui. Ils faisaient partis de son entourage immédiat et peut-être le plus privilégié. Ils avaient accès au saint des saints, sa chambre à coucher.
Au même titre que ses gardes du corps, des gardiens plus intimes du corps du Maréchal le protégeaient de l’intérieur.
Les interprètes chinois, maîtrisant pour la plus part à la perfection la langue française, des médecins chinois de Mobutu étaient les traducteurs de ses maux, de ses petites souffrances quotidiennes, et surtout les intermédiaires obligés entre l’ambassadeur chinois à Kinshasa et l’homme des américains en Afrique centrale, comme les Français et les Belges l’appelaient.
Tous les jours, parfois deux fois par jour, ils le voyaient se déshabiller avant chaque massage. Retirer la peau du Léopard et il ne reste plus que l’homme. Retirer ses attributs, sa toque, sa tunique, sa canne, et le Maréchal n’est finalement pas si impressionnant que cela. Nu devant deux pauvres chinois, c’est l’image que l’un des interprètes, Monsieur T., garde en partie de celui qui fut un temps le plus puissant chef d’État d’Afrique.
Cette histoire a été présentée au festival d’histoire de Blois (octobre 2015) par Africa4 dans le cadre du magazine LIVE !