Le Coran tient des positions différentes sur les aliments selon les sourates. De la tolérance au rigorisme, il n’y a qu’un pas. Explications.
« Sont interdits pour vous les animaux qui meurent d’eux-mêmes, le sang, la viande de porc et les animaux dédiés à d’autres qu’Allah. Celles qui ont été étranglées, frappées avec un objet, tombées d’une hauteur, encornées, attaquées par un animal sauvage (…) ; ce qui a été immolé aux autels des idoles ; tout cela vous est défendu. Interdit aussi est le partage de la viande en consultant des flèches, car ceci est une impiété. » Ainsi parle le Coran (sourate « Le festin » 5 ;3) : celui qui obéit à Allah ne doit manger ni bêtes mortes de maladie ou de vieillesse (en cela, rien d’étonnant), ni porc, ni encore moins de boudin puisqu’il ne faut pas manger de sang. Exit, donc, le canard au sang et autres recettes savoureuses. D’autres versets interdisent également de se nourrir d’animaux domestiques comme l’âne et le mulet.
Les interdits alimentaires en islam – en fait proches mais moins rigoureux de ceux du judaïsme – sont considérés comme suffisamment importants pour être traités par plusieurs sourates coraniques. Un musulman mange « hallal » ou il n’est pas, assurent aujourd’hui les plus rigoristes, qui menacent même de l’enfer le pauvre affamé qui n’a pu résister à un morceau de jambon. Or, dans ce domaine (comme dans d’autres), rien n’est simple.
Quatre catégories d’aliments
Les juristes musulmans ont ainsi classé les aliments en quatre catégories : halal(licite), haram (interdit), mubah (permis), makruh (licite mais répugnant). La règle est que tout est licite, sauf ce qui est expressément interdit, sachant que les diverses écoles de droit islamique peuvent se montrer plus ou moins souples. Les animaux doivent être tués en prononçant le nom d’Allah. Ils doivent être vidés le plus possible de leur sang, celui-ci étant impur, d’où l’abattage en tranchant la veine jugulaire avec un couteau, aujourd’hui de plus en plus répandu.
Le statut du vin est plus complexe. Comme l’a écrit joliment l’écrivain Kamel Daoud dans Le Point , «la poésie bacchanale a toujours été, chez nous les “Arabes”, immense et plus fournie que les vins. Il y a plus de poèmes délicats sur le vin que de sortes de vins ». On a chanté le vin, sans toujours le boire. Et quand on osait le faire, rappelle-t-il, « il fallait ruser : escamoter, par jeu de métaphores, la coupe et l’extase. Parler d’une cuite comme si on parlait d’une rencontre avec le divin. Dégrader l’ivresse sous la robe d’un cantique. C’était un moyen de faire lire et entendre le poème des vins sans se faire couper la tête ou la parole ». Parce qu’il mène à l’ivresse, l’islam a condamné le vin. Mais le Coran tient des positions différentes selon les sourates. Ainsi, la sourate « Les femmes » (4 ;43) semble accepter le fait que le musulman boive de l’alcool : « Ô croyant, ne prie pas en état d’ivresse », ordonne-t-elle. Comme pour être ivre, il faut avoir bu, on peut donc en déduire que l’on a le droit de boire. La sourate « La vache » (2;219) met dans le même panier le vin et les jeux de hasard, mais elle semble les considérer plus comme makruh que mubah.” Dans les deux, il y a un grand péché et quelques avantages pour les gens ; mais dans les deux, le péché est plus grand que l’utilité. Bref, boire est un péché, mais ce n’est pas interdit. La sourate « Le festin » (5, 90) est plus catégorique : « Ô les croyants! Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées (NDLR : les idoles), les flèches de divination ne sont qu’une abomination, oeuvre du diable. Écartez-vous-en afin que vous réussissiez. »Vade retro Satanas.
Lequel de ces versets fait loi ? « Pour les exégètes et les juristes, le verset le plus récent supprime le plus ancien, règle classique d’interprétation coranique », rappelle le spécialiste du droit musulman Mohammed Hocine Benkheira dans Penser en islam, hier et aujourd’hui (Point Références, novembre-décembre 2015). Et, dans ce cas, il semble que ce soit la sourate 5 qui s’impose. Adieu, donc, effluves divines ? Le vin n’a jamais quitté les terres d’islam, même si l’interdit rend sa consommation plus difficile, souvent triste, solitaire et entachée de culpabilité. Too bad…
L’islam est-il une religion de la soumission ou de la liberté ? Le retour au VIIe siècle des Bédouins d’Arabie, prôné par les musulmans radicaux, est-il une obligation fondée sur le message coranique ou une exigence conjoncturelle liée au rejet de l’Occident ? L’islam n’a jamais été « un », et parce qu’il n’existe pas d’autorité centralisatrice, nombreux sont les courants de pensée qui s’y expriment, et s’y opposent. Dans Penser l’islam, hier et aujourd’hui, Le Point explique, en partant des textes fondamentaux, les principes qui ont dominé l’évolution de la pensée islamique, pourquoi les djihadistes se réclament de la tradition, qui sont ceux qui, aujourd’hui, dans le respect de leur foi, luttent contre le salafisme et ses dérives.