Après des années de politique budgétaire contracyclique, les indicateurs de croissance du Cap-Vert s’améliorent et l’archipel intensifie sa diplomatie économique, à quelques mois d’occuper la présidence de la CEDEAO. Entretien exclusif avec Luis Felipe Lopes Tavares, le ministre cap-verdien des Affaires étrangères et des Communautés.
LTA : Avec une croissance estimée à 4% pour 2017, le Cap-Vert a-t-il durablement surmonté la crise ?
Luis Felipe Lopes Tavares : Effectivement, nous devrions enregistrer un taux de croissance supérieur à 4% cette année et nous ambitionnons d’approcher les 7% de croissance en 2021, à la fin de notre législature. Nous sommes aujourd’hui classés à la 129e position du Doing Business et nous voulons entrer dans les 50 premiers pays du classement et dans les 5 premiers pays insulaires d’ici 2021.
Bien sûr nous devrons faire face à de lourds défis (dette publique d’environ 133% selon le FMI, infrastructures et régime fiscal défaillants, dépendance à l’aide internationale, à la diaspora, au tourisme et chômage élevé, NDLR), mais nous disposons d’une stabilité sociale et politique et d’indicateurs socioéconomiques très encourageants.
Quelles sont les nouvelles mesures incitatives pour attirer davantage de touristes au Cap-Vert après le passage de Zika ?
Praia a été touchée, mais Zika n’a pas atteint les îles touristiques et nous avons géré le virus très rapidement qui, selon nos informations, serait venu du Brésil. Les répercussions sur le tourisme ont donc été faibles. S’agissant des nouvelles mesures décidées par le gouvernement, dès le 1er janvier 2018, nous dispenserons les habitants de l’espace Schengen de visa touristique pour permettre le développement du tourisme des Européens sur nos îles. Aujourd’hui, les habitants des 15 pays de l’Afrique de l’Ouest circulent déjà librement et nous voulons étendre ses facilités. Nous y travaillons actuellement pour les Etats-Unis et le Canada…
Comment le Cabo Verde Trade Invest va-t-il soutenir les investissements dans l’archipel ?
L’agence va assurer la promotion, la diffusion, la coordination, la facilitation et le suivi des opportunités d’investissement au Cap-Vert, mais aussi les exportations de biens et de services sur les îles. A travers cet outil, nous voulons intégrer le Top 3 des agences de l’Afrique subsaharienne dans le classement du Global Investment Promotion Benchmarking (GIPB, NDLR), publié par la Banque mondiale.
Par ailleurs, nos ambassades sont dotées de services de promotion pour l’investissement et nous menons des stratégies de participations dans les salons internationaux. Nous venons de réunir la diaspora en Nouvelle-Angleterre et le Premier ministre s’est rendu à Atlanta pour rencontrer les Cap-Verdiens. A titre personnel, je recevrai des investisseurs américains cette semaine.
Le Cap-Vert est un pays attractif qui a vu ses Investissements directs étrangers se démultiplier depuis 2000 et le tourisme a été le levier de cette croissance. Certaines îles comme Sall ou Boa Vista sont devenues très prisées en quelques années…
Précisément, le secteur des services représente 72 % du PIB (1,6 milliard de dollars en 2016), porté par le tourisme et les services financiers. Quels sont les secteurs prioritaires qui soutiendront la croissance cap-verdienne dans sa stratégie de diversification ?
Nous développons des politiques de formation et d’éducation afin que le Cap-Vert puisse travailler avec les groupes étrangers qui souhaitent externaliser leurs services, quel que soit le secteur d’activité. Nous allons lancer un programme dès le préscolaire jusqu’à la fin de l’enseignement supérieur, afin que les Cap-Verdiens âgés de 15-20 ans maîtrisent les technologies numériques, mais aussi 5 langues : le portugais, l’anglais, le français, l’espagnol et le mandarin.
Nous assurons également la promotion de l’agro-industrie et nous travaillons sur la création d’un hub aérien sur l’Ile de Sall pour 2018, afin que le pays devienne un prestataire de service en matière de transport aérien au niveau international.
Quels sont les projets qui vont permettre au Cap-Vert d’atteindre 50% d’énergie renouvelable d’ici 2020 ?
Nous allons créer une zone de développement économique sur l’île de Sao Vicente pour permettre au pays de se doter des infrastructures nécessaires à la promotion de l’industrie liée à la mer qui comporte non seulement la pêche et l’exploitation des ressources halieutiques, mais aussi la recherche scientifique. Par ailleurs, nous accueillons depuis 2015, le Centre des énergies renouvelables et d’entretien industriel (CERMI, NDLR) dont le siège est basé à Praia, où nous développons des capacités techniques et scientifiques qui nous permettent déjà d’atteindre des résultats significatifs, car 25% de notre énergie est totalement renouvelable. Nous nous sommes également fixé pour objectif de faire de Brava, une île 100% renouvelable…
Le Cap-Vert occupera la présidence de la CEDEAO en février 2018. Cela augure-t-il d’un bon présage pour une intégration prochaine du Maroc ?
Effectivement, nous avons renouvelé notre soutien au Maroc, le 11 septembre dernier à Rabat, car nous souhaitons développer les relations bilatérales. C’est un grand pays africain et nous pensons que son savoir-faire associé à la dynamique de son économie, ainsi que sa stabilité sociale et politique, peut nous apporter beaucoup.
Dans quelles mesures la diplomatie économique mauricienne peut-elle permettre de développer le faible commerce avec le Continent ?
Malgré le fait que nous soyons membre de la CEDEAO et de l’ECOWAS, les échanges avec le continent africain restent faibles puisqu’ils ne représentent que 2% de nos échanges commerciaux. Le Cap-Vert préside le groupe des petits Etats insulaires africains (PIED, NDLR), confrontés aux mêmes problématiques que nous. Mais nous voulons travailler davantage sur l’intégration régionale. Nous souhaitons discuter avec les pays de la sous-région pour obtenir un statut particulier, car notre économie est spécifique, marquée par l’étroitesse de son marché.
Afin d’augmenter notre commerce avec le Continent, il nous faut également régler le problème des transports maritimes entre le Cap-Vert et les côtes africaines…
Il y a davantage de Cap-Verdiens de la diaspora (700 000) que sur les îles (500 000). Quelle est votre stratégie pour capter les capacités et les investissements de la diaspora ?
Les transferts de la diaspora représentent 20% du PIB, juste derrière l’économie du tourisme. Nous travaillons avec les Cap-Verdiens de l’étranger pour que les transferts financiers s’accompagnent de transfert de technologies et de compétences.
Nous venons d’organiser une grande rencontre aux Etats-Unis avec les membres de la diaspora du côté de Boston qui est aujourd’hui la première ville cap-verdienne au monde, avec 350 000 Cap-Verdiens (150 000 à Praia, la capitale du Cap-Vert, NDLR).
Nous cherchons à créer un environnement des affaires favorable au niveau douanier, fiscal ainsi que des structures d’appui à l’investissement. Nous présenterons un projet de loi en fin d’année, pour faciliter leurs conditions d’investissement.
Par ailleurs, beaucoup de retraités de la diaspora américaine se sont récemment installés sur les îles de Fogo ou de Braga et nous souhaitons accompagner cette tendance. La mobilisation de la diaspora a commencé aux Etats-Unis et nous allons réunir les capacités en Europe l’an prochain…
Ce rapprochement avec les Etats-Unis ne s’applique pas seulement à la diplomatie économique, mais aussi à la défense…
Effectivement, nous faisons de la sécurité notre priorité. Nous luttons contre tous types de trafics et contre les menaces terroristes régionales. Nous avons signé un nouveau protocole de sécurité et de défense, il y a quelques jours (25 septembre à Washington, NDLR), pour réaliser des exercices militaires avec les Etats-Unis. Nous avons des projets de sécurisation de nos frontières très musclés pour permettre que tout un chacun soit en sécurité au Cap-Vert.