Le fait pour le président de la République de n’avoir touché aucune des personnalités impliquées dans le scandale des chantiers de la Can 2019 et de n’avoir limogé que 14 ministres et assimilés montre que l’on n’a pas changé de paradigme. EcoMatin explique les fondements d’un tel pessimisme.
Après deux longs mois d’attente du premier gouvernement du septennat 2018-2025, Paul Biya a finalement fait souffler le zéphyr (vent doux et agréable) en lieu et place du tsunami qui était attendu si l’on s’en tient à cet extrait de son discours à la nation le 31 décembre 2018 : « Le septennat qui vient de commencer devrait être décisif pour notre pays. Il pourrait même être l’un des moments les plus importants de notre histoire depuis notre indépendance ».
Presqu’à l’opposé de son discours et compte non tenue (visiblement) de l’incapacité de ses gouvernements antérieurs successifs à insuffler une véritable croissance économique, le chef de l’Etat vient de procéder à un réaménagement ministériel qui risque plutôt de continuer à éloigner le Cameroun de ses enjeux d’émergence à moyen terme.
Les intouchables
Au-delà d’avoir maintenu comme délégué général à la Sûreté nationale Martin Mbarga Nguélé (bientôt 86 ans), comme ministre d’Etat, ministre de la Justice Laurent Esso (76 ans), comme ministre délégué auprès du ministre de la Santé publique Alim Hayatou (73 ans), etc., Paul Biya a réussi l’exploit de maintenir des membres du gouvernement qui ont pour certains passé plus de 15 ans aux même au même poste.
Ainsi de Jacques Fame Ndongo au ministère de l’Enseignement supérieur, Luc Magloire Mbarga Atangana au ministère du Commerce, Madeleine Tchuinté au ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation et Hélé Pierre au ministère de l’Environnement (après avoir été au Tourisme entre 2000 et 2004), tous nommés au lendemain de l’élection présidentielle de 2004. Or, les actions d’éclat qui plaident en faveur d’une telle longévité ne sont pas toujours perceptibles.
Ce gouvernement donne (à tort ?) l’impression que Paul Biya a tranché en faveur de la task-force qui a fait perdre l’organisation de la Can au Cameroun.
Autre maintien qui fâche, c’est celui de Bello Bouba Maïgari, actuel ministre du Tourisme et des Loisirs et ministre d’Etat depuis 1997. Laurent Serge Etoundi Ngoa, ministre des Petites et moyennes entreprises, de l’Economie sociale et de l’Artisanat, est en poste depuis 2004. Après avoir passé 15 à la tête de ce département ministériel sans que la Pme ou l’artisanat aient jamais connu leur envol, il vient d’être muté au ministère de l’Education de Base. Plus que lui, Joseph Owona est au gouvernement depuis 1997, d’abord en tant que ministre délégué à la Présidence chargé des relations avec les Assemblée, et puis comme ministre du Travail et de la Sécurité sociale depuis 2011.
Retrait de la CAN 2019 : circulez, il n’y a rien a voir…
Les maintiens les plus problématiques sont toutefois ceux des personnalités impliquées dans les scandales de détournements et des retards dans les chantiers de la Coupe d’Afrique des nations (Can) 2019 dont l’organisation a été retirée au Cameroun. Ferdinand Ngoh Ngoh, garde non seulement son poste de secrétaire général de la présidence de la République qui en fait un véritable « vice-dieu », mais il est également promu ministre d’Etat. Il en est de même du secrétaire général des services du Premier ministre, Séraphin Magloire Fouda, et de Pierre Ismaël Bidoung Kpatt, qui par un jeu de chaises musicales atterrit au ministère des Arts et de la Culture. Ceci donne (à tort ?) l’impression que Paul Biya a tranché en faveur de la task-force qui a fait perdre l’organisation de la Can au Cameroun. Le clan dit « Nnanga », qui serait fortement soutenu par la première dame Chantal Biya, en sort en tout cas très conforté.
Issa Tchiroma Bakary a fait mille et une promesses dans le sens de l’amélioration des conditions de vie des journalistes, sans jamais en réaliser une seule.
Dès lors, il n’est pas certain que les mêmes causes ne finiront pas par produire les mêmes effets. Issa Tchiroma Bakary, dont le parti est signataire d’une plateforme de gouvernement avec le Rdpc, ira s’ennuyer au ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle. Depuis sa nomination au poste de ministre de la Communication en 2011, il a fait mille et une promesses dans le sens de l’amélioration des conditions de vie des journalistes, sans jamais en réaliser une seule. L’histoire retiendra que quelques mois après son arrivée, il avait organisé tambours battants des états généraux de la communication. Les résolutions qui en sont sorties, dont l’une des principales étaient la mise sur pied d’un compte d’affectation spécial pour le développement des médias, avaient simplement été rangées dans le placard. Il aura par-dessus tout, durant son magistère, entretenu des relations pour le moins exécrables avec les principaux éditeurs du pays. Il part avec l’étiquette d’avoir rodé avec ses principaux collaborateurs, un système flou autour de la répartition des fonds affectés à l’aide publique à la presse privée.
Des défis en perspective pour Emmanuel René Sadi
C’est l’une des situations les plus urgentes que devra régler son successeur, René Emmanuel Sadi. Ce haut commis longtemps présenté comme un successeur potentiel de Paul Biya prend les rênes d’un département ministériel qui, pensent certains, le fait baisser en gamme et ne le conforte pas en dauphin.L
Or, la stratégie du chef de l’Etat, dont il a longtemps été conseiller diplomatique, pourrait justement être de le mettre à ce poste pour rétablir la respectabilité diplomatique du Cameroun à travers une communication encadrée et sans écarts de langage. Il devrait ainsi mieux se faire connaître de la communauté internationale. Son tempérament de diplomate sera certainement son atout majeur.
14 entrants au piston
Les réseaux semblent une fois de plus avoir été plus forts que la volonté de changement affichée par le président de la République, Paul Biya, pendant la campagne électorale en vue de la présidentielle du 07 octobre 2018. Si les cas tels que Malachi Manaouda, Achille Bassilekin III et Zakiariaou Njoya, nommés respectivement ministre de la Santé publique, ministre des Petites et moyennes entreprises, de l’Economie sociale et de l’Artisanat, et ministre délégué auprès du ministre des Transports, est un début de concrétisation de la récente promesse du chef de l’Etat d’impliquer plus de jeunes (ou ceux qui s’assimilent à la jeunesse), la pratique du piston fait de la résistance.
A 56 ans, Célestine Ketcha Courtès, sulfureuse maire de la commune de Bangangté, dans la région de l’Ouest, devient ministre de l’Habitat et du Développement urbain grâce à l’entregent de la première dame. Celle que l’on présente comme étant titulaire d’un brevet de technicien supérieur en techniques commerciales et d’un diplôme d’études supérieures de commerce et d’économie remplace poste pour poste Jean Claude Mbwentchou, ingénieur urbaniste qui savait de quoi il parlait à la tête de ce département ministériel.
Il en est de même de Gabriel Dodo Ndoke qui, bien que titulaire d’un doctorat en droit privé obtenu il n’y a pas longtemps à l’université de Yaoundé II, devient ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique.
Cet originaire de la région de l’Est avait été nommé le 20 juillet 2018, secrétaire général du ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires et n’aura donc passé que six mois à ce poste où il aurait pourtant pu continuer à apprendre. Ibrahim Talba Malla, qui était depuis 2014 directeur général de la Société nationale de raffinage (Sonara), est enfin parvenu à obtenir un portefeuille ministériel. Il s’était toujours battu pour cette cause, et certains pensent que c’était pour dissiper un complexe qu’il a développé depuis la nomination d’Alamine Ousmane Mey comme ministre des Finances en 2011 – ils ont épousé deux sœurs et sont très proches.
L’entrée au gouvernement la plus inattendue reste celle de Jean De Dieu Momo comme ministre délégué auprès du ministre de la Justice. Si Paul Biya l’a nommé, ce n’est ni plus ni moins que pour essayer de faire croire à l’opinion que cet avocat est au même pied d’égalité que Maurice Kamto, qui a occupé ces fonctions jusqu’à sa démission en novembre 2011. Ancien farouche opposant à l’actuel chef de l’Etat, le président du Paddec a fait volte-face à l’approche de la dernière élection présidentielle, prétextant un complot extérieur visant à éjecter Paul Biya par un coup de force. Son entrée au gouvernement démontre aujourd’hui qu’il avait eu une promesse ferme du pouvoir dans cette optique. Cette promotion cependant à désacraliser la fonction ministérielle, compte tenu des bouffonneries encore en circulation de ce personnage sur les réseaux sociaux.
Koung à Bessiké, Mama Fouda, Amadou Ali, Abba Sadou…par ici la sortie
Limogée du gouvernement vendredi dernier, Jacqueline Koung à Bessiké semble avoir été définitivement lâchée par la première dame Chantal Biya. C’est en effet l’épouse du chef de l’Etat qu’elle dont elle a été très proche du temps où elle exerçait comme secrétaire générale du ministère de la Promotion de la femme et de Famille puis du Cercle des amis du Cameroun (Cerac), qui la propose à la nomination à la fonction ministérielle.
…l’on n’a jamais pardonné à Jacqueline Koung à Bessiké d’avoir joué un sale rôle dans l’emprisonnement de l’ex-maire de la commune de Bafia, Issa Ahmed.
Ex-épouse d’un ancien baron du Rdpc dans le Mbam et Inoubou, Camille Moutè à Bidias en l’occurrence, elle fut nommée à la surprise le 09 décembre 2009 au poste de ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières, alors qu’elle ne disposait d’aucune base politique à Bafia (Mbam et Inoubou) dont elle est originaire. Elle bat d’ailleurs le record de longévité à ce poste occupé depuis des lustres par des ressortissants du même département.
Désormais libre de toute fonction officielle et, alors qu’elle aura été grâce pendant huit ans la première personnalité politique du Mbam et Inoubou, elle va devoir enfin mouiller le maillot sur un terrain particulièrement glissant où l’on ne lui a jamais pardonné d’avoir joué un sale rôle dans l’emprisonnement de l’ex-maire de la commune de Bafia, Issa Ahmed.
Le désormais ex-ministre de la Santé publique, André Mama Fouda, n’est pas logé à meilleure enseigne. Le président de l’Association pour l’entraide des élites du Mfoundi, accusé d’écraser systématiquement les plus petits qui ont essayé de lui tenir tête, va devoir puiser dans ses tripes pour affronter « à bras nus » (et non plus avec les gangs du décret) ceux de ses frères du département siège des institutions de la République qu’il aura piétinés pendant tout ce temps.
Durant tout le magistère de cet ingénieur du génie civil au Minsanté (200-2019), les crises ont décuplé : pénuries des antirétroviraux, des kits d’hémodialyse, de sang dans les hôpitaux, etc. Des situations auxquelles il n’a jamais trouvé de solutions durables. Cependant, à plusieurs reprises, il a révolté l’opinion en déclarant la disparition de plusieurs centaines de millions Fcfa dans sa résidence cossue du quartier Obobogo, à Yaoundé.
Amadou Ali a ouvertement déclaré à un ancien diplomate américain à Yaoundé qu’un ressortissant des Grassfields n’accédera jamais au pouvoir suprême au Cameroun.
Amadou Ali, 76 ans, est enfin mis à la retraite. Malade et fortement affaibli ces deux dernières années, ce mauvais génie du régime, pour reprendre un confrère, a marqué les esprits en déclarant ouvertement à un ancien diplomate américain à Yaoundé qu’un ressortissant des Grassfields n’accédera jamais au pouvoir suprême au Cameroun. L
L’un des fameuses écoutes téléphoniques qui ont conduit plusieurs personnalités en prison parfois pour des motifs infondés, il est présenté comme l’homme le plus renseigné du Cameroun. Il aura occupé les fonctions de secrétaire d’Etat à la Défense chargé de la gendarmerie, secrétaire général de la présidence de la République, ministre de la Défense, ministre de la justice, etc.
Le ministère de Abba Sadou a notamment décroché la palme d’or de l’administration la plus corrompue au Cameroun.
Autre mauvais génie du régime, le désormais ex-ministre délégué à la Présidence chargé des Marché publics, Abba Sadou. Longtemps accusé de tordre les procédures de passation des marchés en vigueur, il a été mis à l’index dans le rapport 2017 sur l’état de la corruption au Cameroun, publié fin décembre dernier par la Commission nationale anti-corruption (Conac).
Son ministère a notamment décroché la palme d’or de l’administration la plus corrompue au Cameroun. Comme beaucoup d’autres qui sont encore malheureusement aux affaires, il n’était plus digne de la fonction ministérielle.
Columnist: camer.be