Quatre jeunes Camerounaises ont mis au point une application qui permet de mettre en liaison les patients et de potentiels donneurs de sang.
Agées entre 13 et 14 ans et inscrites en classe de quatrième au Quality International Schoolde Yaoundé, elles ont pour nom Queenie l’Or Ekinde Mekolle Muke, Rose Diella Tikum Ngo Sii, Julienne Daphné Tchouenmegne Ngomegni et Joyce Lesley Forkou Djuiko.
Baptisée « Hémo » (du mot « Hémoglobine »), cette application est accessible en ligne et sur un téléphone Android, où elle se présente comme une simple page sur laquelle figure un champ pour s’inscrire en tant que donneur de sang et un autre pour se faire enregistrer en tant que personne qui recherche un donneur de sang.
Ainsi, le patient qui a besoin de sang peut entrer directement en contact avec le potentiel donneur, grâce à son contact téléphonique.
« On a constaté que beaucoup de personnes décèdent au Cameroun à cause d’un défaut de transfusion sanguine. Elles ont besoin de sang, mais elles n’en trouvent pas. Surtout celles qui ont des groupes sanguins très rares, comme le B- ou le O- », explique Julienne Daphné Tchuoenmegne Ngomegni, l’une des développeuses de « Hémo », qui s’exprime au nom du groupe.
« On a donc créé cette application pour relier les donneurs de sang à ceux qui en ont besoin. Ainsi, les donneurs qui vont s’enregistrer sur notre application vont être ouverts à tous », explique l’adolescente.
Un peu plus d’un mois après le lancement de l’application, plusieurs personnes se sont déjà enregistrées comme donneuses de sang. Parmi elles, Lise Kamguem Nono, qui a été motivée par une expérience personnelle.
« J’avais une amie malade et à l’hôpital, on nous avait demandé d’emmener des personnes qui devaient donner de leur sang pour remplacer les trois poches de sang qui devaient être utilisées sur la patiente », se souvient-elle.
« Ayant cherché toute la journée sans trouver de donneur, nous sommes revenus à la banque de sang de l’hôpital pour nous résoudre à acheter une poche à 30.000 FCFA au lieu de 18.000 FCFA si on avait fourni un donneur pour chaque poche », poursuit Lise Kamguem.
Fossé
Selon les chiffres du Programme national de transfusion sanguine (PNTS), la demande nationale se situe autour de 400.000 poches de sang par an au Cameroun. Or, en 2017, seulement 91.047 poches ont été collectées à travers le pays, ce qui représente un pourcentage de 23%. D’où un fossé d’environ 308.953 poches.
Appolonie Noah Owona, secrétaire permanente du PNTS, explique ce déficit, entre autres, par une « très faible implication de la population dans la pratique du don de sang bénévole et volontaire, et l’absence de donneurs bénévoles réguliers et fidélisés ».
Cette faible implication s’appuierait parfois sur « des croyances religieuses dont certaines soutiennent que lorsqu’on reçoit le sang de quelqu’un, on reçoit également ses péchés ».
Pour ne rien arranger, souligne-t-elle, « près de 20% des poches collectées sont ensuite détruites en raison d’une sérologie positive ».
Appolonie Noah Owona confie que ce fossé important est à l’origine de nombreux décès maternels liés aux complications hémorragiques et infantiles des suites d’anémie, car, explique-t-elle, de nombreux hôpitaux et structures sanitaires sont régulièrement confrontés à des pénuries de sang.
L’autre conséquence de cette situation est que le prix d’une poche de sang est élevé et varie d’un hôpital à un autre et selon que le patient fournit un donneur de sang ou pas.
Confidentialité
Aussi la secrétaire permanente du PNTS se félicite-t-elle des initiatives comme l’application « Hémo » afin d’encourager et faciliter le don de sang.
Elle invite cependant les développeurs de telles applications à se rapprocher du PNTS pour « s’enquérir de la politique et de la règlementation de la transfusion sanguine au Cameroun pour une meilleure orientation ».
Pour sa part, Stéphane Kenmoé, chercheur à l’université de Duisbourg Essen, en Allemagne, déplore le fait que l’aspect confidentialité n’ait pas été prise en compte par les jeunes développeuses de l’application.
« Il y a des gens qui ont des groupes sanguins rares qui subissent souvent des menaces. Voilà pourquoi beaucoup préfèrent rester anonymes. Et pour les applications de ce type que je connais en Europe, la première des précautions, c’est la confidentialité », explique le chercheur.
Des remarques bien accueillies par les quatre jeunes filles qui se disent conscientes de ce que leur application doit être améliorée. « Il nous faut assurer la fiabilité et la sécurité de notre application. On aimerait également relier les banques de sang entre elles », affirme Julienne Daphné Tchuenmegne Ngomegni.
En attendant, l’application a remporté le 8 décembre dernier, le premier prix de l’initiative « STEM Prizes » 2018, une compétition organisée par la Fondation Denis and Lenora Foretia et qui vise à encourager les jeunes Camerounais et Africains âgés de 13 à 21 ans, particulièrement les filles, à s’intéresser à la science et à la technologie.
Avec scidev afrique