Depuis octobre 2016, une partie de la minorité anglophone camerounaise proteste contre Paul Biya car elle s’estime marginalisée. Mais il faut remonter à l’époque coloniale pour comprendre les raisons profondes de cette crise.
Depuis octobre 2016, la minorité anglophone, qui représente environ 20 % des 22 millions de Camerounais, répartie dans deux régions sur les dix que compte le pays, proteste contre ce qu’elle appelle sa “marginalisation” dans la société.
Outre les séparatistes qui réclament la proclamation d’un nouvel État l'”Ambazonie”, des anglophones exigent le retour au fédéralisme qui a prévalu dans le pays entre 1961 et 1972, avec deux États au sein d’une même République.
Alors que l’exécutif oppose une fin de non-recevoir à ces deux revendications, le climat s’est tendu ces derniers jours. Selon Amnesty International, 17 personnes ont été tuées par les forces de sécurité en marge de manifestations, dimanche 1er octobre, dans plusieurs villes anglophones.
Mais quelles sont les raisons profondes de cette crise ?
• Les racines historiques de la crise anglophone
Après la Première Guerre mondiale, le Cameroun, alors colonie allemande, est partagé par la Société des nations (la SDN, ancêtre de l’ONU) entre la France et la Grande-Bretagne. Quatre cinquième du pays sont placés sous tutelle française, la Grande-Bretagne hérite de la partie occidentale bordant le Nigeria.
Le 1er janvier 1960, la partie francophone obtient son indépendance et devient la République du Cameroun. Un an plus tard, à l’issue d’un référendum, une partie du Cameroun sous tutelle britannique (Northern Cameroon) réclame son rattachement au Nigeria, tandis que l’autre partie (Southern Cameroon) se prononce en faveur de son rattachement à l’ex-Cameroun francophone.
Ces deux entités – la partie francophone et Southern Cameroon – forment alors une République fédérale à partir du 1er octobre 1961. Mais en 1972, le président Ahmadou Ahidjo décide de supprimer les deux États fédérés pour faire place à un seul État, avec une seule Assemblée nationale, et proclame la République unie du Cameroun. C’est à partir de cette époque que surgit un sentiment de marginalisation chez certains habitants anglophones du pays.
Dix ans plus tard, l’actuel président Paul Biya accède au pouvoir et prend alors de nouvelles mesures favorisant le centralisme. Le 22 août 1983, il divise la région anglophone en deux provinces : Nord-Ouest et Sud-Ouest. L’année suivante, il abandonne le terme “unie” à la République du Cameroun et supprime la seconde étoile sur le drapeau, qui représentait la partie anglophone.
“Malgré la naissance des mouvements anglophones – dans les années 90, la restauration du multipartisme fait naître le plus grand parti d’opposition, le SDF, basé dans les régions anglophones – la centralisation s’est poursuivie et les anglophones ont davantage perdu en poids politique à l’échelle nationale. En 2017, sur 36 ministres avec portefeuille, un seul est anglophone”, constate le Crisis Group dans un rapport intitulé “Cameroun : la crise anglophone à la croisée des chemins”.
Écartés de l’échiquier politique national, les anglophones se sentent également lésés sur le plan économique, un secteur pourtant dynamique. “L’unification laisse un sentiment de régression économique dans la partie anglophone (…) au profit des investissements dans la partie francophone”, détaille le centre de recherche international.
• La résurgence de la contestation
Les tensions actuelles ont débuté en octobre 2016 dans la ville de Bamenda, le chef-lieu du Nord-Ouest du Cameroun, par une grève des avocats. Leur revendication ? La traduction en anglais du Code de l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) et d’autres textes de lois votés à l’Assemblée. Un mois plus tard, c’était au tour des enseignants de cesser le travail pour s’ériger contre la nomination de francophones dans les régions anglophones.
Ces mouvements de grève, jusqu’alors contenus au Nord-Ouest, se sont peu à peu propagés au Sud-Ouest puis rapidement mués en crise politique, exacerbée début 2017 avec une coupure d’Internet de trois mois imposée par le pouvoir.
Dimanche 1er octobre, jour anniversaire de la réunification officielle des parties anglophone et francophone, la crise a connu son épisode le plus sanglant avec au moins 17 personnes tuées par les forces de sécurité en marge d’une proclamation symbolique d'”indépendance” vis-à-vis des francophones, selon le dernier bilan établi par Amnesty International et des sources officielles. Les leaders de la contestation demandent en majorité un retour au fédéralisme et, pour une minorité, l’indépendance et la proclamation d’un nouvel État qu’ils appellent l'”Ambazonie”.
“Le gouvernement a totalement perdu le contrôle” dimanche, estime Hans de Marie Heungoup, chercheur sur le Cameroun du Crisis Group, qui affirme que des drapeaux “ambazoniens” ont été hissés dans des postes de gendarmerie et de police.
• La réponse de Paul Biya
L’exécutif, emmené par le président Paul Biya et son Premier ministre, anglophone, Philemon Yang opposent une fin de non-recevoir aux revendications des manifestants. Yaoundé a pris des mesures fortes pour tenter de juguler cette crise : couvre-feu instauré dans les deux régions anglophones, interdiction des réunions de plus de quatre personnes dans l’espace public, des déplacements entre les localités et accès limité à Internet.
“Le Cameroun, qui fait face à Boko Haram dans l’Extrême-Nord et aux miliciens centrafricains à l’est, doit éviter l’ouverture d’un nouveau front potentiellement déstabilisateur. Une aggravation du problème anglophone pourrait affecter les élections générales prévues en 2018. Surtout, elle pourrait déclencher des revendications sur l’ensemble du territoire et une crise politique de plus grande ampleur”, prévient le Crisis Group qui préconise “des réformes institutionnelles pour remédier aux problèmes profonds dont la question anglophone est le symptôme”. “La crise anglophone est à la fois un problème classique de minorité et reflète des problèmes plus structurels”, estime l’ONG. Dans un souci d’apaisement, le président a condamné “de façon énergique tous les actes de violence, d’où qu’ils viennent, quels qu’en soient les auteurs” et appelé au dialogue.
Avec france24