Bourreau de travail, parfois coléreux, toujours insaisissable… Trois anciens collaborateurs, tous en disgrâce, dressent dans leurs livres respectifs le portrait d’un président qui les fascine et les révulse à la fois.
Ils ont travaillé aux côtés du chef de l’État le plus secret du continent. Ils ont bénéficié de sa confiance et, croyaient-ils, de son estime, avant de tomber en disgrâce. Trois de ces « vice-dieux » ont été condamnés à de lourdes peines de prison pour des crimes économiques qu’ils nient avoir commis. Arrêté en 2008, Jean-Marie Atangana Mebara, secrétaire général de la présidence entre 2002 et 2006, a écopé de vingt-cinq ans de prison, une peine équivalente à celle infligée à Marafa Hamidou Yaya, qui le précéda dans ces fonctions entre 1997 et 2002. Quant à Urbain Olanguena Awono, autrefois ministre de la Santé, il doit passer vingt ans derrière les barreaux.
Incarcérés mais libres de prendre la plume, ils ont tous trois choisi de raconter « leur » Paul Biya, ce personnage méconnu qui dirige le Cameroun depuis trente-trois ans. Mensonges d’État (d’Urbain Olanguena Awono, éd. du Schabel) a été publié en février, un mois après Le Secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités(de Jean-Marie Atangana Mebara, éd. L’Harmattan). Quant au Choix de l’action (de Marafa Hamidou Yaya, éd. du Schabel), il était sorti, lui, en 2014. Extraits.
Attentionné
Atangana Mebara : « Beaucoup de gens ont bénéficié de dons qu’il m’avait chargé de leur remettre, à l’occasion d’événements particuliers. Ses attentions n’ont pas seulement profité aux personnalités de son parti, de son clan ou de sa religion. À titre d’illustration, lorsque j’ai informé le président du décès de l’épouse de M. John Fru Ndi, son principal opposant, il m’a immédiatement instruit de lui transmettre ses condoléances sincères, et de l’assurer que l’État s’occuperait du rapatriement de la dépouille mortelle. »
Distant
Mebara : « Le Secrétaire général ne peut pas joindre directement le président au téléphone. […] Je crois pouvoir dire que [ce dernier] évite toute familiarité avec ses collaborateurs. […] Malheureusement, il faut bien dire que certains ministres ont quitté le gouvernement sans avoir jamais eu d’audience avec lui. Beaucoup en étaient déçus, voire frustrés ; ils venaient m’en parler, et je leur répondais souvent que le fait qu’il ne les recevait pas [ne signifiait pas] que le président se désintéressait d’eux. »
Marafa : « Avec ce personnage disjoint, insaisissable, dissimulant des gouffres intérieurs insondables, mes relations ne furent autres que professionnelles. »
Informé
Mebara : « Il sait s’organiser pour préserver son pouvoir. Il veille particulièrement à être toujours bien informé ; en cela, je crois qu’il applique bien cette leçon de Mazarin : « Tu dois avoir des informations sur tout le monde, ne confier tes propres secrets à personne, mais mettre toute ta persévérance à découvrir ceux des autres. Pour cela espionne tout le monde, et de toutes les manières possibles. » Je ne prétends pas qu’il « espionne » ses collaborateurs ; mais je peux vous assurer qu’il était au courant de beaucoup de choses de la vie [des principaux d’entre eux]. »
Janus
Olanguena, à propos des arrestations délibérément humiliantes de hautes personnalités dans le cadre de l’opération anticorruption Épervier : « Quelle image voulons-nous donner de ceux qui nous dirigent ? L’image d’une bande de malfaiteurs, choisis tout de même par un chef ? Comment fait-il, donc, ce chef, pour les choisir ainsi ? Des bandits et tous pourris, sauf un ? Quelle hypocrisie ! »
Mebara : « Ma principale interrogation, aujourd’hui encore, est de savoir comment mon interpellation puis mon incarcération ont pu intervenir sans qu’à aucun moment je n’ai eu avec le président de la République la moindre explication sur ce qui m’était reproché, d’homme à homme, de presque père à presque fils. »
Avec Jeune Afrique