“Il faut suivre, accompagner et motiver le patient tout au long de son traitement. On peut utiliser les outils et technologies disponibles pour améliorer ce suivi”. Telle est la principale recommandation retenue par des chercheurs au terme d’une étude sur l’efficacité des traitements antirétroviraux (ARV) au Cameroun.
Cette étude dont les résultats ont été publiés en août 2018 révèle que le traitement du VIH/sida par l’utilisation des ARV connaît un taux d’échec élevé dans le pays.
L’analyse du sang prélevé sur 1 500 patients recrutés auprès de 30 centres de traitements à travers le pays montre en effet que la charge virale est supérieure à 1000 virus par millilitre de sang chez 27% des patients sous traitement depuis 12 à 24 mois, et chez 33% des patients traités depuis 48 à 60 mois.
“Distribuer simplement les ARV ne suffit pas. Les programmes nationaux de prise en charge doivent aussi s’améliorer, en prenant en compte toutes les régions du pays, les zones urbaines et rurales”
Avelin F. Aghokeng, Chercheur, IRD
A en croire Avelin F. Aghokeng, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement(IRD) et auteur principal de l’étude, “cette contreperformance peut être associée à un accompagnement médical insuffisant, en particulier la faible disponibilité des outils permettant de mieux suivre l’évolution du traitement et ainsi intervenir rapidement pour l’améliorer”.
Dans un entretien accordé à SciDev.Net, ce dernier explique que la mesure régulière de la quantité de virus dans le sang (charge virale) est l’un de ces outils souvent indisponibles et qui est, de son point de vue, encore très peu accessible au Cameroun du fait de son coût pour le patient.
“L’absence de ces outils limite l’action du personnel médical pour mieux suivre les patients, ce qui conduit à des échecs virologiques sous silence, qui vont évoluer vers un développement de la résistance au traitement”, poursuit Avelin F. Aghokeng.
“Dans un contexte de pauvreté et de ressources limitées, cela peut rapidement s’amplifier, comme nous l’avons observé dans les zones rurales”, conclut-il.
Car, selon un communiqué de presse publié par l’IRD, cette étude qui a duré de 2014 à 2016 est la toute première à être réalisée à l’échelle nationale, couvrant aussi bien les zones rurales que les zones urbaines.
Une démarche qui n’a pas manqué de mettre à nu de nombreuses disparités. En zones rurales, outre l’absence d’outils de suivi du traitement, “il faut ajouter le manque de personnel médical, les distances souvent très importantes entre les domiciles et le centre de santé, les difficultés programmatiques (rupture en stock de médicaments)”, souligne le chercheur.
Pour autant, les conclusions de cette étude ne font pas forcément l’unanimité. Répondant à SciDev.Net par un commentaire laconique, Claire Mulanga Tshidibi, directeur de l’Onusida[1]pour le Cameroun regrette tout d’abord que “les résultats de l’étude [n’aient] pas été partagés avec d’autres parties prenantes ou avec nous avant la publication”.
Au passage, cette dernière évoque une étude récente de Camphia (Cameroon population-based HIV impact assessment)[2], en indiquant qu’elle “montre des résultats différents en termes de suppression virale”.
Contradiction
Menée entre juillet 2017 et février 2018, l’étude de Camphia en question aboutit en effet à la conclusion que “parmi les personnes vivant avec le VIH/Sida et âgées de 15 à 64 ans qui déclarent elles-mêmes utiliser les ARV actuellement, on a un taux de suppression du virus de 80%”.
Un chiffre en contradiction avec les résultats séparés de chaque région du pays, publiés dans le même document. Ici l’on constate que le plus fort taux de suppression de la charge virale est enregistré dans la province de l’Ouest avec presque 63% tandis que le plus faible est de 27,6% relevé dans la province du Nord…
Pendant ce temps, à l’International Aids Society (IAS)[3] qui est la plus grande association mondiale des professionnels travaillant sur le VIH/sida, les travaux des chercheurs de l’IRD suscitent plutôt une inquiétude.
Interrogé par SciDev.Net, Anton Poznaik, son président, affirme que “ces résultats sont préoccupants dans la mesure où nous nous dirigeons vers la date butoir de 90-90-90 en 2020”.
“90-90-90” est l’abréviation d’un triple objectif fixé par l’Onusida pour qu’à l’horizon 2020, 90% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique, que 90% de toutes les personnes infectées par le VIH reçoivent un traitement antirétroviral et que 90% des personnes recevant un traitement antirétroviral aient une charge virale nulle.
Analysant la méthode utilisée par les chercheurs, le président de l’IAS pense même que “la charge virale de 1 000, telle que mesurée par la tache de sang sec, peut avoir sous-estimé le nombre de cas de non-suppression virologique”.
L’intéressé suggère au passage que les cliniques qui ont bien réussi dans ce type d’étude puissent partager les bonnes pratiques.
Résistance
Les travaux dirigés par Avelin F. Aghokeng rejoignent une autre étude, publiée le 4 septembre dernier par la revue The Lancet.
Cette étude dirigée par Raph L Hamers constate que “après 15 ans d’intensification du traitement ARV, l’augmentation continue de la résistance aux médicaments anti-VIH dans de nombreux pays à faible revenu et à revenu intermédiaire constitue une menace croissante pour la riposte au VIH, avec le potentiel d’accroître la mortalité, l’incidence du VIH et les coûts”.
A en croire Anton Poznaik, les causes de cette résistance sont multiples, la principale étant le non-respect de la posologie. “Ce qui signifie que la personne avait oublié de prendre un traitement, qu’elle ne voulait pas le prendre, qu’elle ne pouvait pas se le payer, qu’elle avait du mal à aller à la clinique ou qu’il y a eu des effets qui l’ont amenée à arrêter le traitement”, explique-t-il.
Le président de l’IAS ajoute que des problèmes de programmation tels que des ruptures de stock et des lignes d’approvisionnement sont également parmi les causes de la résistance aux ARV.
En tout état de cause, conclut l’étude publiée dans The Lancet, “pour atteindre les objectifs mondiaux de l’Onusida, des stratégies renforcées sont nécessaires pour améliorer la qualité des services de traitement antirétroviral et la durabilité des schémas thérapeutiques disponibles et pour lutter contre la résistance”.
En ce qui concerne le cas spécifique du Cameroun, Avelin F. Aghokeng indique que “distribuer simplement les ARV ne suffit pas”.
“Les programmes nationaux de prise en charge doivent aussi s’améliorer, en prenant davantage en compte toutes les régions du pays, les zones urbaines et rurales, en réduisant les ruptures de stock de médicaments et réactifs. Et pour cela il faut une mobilisation permanente”, suggère en outre le chercheur.
Avec scidev