Les Commissions départementales de supervision, responsable des compilations des procès-verbaux des bureaux de vote avait passé le relais à la commission nationale de recensement général des votes qui a déposé sa copie le samedi 13 octobre 2018.
Elle a passé ainsi le témoin au Conseil constitutionnel. Celui-ci disposait de 5 jours pour vider les 18 recours relatifs à la présidentielle du 7 octobre 2018. Les audiences sur les contentieux, en direct sur la Crtv News que les autres chaînes privées ont pris en relais, ont commencé le 16 octobre à 11h pour s’achever le 19 octobre à 2h00 du matin.
En moins de 5 heures d’horloge, 16 contentieux ont été vidés et jugés « irrecevables ». Il ne restait plus que 2 à savoir : ceux des candidats Maurice Kamto et Joshua Osih. Le recours déposé par Maurice Kamto a commencé par la récusation de 5 membres du Conseil constitutionnel, dont le président Clément Atangana, pour des raisons « d’incompatibilité » avec leur fonction. Le Conseil a considéré que le requérant n’avait pas qualité car seul Paul Biya qui nomme ou les membres nommés peuvent récuser ou se récuser.
Les deux contentieux qui ont tenu en haleine toute l’opinion publique nationale et internationale, concernait justement ceux relatifs à l’annulation partielle et totale du scrutin du 7 octobre 2018 exigé respectivement par Maurice Kamto et Joshua Osih. Nous n’insisterons ici que sur celui qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive pour des raisons d’actualité : le contentieux sur l’annulation partielle de Maurice Kamto.
Ainsi, la longue série d’argumentations développée par le collège d’avocats de Maurice Kamto avec pour point d’ancrage la mise à nu des « faux » procès-verbaux consistait à démontrer comment Elecam fait de Paul Biya, « candidat sortant » et candidat du RDPC (parti au pouvoir), le vainqueur de la présidentielle du 7 octobre 2018.
La requête de Kamto sur le contentieux pré-électoral
La requête de Maurice Kamto demandant l’annulation partielle du scrutin dans certains bureaux de vote concernait particulièrement 7 régions du pays. Son collège composé d’une dizaine d’avocats a eu la lourde tâche de démontrer les mécanismes de fraude à travers entre autres les affiches de campagne, le mode de financement, l’affichage des listes des électeurs, la publication de la liste des bureaux de vote, le retrait des bulletins de vote du candidat Akéré Muna qui a désisté pour le candidat Maurice Kamto.
Pour la réplique, le Directeur général adjoint d’Elecam, Abdoul Karimou, brandit l’article 132 alinéa (2) qui stipule que le candidat doit introduire des requêtes sur des « opérations de vote » qui selon lui, ne concernent que tout ce qui s’est passé le jour du scrutin, de l’ouverture des bureaux de vote jusqu’au dépouillement. Donc, le Conseil constitutionnel n’est compétent que sur les contentieux électoraux et non pré-électoraux ou post-électoraux.
L’entrée en scène des « faux » procès-verbaux
Ce qui va mettre l’opinion en émoi au cours de cette audience, c’est bien évidemment la démonstration sur ce que Me Michelle Ndoki a appelé « faux procès-verbaux ». La stratégie qu’elle a choisie consiste à démontrer en quoi les « procès-verbaux » provenant de la Commission nationale de recensement général des votes sont falsifiés.
La « guerre » qui oppose le MRC, parti politique de Maurice Kamto, et Elecam, organisateur du scrutin, devant le Conseil constitutionnel est plus qu’édifiante. Il se passe que la Commission nationale de recensement général des votes (CNRGV) a reçu des PV provenant des 58 Commissions départementales de supervision (CDS). Chacune de ces commissions départementales a rédigé des PV sur la base des PV provenant des Commissions locales de vote (CLV).
Il faut préciser ici que dans chaque commission (commission locale, départementale et nationale) tous les candidats à la présidentielle sont représentés par une personne de leur choix. Et chaque représentant dispose d’un exemplaire de PV à la fin des travaux de synthèse de chaque commission.
Pendant les séances de travaux de la commission nationale, le représentant du candidat Maurice Kamto, Alain Fogue, en l’occurrence, constate que sur les 58 PV provenant des commissions départementales, il y a 32 qui présentent des irrégularités. Parmi elles, on peut citer par exemple l’absence de signatures sur certaines pages comportant des statistiques des votes. Il se pose alors un doute sur l’authenticité des PV provenant des commissions départementales.
Alain Fogue a-t-il « piégé » Elecam ?
Les travaux de la Commission nationale de recensement général de vote (présidée par Emile Essombè, membre du Conseil constitutionnel) consiste à faire le décompte général des votes, au vu des procès-verbaux et des pièces annexes transmis par les 58 commissions départementales de supervision. Pour ce faire, Emile Essombè a tout simplement procédé à la photocopie de quelques pages comportant des statistiques qu’il a remis à la vingtaine de membres de commission nationale présents. Curieusement, Alain Fogue, le représentant de Maurice Kamto dans la commission nationale, constate que, sur ces pages photocopiées, 32 PV manquent de signatures des membres siégeant en commissions départementales.
Il faut préciser ici que l’intérêt des signatures page par page, surtout celles contenant des statistiques des votes, est d’éviter des doutes sur l’authenticité des PV. L’absences des signatures constituerait alors une irrégularité. Les pages qui comportent des signatures peuvent être substituées pour être remplacées. Cette substitution a pour objectif de mettre des pages qui comportent de fausses statistiques donnant le candidat sortant Paul Biya vainqueur. D’où l’expression de « faux PV » utilisée par Me Michelle Ndoki, avocate appartenant au collège constitué par Maurice Kamto.
L’avocate s’est saisie des photocopies qu’elle a brandies en mondovision au cours de l’audience du Conseil constitutionnel présidée par le magistrat Clément Atangana. Emile Essombè ne va pas du dos de la cuillère pour traiter Me Michelle Ndoki de « menteuse » en arguant que ces photocopies étaient loin d’être de véritables PV.
Qui a peur des « vrais » PV ?
A la question de Clément Atangana de savoir comment Me Michelle Ndoki a-t-elle eu ces photocopies, à elle de répondre que celles-ci ont été remises au représentant de Maurice Kamto par le président de la commission nationale de recensement général des votes, Emile Essombè. Ces pages douteuses comportant des statistiques des votes ont été prises en compte par Emile Essombè dans le décompte général des votes. Elle et ses confrères exigent alors au Conseil constitutionnel la présentation des originaux des 32 PV séance tenante en vue d’une confrontation avec des photocopies que Emile Essombè, curieusement, conteste.
Cela permettra non seulement de savoir si les pages comportant des statistiques ont été signées par tous les membres des commissions départementales, mais également si les photocopies brandies par Me Michelle Ndoki sont effectivement conformes aux originaux.
De deux choses l’une :
si les photocopies sont conformes aux originaux des 32 PV, alors Me Michelle Ndoki aura raison et l’argument de l’annulation de l’élection serait fondé pour PV non fiables parce que présentant des pages statistiques non signées ;
si les photocopies ne sont pas conformes aux originaux des 32 PV, deux cas peuvent se présenter : soit les originaux comportent des signatures avec les statistiques identiques des photocopies (hypothèse peu probable), soit les originaux comportent des signatures avec les statistiques différentes de celles des photocopies (hypothèse probable). Alors, dans tous les cas, Me Michelle Ndoki aurait toujours raison et l’argument de l’annulation de l’élection fondé pour PV non fiable.
Paradoxalement, Clément Atangana persiste et exige aux avocats du candidat de prouver que les statistiques pris en compte par Emile Essombè et qui, vraisemblablement, donneraient la victoire à Paul Biya sont fausses.
Petites réflexions sur la notion de preuve en droit
A la fin de cette audience, pour faute de preuve, Maurice Kamto a été débouté par le Conseil constitutionnel. Du coup, la question que tout le monde se pose est alors celle de savoir à qui revenait la responsabilité de présenter les PV originaux ? Les avocats et les juristes restent toujours divisés sur la production de la preuve en droit. Voici deux points des juristes qui nous expliquent les mécanismes de la manifestation de la vérité, ou les mécanismes de la production de la preuve en droit.
1. Les preuves en droit pour les nuls (par Christian Ntimbane Bomo)
En droit, quand vous produisez un document comme moyen de preuve, par exemple une photocopie appelée preuve secondaire, c’est à la partie qui conteste son authenticité d’apporter le document authentique qui va démontrer que le document photocopié est faux, et non le contraire. La photocopie est et demeure un moyen de preuve, comme je l’ai dit, secondaire. C’est une preuve qui ne peut être remise en question que par un original. L’équipe du professeur (ici Maurice Kamto, ndlr) ayant produit des photocopies comme preuve secondaire à travers Me Ndoki, il revient maintenant à la commission nationale d’apporter les originaux pour démontrer que les photocopies, preuves secondaires, sont fausses.
2. Le fonctionnement des règles de charge de la preuve (Par Joseph Ngambi)
C’est l’application de l’adage « actori incumbit probatio« . Cela signifie que quiconque allègue un fait doit le prouver, que ce soit le demandeur ou défendeur. Ce n’est donc pas parce que je suis défendeur dans un procès que je dois rester les bras croisés. Je dois réfuter les faits allégués par le demandeur en soumettant la preuve contraire. Si, au lieu de contester et réfuter, j’allègue un autre fait, je deviens automatiquement demandeur pour cette allégation particulière et dois en établir le bien-fondé. C’est l’adage « Reus in excipiendi fit actor« . Donc, la charge de production pèse sur chaque partie. C’est un aspect de la charge de la preuve.
Pour ce qui est de la charge de persuasion, un autre aspect de la charge de la preuve, ce n’est que si le juge a un doute, après avoir soupesé toutes les preuves, y compris celles qu’il a recherchées lui-même du fait de ses pouvoirs d’investigation, qui fera succomber la partie qui a allégué le fait spécifique en cause. Elle aura donc succombé pour n’avoir pas convaincu le juge de l’existence des faits qu’elle allègue, au regard de l’ensemble de la preuve produite. Une fois de plus, quiconque allègue un fait doit le prouver. Cela implique une charge de production de la part de toutes les parties en cause, y compris le juge avec ses pouvoirs d’investigation, mais aussi une charge de persuasion sur la partie alléguant le fait, si les preuves n’étaient pas suffisamment convaincantes.
En l’espèce, le Conseil constitutionnel aurait dû commencer par demander au MRC (le parti politique qui a investi Maurice Kamto, ndlr) de soumettre les preuves de ses allégations, puis il aurait incombé au RDPC (parti politique au pouvoir qui a investi Paul Biya) et à Elecam (organisateur du scrutin) de produire la preuve contraire. Il devait ensuite demander à Elecam de fournir les PV souches de ses travaux, ceux directement sortis des urnes, ainsi que les feuilles d’émargement des électeurs. Étant donné que l’authenticité des PV soumis par Elecam a été fortement mise en cause par le MRC, il aurait dû faire une comparaison, recourir si possible à l’expertise afin d’accéder à la vérité. Il n’a rien fait de tout ceci, se contentant de dire que le MRC n’a pas établi la preuve, donc a succombé à la charge de la preuve. Au regard des règles de fonctionnement de la charge de la preuve rappelées plus haut ainsi que du rôle du juge à cet égard, il convient de dire que le Conseil constitutionnel a erré.
Que chacun se fasse donc une idée sur la victoire de Paul Biya sur la base des PV douteux ou comme le dit Me Michelle Ndoki, les « faux PV ».
* Tchakounte Kemayou, Chercheur et doctorant en sociologie à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Douala.
Avec cameroonmagazine