À sept mois de la présidentielle, le chef de l’État camerounais, Paul Biya, réorganise ses troupes. Et tout laisse à penser qu’il va briguer un septième mandat.
Hospitalisé dans une clinique helvétique, Martin Belinga Eboutou devait rentrer au Cameroun le 1er mars. Mais ce jour-là de fortes chutes de neige ont contraint l’aéroport de Genève à fermer, obligeant le directeur de cabinet du président Paul Biya à reporter son voyage au lendemain. C’est peu après son arrivée à Yaoundé qu’il apprendra par la radio que le remaniement, attendu depuis des mois, a finalement eu lieu et qu’il est limogé.
Rien de bien dramatique dans le fond. Préoccupé par ses ennuis de santé, Belinga, 78 ans, avait demandé à être relevé de ses fonctions. Sans doute aurait-il apprécié d’être prévenu. Mais depuis 1989 qu’il travaille dans l’ombre de Paul Biya il sait que, dès lors qu’il s’agit de réajuster l’écheveau politique qu’il a conçu, le président ne fait pas de sentiments. Pour l’ex-grand chambellan, l’humiliation a davantage été d’apprendre qu’il allait devoir céder les clés de l’intendance à l’un de ses plus féroces détracteurs, l’ambassadeur du Cameroun en France, Samuel Mvondo Ayolo, 61 ans.
Autorité et volontarisme
À Yaoundé, l’arrivée de ce « jeune » diplomate de carrière à quelques mois de l’élection présidentielle est vue par certains comme un ajustement préalable à une nouvelle candidature de Paul Biya. Les mêmes relèvent que, au sein de son gouvernement remanié, le chef de l’État a eu soin de recruter des gladiateurs décomplexés, prêts à tout pour emporter la victoire en octobre 2018, alors même que, étant donné l’âge du capitaine (85 ans) et son long bail à la tête du pays (35 ans), beaucoup réclament son départ à la retraite.
Pour aborder ce rendez-vous crucial, le président paraît vouloir insuffler autorité et volontarisme. Il est vrai qu’il faudra de la détermination pour organiser un scrutin dans un pays soumis à des vents contraires, aussi bien dans le Sud-Ouest et le Nord-Ouest, berceaux du séparatisme anglophone, que dans l’Extrême-Nord, toujours menacé par les bombes humaines de Boko Haram.
Paul Atanga Nji est le premier anglophone nommé à la tête d’un ministère de souveraineté
Les indicateurs sociaux se sont dégradés, l’économie a été placée sous la tutelle libérale du FMI, et les promesses de campagne du candidat Biya paraissent de moins en moins réalisables. Qu’importe, il veut – selon toute vraisemblance – briguer un nouveau mandat et attend donc de son gouvernement qu’il fasse rapidement ses preuves.
D’où le choix de recruter des hommes au tempérament explosif, qui ne s’embarrassent pas de fioritures pour trancher dans le vif, à l’instar de Paul Atanga Nji. Cet anglophone « biyaïste » bon teint et sans nuances, féru de thématiques sécuritaires, est désormais le patron du corps préfectoral. En tant que ministre de l’Administration territoriale, il sera en octobre prochain le principal interlocuteur gouvernemental d’Elections Cameroon (Elecam), l’organe chargé d’organiser le scrutin. Il est aussi le premier anglophone nommé à la tête d’un ministère de souveraineté.
Crise anglophone
Face à la tentation séparatiste, Paul Biya a choisi de manier la carotte et le bâton : d’une part, il renforce la réponse sécuritaire et, dans le même temps, il brise le plafond de verre qui entravait l’ascension des Camerounais d’expression anglaise. Jusqu’ici ministre délégué auprès du ministre des Finances, Paul Eloung Che, 50 ans, devient secrétaire général adjoint à la présidence, tandis que Pauline Egbe Nalova Lyonga, l’ancienne rectrice de l’université de Buéa (Sud-Ouest), est promue ministre des Enseignements secondaires.
Le président satisfait ainsi les revendications, mais prépare aussi la guerre en reprenant en main la gendarmerie, qui a subi de lourdes pertes sur le théâtre de la crise anglophone. Son patron, Jean-Baptiste Bokam, a appris son remplacement sur un lit d’hôpital parisien…
Dans le meilleur des cas, analyse-t-on à Yaoundé, il a été remercié pour raisons de santé, voire pour avoir le temps de préparer sa défense, alors qu’il est cité dans le scandale des détournements effectués au sein de la Banque internationale du Cameroun pour l’épargne et le crédit (Bicec), dont il préside le conseil d’administration. Il a été remplacé par Gallas Yves Landry Etoga, 43 ans, un diplomate issu du secrétariat général de la présidence.
Louis-Paul Motaze et Chantal Biya en force
Le maître de l’échiquier aime également et avant tout montrer toute l’étendue de son talent dans l’art de conserver le pouvoir. Deux pôles se renforcent à la faveur des ajustements du 2 mars. Le premier gravite autour de l’influent Louis-Paul Motaze. Son poste à la tête du ministère de l’Économie a été interverti avec celui de son homologue aux Finances, Alamine Ousmane Mey.
Après avoir manifestement donné satisfaction en pilotant les grands chantiers du septennat finissant, il va devoir trouver en urgence de quoi financer les élections et atteindre l’objectif de 1 845 milliards de F CFA (2,8 milliards d’euros) de recettes fiscales en 2018. Jugé trop précautionneux, Ousmane Mey n’était visiblement plus l’homme de la situation. Une chose est sûre : la permutation a renforcé Motaze, qui figure aujourd’hui parmi les hommes les plus puissants du Cameroun et compte parmi ses amis Samuel Mvondo Ayolo et le ministre des Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi. Régulièrement cité comme un possible prétendant à la succession du président Biya, Motaze est considéré comme moins clivant que ses rivaux.
Le second cercle qui se renforce à la faveur du remaniement est celui de la première dame, Chantal Biya. Ses proches déjà en place n’ont pas bougé, à l’instar du secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh. À l’origine cornaqué par Belinga Eboutou, ce dernier s’est finalement joint à l’amicale ethno-régionale du Centre-Est, qui se revendique de Mme Biya.
Organisateur chahuté de la Coupe d’Afrique des nations 2019, dont les chantiers accusent des retards inquiétants, le ministre des Sports, Pierre Bidoung Kpwatt, est aussi maintenu à son poste. Et d’autres membres de la garde rapprochée de la première dame ont été promus, comme Joseph Le, désormais ministre de la Fonction publique. Quant à son proche collaborateur, Osvalde Baboke, il lui succède au poste de directeur adjoint du cabinet civil.
Cette influence intacte voire grandissante de Chantal Biya n’est pas passée inaperçue à Yaoundé. Certaines mauvaises langues font volontiers remarquer que son aura augmente avec l’âge de son mari. Et d’autres que, pas plus que son époux, elle ne paraît disposée à s’éloigner du pouvoir.
L’adieu du séminariste
Affaibli par la maladie, l’un des derniers séminaristes de l’entourage présidentiel se retire. Avec ses airs de paroissien, Martin Belinga Eboutou aura « régné » dans l’ombre du président depuis 1989, date à laquelle Paul Biya en avait fait le directeur du protocole d’État.
Il avait par la suite rejoint le cabinet civil, un maroquin d’une importance relative de prime abord, mais en pratique un lieu stratégique au sein d’un système où le chef de l’État, peu accessible et gouvernant à distance, transmet ses instructions par l’entremise d’une poignée de collaborateurs.
Discret, courtois, doté d’un sens politique aigu, il pouvait s’autoriser à préciser la pensée de Paul Biya. Comme il pouvait « oublier » de rappeler une personne à qui le président avait promis un vague « je vous verrai ».
Avec jeuneafrique