Après plus de 30 années passées à la présidence de la Confédération africaine de football (CAF), son président Issa Hayatou est de nouveau en lice ce jeudi 16 mars 2017, pour un nouveau mandat, le 8e du genre pour celui qui règne en maître absolu sur la planète foot africaine. Une longévité qui s’explique par le pouvoir qu’il a pu capitaliser au fil des années mais aussi de son entregent qui font de lui, une des personnalités les plus influentes du continent et même au delà.
Si le monde du football africain était une République, son président se classerait dans la short-list des chefs d’Etats ayant le plus duré au pouvoir. Cela fait exactement trente années qu’Issa Hayatou trône au royaume du foot africain, un règne sans partage qu’il n’est pas encore prêt à laisser. Le camerounais est en effet de nouveau candidat à un nouveau mandat de cinq ans pour la période 2017-2021. L’élection est prévue en mars à l’occasion du congrès de l’instance panafricaine en charge de la gestion du football continental, la Confédération africaine de football (CAF).
La démocratie au sein de la CAF ressemble à bien des égards aux pratiques en cours dans la scène politique de certains pays africains et le moins que l’on puisse dire c’est qu’Issa Hayatou partage également et à bien des égards, beaucoup de choses avec ces présidents qui usent de tous les artifices pour se maintenir au pouvoir. Ce n’est pas pour rien que les mots qui reviennent à chaque fois que l’intéressé fait l’actualité sur le continent, c’est «empereur du football africain» ou mieux encore «dictateur». En 2015, par exemple, c’est avec ces qualificatifs que l’Union africaine des footballeurs (UAF) a tiré à boulets rouges sur la CAF et son président, accusés de «continuer à bafouer les règles les plus élémentaires de la morale, sous le prétendu respect de la démocratie».
L’association des footballeurs africains qui a vu le jour en 2001 afin de défendre les intérêts des professionnels africains, s’insurgeait à l’époque contre les décisions prises par la Confédération pour baliser un boulevard au maintien de Hayatou à la CAF. Alors que les textes imposaient jusque-là une limite d’âge fixée à 70 ans pour assumer les charges de président de l’organisation, ces dispositions ont été tout simplement révisées afin d’ouvrir la voie au maintien du titulaire en poste. Des manœuvres qui rappellent aussi les pratiques citées plus haut et par lesquelles bien des chefs d’Etat africains ont pu contourner certains principes démocratiques pour se maintenir au pouvoir, sans donner l’impression d’avoir sapé les règles. La preuve encore si besoin est: la dernière réforme des statuts de la CAF de septembre dernier, laquelle s’est traduite par la limitation du nombre de mandats à la tête de l’instance qui a été désormais ramené à trois. Sauf que la mesure ne prendra effet qu’à partir de cette année et surtout n’aura pas d’effet sur Issa Hayatou.
C’est ainsi qu’il pourra se présenter à nouveau pour se succéder encore à lui-même lors de l’élection de mars prochain avec comme seul adversaire déclaré jusque-là, un gros outsider, Ahmad Ahmad, le président de la fédération malgache de football. Un air de démocratie à la CAF derrière lequel se cache son président qui ne manque pas de mettre en avant, l’aspect «très démocratique» de cette limitation de mandat qu’il a initié ! Accueilli partout sur le continent comme un vrai chef d’Etat, Issa Hayatou est actuellement au summum de sa carrière. Devenu président de la CAF en 1988 deux ans après avoir intégré son comité exécutif, l’ancien président de la Fédération camerounaise de football (Fécafoot) est un véritable monument sur le continent où il est craint, critiqué et aussi adulé en particulier par ses fans, lesquels se comptent surtout au sein du Comité de la CAF et des différentes fédérations nationales membres de l’instance panafricaine.
Le président de l’UAF, l’algérien Mourad Mazar, ne manque d’ailleurs pas d’occasions pour fustiger la gestion du football africain par la CAF, lequel est «complètement travesti et kidnappé par cette horde incrédule qui fait des miracles pour les autres, omettant ainsi leurs concitoyens et aussi pour protéger leurs intérêts occultes». Et Issa Hayatou d’en prendre pour son grade, lui que l’UAF a qualifié de «marabout du football africain». Des critiques qui laissent de marbre le président de la FIFA car depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et Hayatou a traversé d’autres zones de turbulences, sans pourtant courber l’échine et réussissant même à redorer son blason comme cet intérim à la tête de la FIFA qu’il a assumé d’octobre 2015 à février 2016 à la suite du scandale qu’a connu la puissante instance footballistique mondiale dont Hayatou est le vice-président sénior ayant été le plus longtemps en exercice.
Un président aux multiples casquettes
Même au sein de la FIFA, qu’il a rejoint en 1992 et dont il a essayé sans succès de briguer la présidence en 2002, le président de la CAF est un personnage à part. Il est vrai que la CAF, avec ses 55 associations membres sur 209, est la confédération la plus importante de la FIFA en terme de voix mais l’influence de Hayatou au sein de la fédération des confédérations s’explique plus par les multiples casquettes dont il dispose en son sein. C’est ainsi qu’en plus de son poste de vice-président, il préside ou est membre de plusieurs commissions permanentes de la fédération internationale. Il est ainsi, président de la puissante Commission des finances et celle non moins importante des relations avec les associations membres en plus de diriger la commission en charge de l’organisation des compétitions de la FIFA notamment la Coupe du monde.
Hayatou est également vice-président sénior du Conseil de la FIFA, de son Comité d’urgence et de sa commission stratégique en plus de siéger au sein de la sous-commission rémunération. Des postes qui s’ajoutent à son titre de président de la CAF et qui renforcent sa force de frappe surtout avec les émoluments qui en découlent. Si son salaire à la CAF est un secret assez bien gardé, en raison peut-être de son étendue, rien qu’au niveau de la FIFA, sa rémunération annuelle peut se situer aux bas mots à 3 millions de dollars soit un peu moins que le président de l’instance si on y inclut les indemnités et autres traitements connexes. Selon le dernier rapport annuel financier publié par l’organisation, en 2015 le président de l’époque de la FIFA a reçu un traitement global s’élevant à 3.634.857 dollars soit «la rémunération la plus importante versée à un membre du Comité Exécutif pour l’année».
En sa qualité de membre du Comité Exécutif de la FIFA, par exemple, Issa Hayatou, reçoit un traitement fixe de 300.000 dollars par an, en plus des indemnités journalières de 250 dollars pour toute la durée de l’exercice de ses fonctions. Et comme président de la Commission des Finances, il a droit à une rémunération fixe de 500.000 dollars qui vient s’ajouter à son salaire de base de membre du Comité Exécutif. En somme une rémunération confortable et surtout une influence certaine qui lui permet de s’imposer au sein de la CAF car ses multiples tâches et responsabilités au sein de la FIFA lui en donnent largement les occasions. La commission des finances a un droit de regard pour tout ce qui concerne la gestion financière et la répartition de l’énorme budget de la vieille dame de Zurich, 930 millions de dollars en 2015, et c’est cette même commission qui fixe les rémunérations des membres du comité exécutif ainsi que du personnel administratif de la FIFA.
Mieux, sa présidence de la Commission stratégique lui donne encore plus d’influence. Cette dernière s’occupe certes et comme son nom l’indique, des stratégies globales et de la situation politique, économique et sociale du football au niveau mondial, mais c’est aussi et surtout elle qui supervise les projets et programmes de la FIFA à destination des fédérations nationales membres. C’est le cas pour ce qui est du programme de développement des confédérations qui attribue à titre illustratif pour le cycle 2015-2018, une assistance financière supplémentaire de 5,5 millions de dollars par an en plus des contributions financières normales de la FIFA à ses associations membres.
De même, c’est cette commission qui est chargé de la mise en œuvre du Programme Goal, lequel offre un financement qui peut atteindre 600.000 dollars pour l’exécution «des projets sur mesure» à l’endroit des fédérations nationales et régionales. C’est par ce programme qui est très convoité par les fédérations africaines qui trouvent ainsi de quoi financer la rénovation ou la construction d’infrastructures administratives et sportives ; des formations aux administrateurs, entraîneurs, arbitres et médecins du sport. Autant de cordes à l’arc de Hayatou et dont il sait si bien user pour parvenir à ses fins. La fâcheuse parenthèse de 2015 qui s’est soldée par l’éviction de son ancien compère, Joseph S. Blatter, le président déchu de la FIFA, a permis de le remettre en selle alors qu’il était lui-même cité dans plusieurs affaires de corruption.
Imperméable donc aux critiques mais aussi insubmersible lors des mauvaises passes même si Issa Hayatou a été condamné en 2001 dans une autre affaire de «gros sous», pour de l’argent perçu illégalement même s’il s’en est toujours défendu, en sa qualité de membre du comité exécutif du Comité international olympique (CIO), une autre instance au sein de laquelle il siège toujours. Cet épisode est l’une des taches sombres de sa carrière même si les scandales où il est cité sont légions mais sans jamais aboutir à une condamnation judiciaire comme l’affaire dévoilée en mai 2014 par le journal britannique Sunday Times. Ce dernier avait accusé Issa Hayatou d’avoir perçus des pots-de-vin d’une valeur de 5 millions de dollars du Qatar dans le cadre de l’organisation de la Coupe du monde 2022 que l’émirat du golfe va accueillir. En dépit des documents rendus publics par plusieurs médias, l’affaire a fini par s’éteindre comme elle est apparue. Avec beaucoup de bruits et une polémique !
Ambitions renouvelées pour le futur
A 70 ans, le natif de Garoua dans le nord du Cameroun, continue d’afficher de nouvelles ambitions pour le football africain et l’explosion des moyens financiers de la CAF qui vont de nouveau monter en flèche à partir de cette année, lui donne l’opportunité et l’occasion. Ce qui est certain et qui fait presque consensus dans la sphère footballistique continentale, Issa Hayatou n’est pas prêt de tirer sa révérence à cours terme. Fin tacticien et politicien avéré, il a pu verrouiller tout le système, écartant au passage ses potentiels rivaux ou ceux qui en rêvaient comme l’ancien président de la Fédération ivoirienne de football (FIF). Le malheur de Jacques Anouma, a été d’avoir envisagé de « devenir chef à la place du chef » à l’occasion de la 35 e ‘Assemblée générale de la CAF mars 2013 qui s’est tenue à Marrakech au Maroc.
En dépit des arguments juridiques et de la probabilité de sa victoire puisque la limitation d’âge qui prévalait à l’époque constituait un handicap pour le président-candidat, Anouma qui était pourtant proche du président de la CAF, s’est vu sanctionné par la Confédération. Les différents recours déposés devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) ont par la suite tous été rejetés et pour enfoncer son rival, Hayatou est allé jusqu’à saluer «la conduite exemplaire des membres de la CAF dans le traitement du dossier Anouma». Il convient d’ailleurs de rappeler qu’en ce temps déjà et alors qu’il avait été réélu pour un 7e mandat, Issa Hayatou avait promis que c’était le dernier et qu’il ne changerait pas les statuts de l’organisation. Un air de déjà entendu quelque part sur le continent comme l’argument qu’il a mis d’ailleurs en avant. «Cette fois, ce sera mon dernier mandat. On ne changera pas les statuts. Je voulais partir, mais mon équipe m’oblige à rester» avait-il alors promis jurant que «la CAN 2017 sera sa dernière compétition». On connait la suite…
L’homme fort du continent
Celui qu’une certaine presse qualifiait de «Blatter africain» a visiblement dépassé le maitre en s’extirpant, sans trop de casses, de nombreux scandales de corruption qui ont émaillé sa carrière surtout ces dernières années. L’homme fort du Caire, où siège la CAF, semble même avoir retrouvé une nouvelle virginité au sortir du dernier épisode qui a eu raison de son ancien mentor qui est désormais et depuis décembre 2015 sous le coup d’une suspension de huit années. Issa Hayatou n’aime pas les contradictions et n’hésite pas à le faire savoir au besoin surtout pour ce qui concerne le football africain, un royaume dans lequel il n’entend nullement partager son immense pouvoir.
Son influence est telle que même les Etats n’arrivent pas à le faire plier comme certains pays en ont fait l’amère expérience ces dernières années. Quelques exemples suffisent à prouver de quoi est capable le camerounais et jusqu’où il peut aller pour assouvir ses ambitions. A la moindre tentative des autorités d’interférer dans «son domaine», le président n’hésite pas à brandir la carte de «l’ingérence» et à menacer de sanctionner. C’est pourtant ces Etats qui financent à grand frais les sélections nationales de leurs pays, ce qui vu de la présidence de la CAF est loin d’être un blanc-seing pour interférer dans ce que Hayatou a fini par ériger en «domaine réservé». En 2015, la Tunisie s’est vue dans l’obligation de présenter ses excuses officielles à Hayatou pour qu’elle puisse participer aux éliminatoires de la CAN 2017. C’était la condition imposée par la CAF à la suite d’un litige entre son président et la fédération tunisienne de football (FTF).
Le différent portait sur des accusations proférées par les tunisiens à la suite d’un pénalty douteux accordé dans les derniers minutes de jeu à la Guinée équatoriale lors d’un match avec l’équipe du pays. L’arbitre mauricien Seechun Rajindrapasard qui officiait durant la rencontre a pourtant été bel et bien sanctionné par la CAF pour «sa très faible performance» mais la Tunisie a été sommée de s’excuser sous peines de sanctions. Ce qui fut fait. Récemment, c’est le Maroc qui été sanctionné pour avoir décidé de reporter la tenue de la CAN 2015 qui devait se tenir en janvier de la même année en invoquant «un cas de force majeure», la crise d’Ebola qui sévissait en Afrique de l’Ouest. Ce n’est pas la décision de la CAF qui a le plus choqué les fans de football africain, mais l’argument mis en avant par Hayatou pour justifier le maintien aux dates prévues de la compétition dans un autre pays. Le président de la CAF avait mis en avant le respect des contrats avec les sponsors ainsi que les pertes que la CAF accuseraient en cas de report.
La CAN 2015 s’est finalement tenue au Gabon et en Guinée Equatoriale, après que Hayatou ait envisagé toutes les pistes, jusqu’à une délocalisation au Qatar ! Le Maroc a été lourdement sanctionné avant que le TAS n’atténue la sentence. En janvier 2010, c’est une autre affaire qui a soulevé de vives critiques contre le tout puissant de la CAF. Victime d’une attaque de son bus, laquelle a fait deux morts, l’équipe togolaise qui participait à la CAN 2010 en Angola, a décidé de suspendre sa participation et de regagner son pays pour un deuil national décidé par les autorités. La CAF n’a pas tardé à sortir de ses gongs en qualifiant cette décision « d’interférences gouvernementales » avant de sanctionner le Togo d’une suspension de quatre ans qui a fort heureusement été par la suite annulée par la FIFA. Des polémiques en séries sur lesquelles le président de la FIFA botte toujours en touche et lorsque les critiques prennent de l’ampleur, Hayatou n’hésite pas à sortir l’artillerie lourde.
«La presse dramatise toujours, surtout la presse occidentale. Quand quelque chose se passe en Europe, ils disent que c’était une erreur, quand c’est en Afrique, ils parlent de la corruption», a par exemple, estimé en 2015 Issa Hayatou. Ainsi est le roi du football africain, fier de sa «noble lignée» de prince africain. Celui qui a débuté sa carrière sportive par l’athlétisme a fini par s’imposer et imposer sa griffe sur la planète footballistique continentale et s’il y a un mérite qu’on ne saurait guère lui dénier, c’est justement la dynamique qu’a connue la CAF sous son long magistère qui est encore loin de se terminer…
Avec latribune