Après avoir longtemps privilégié l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie, les entrepreneurs égyptiens en quête de nouveaux marchés l’ont bien compris : l’avenir de leurs compagnies passe par le continent.
La naissance de la Tripartite à Charm el-Cheikh, le 10 juin, est tout un symbole. Après cinq ans de négociations, c’est en Égypte que 26 pays du continent ont en effet signé le traité de libre-échange entre le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa), la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), soit un marché de plus de 625 millions d’habitants et 1 000 milliards de dollars de PIB (environ 900 milliards d’euros). « Un pas important dans l’histoire de l’intégration régionale de l’Afrique », soulignait Abdel Fattah al-Sissi, fier d’accueillir l’événement, qui confirme le rôle de leader retrouvé par l’Égypte sur la scène continentale.
Un mois après son élection, fin juin 2014, le président Sissi avait effectué une première tournée africaine qui l’avait mené en Algérie, au Soudan, puis en Guinée équatoriale pour participer au sommet de l’Union africaine. Il y avait été reçu avec les honneurs alors que l’Égypte réintégrait l’organisation, près d’un an après en avoir été temporairement exclue à la suite de la destitution de Mohamed Morsi. À Malabo, rappelant les liens historiques de l’Égypte – qui a soutenu les indépendances dans les années 1960 ou encore la lutte anti-apartheid dans les années 1980-1990 – avec le continent, il a réaffirmé que son pays ne se dissocierait pas du panafricanisme, qu’il a qualifié d’« essentiel pour [son] développement ». Y compris sur le plan économique.
Les échanges de l’Égypte avec le continent ont représenté à peine 2 % de ses exportations en 2013.
Les grandes entreprises se tournent vers l’Afrique
L’Égypte, qui s’était de plus en plus tournée vers les marchés de l’Union européenne – son premier client -, du Moyen-Orient et de l’Asie – en plein essor -, tient à renforcer ses positions en Afrique. Selon un rapport de la Banque centrale égyptienne, les échanges du pays avec le continent ont représenté à peine 2 % de ses exportations en 2013 (soit un peu plus de 430 millions d’euros).
Une contre-performance à laquelle les entreprises publiques et privées comptent bien remédier en développant de nouveaux marchés et en redéployant leurs activités au Maghreb et en Afrique subsaharienne, où certaines d’entre elles sont présentes depuis plusieurs décennies, en particulier dans les secteurs de l’énergie, des télécommunications, du dessalement et du traitement des eaux, de la production de ciment et de la sidérurgie.
Parmi ces « champions nationaux », citons Elsewedy Electric, actif dans une quinzaine de pays africains, ou encore The Arab Contractors. Présent notamment en Guinée équatoriale, au Tchad et en Éthiopie, ce géant du BTP assure, entre autres, l’aménagement du réseau routier des aires métropolitaines de Yaoundé et de Douala, au Cameroun, ainsi que la construction du ministère des Finances et de plusieurs grands projets immobiliers en Algérie.
Actif dans les télécommunications, la construction et l’hôtellerie, Orascom TMT, l’un des groupes égyptiens les plus diversifiés, est aussi devenu l’un des plus importants investisseurs en Afrique, imité dans sa quête de nouveaux marchés par d’autres leaders nationaux, comme Petrojet ou Ezz Steel.
Dans l’agroalimentaire, des entreprises privées comme Agrana Nile Fruits ou Al Nahrain for Food Products fournissent désormais les marchés d’Afrique et du Moyen-Orient en jus de fruits et en riz, tandis que Wadi Holdings, principal producteur de poussins et d’aliments pour volailles, a ouvert un site de production au Soudan.
En matière de business, là où certains voient des freins, il n’y a en réalité que des opportunités à exploiter ».
Les PME aussi
Depuis un an, les marchés africains ne sont cependant plus l’apanage ni dans le viseur des seuls grands groupes. Épaulées par l’Agence égyptienne de partenariat pour le développement en Afrique et par le réseau, très actif, des chambres de commerce égyptiennes, les PME se lancent elles aussi à leur conquête.
« En matière de business, là où certains voient des freins, il n’y a en réalité que des opportunités à exploiter », fait remarquer Alaa Ezz, secrétaire général de la Fédération égyptienne des chambres de commerce. Afrophile convaincu et défenseur du développement durable, Alaa Ezz illustre les relations d’affaires gagnant-gagnant qui se sont développées ces derniers mois : « De petites entreprises égyptiennes se sont regroupées pour se rendre dans différents pays africains. Elles vendent de la céramique ou des produits agro-alimentaires dans la monnaie locale et, au retour, s’approvisionnent en produits locaux : par exemple, elles partent au Kenya avec des jus de fruits et reviennent avec du thé. »
Les TIC au premier plan
Mais c’est dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) que l’Égypte réalise sa plus belle percée. En moins d’un an, Raya Corporation, la plus grande entreprise du secteur au Moyen-Orient, installée au Caire, a signé d’importants contrats avec les éthiopiens IE Networks et Tahses ICT and Consultancy, ainsi qu’avec le nigérian Mayakorp. Par ailleurs, Hitekenofal, l’un des principaux fournisseurs de solutions intégrées pour les réseaux de communication en Égypte, a pour clients Batitech (Ghana), Websprix et Exceed IT Systems (Éthiopie), ainsi qu’Even Data et Hamms Engineering (Zambie). Et ce ne sont que quelques succès parmi bien d’autres, puisque différents groupes égyptiens fournissent des solutions mobiles aux Nigérians, aux Ghanéens et aux Éthiopiens, trois des plus gros marchés en développement du continent.
TIC, agroalimentaire, BTP, énergie… Si ces secteurs ont le vent en poupe, pour beaucoup d’entreprises égyptiennes, l’entrée sur les marchés africains aurait été difficile, ou en tout cas moins rapide, sans accompagnement. En l’occurrence, les bonnes tendances à l’export dans ces domaines ont incité la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) à faciliter les échanges avec quinze pays africains et à accorder des facilités de crédit à hauteur de 577 millions de dollars au secteur du commerce égyptien pour la période 2012-2014, incluant des lignes de crédit, des garanties du risque-pays et des cessions de créances. Suffisamment pour permettre aux entrepreneurs égyptiens de se remettre à niveau dans la compétition des champions d’Afrique du commerce. Mais pour remporter ce titre, il leur faudra aussi composer avec la concurrence chinoise et turque, de plus en plus soutenue.
Avec Jeune Afrique