La troisième ville des États-Unis a mieux résisté que d’autres à la récente crise. Son secret : une incroyable diversité économique et, avant tout, la fierté d’être une métropole américaine bien ancrée dans la réalité quotidienne.
“Chicago, the working city”, autrement dit, “Chicago, la ville qui bosse !” C’est par ses mots que Richard Daley présentait la ville sur laquelle il a régné pendant un quart de siècle, jusqu’en mai dernier. Une façon de démontrer que la capitale de l’Illinois est loin, bien loin du bling-bling de Los Angeles ; bien loin également des excès des ‘années fric’ de Wall Street, à New York. Car Chicago, c’est l’Amérique des cols bleus, une cité qui affirme haut et fort son identité… américaine, laquelle s’inscrit ici en grand, en très grand même, dans la pierre, dans le verre et dans l’acier. Même si, avec la mondialisation, les superlatifs qui ont longtemps fait la gloire de la ville ont quelque peu perdu de leur superbe.
Grandeur et permanence
Ainsi, des décennies durant, Chicago a pu s’enorgueillir d’héberger la Sears Tower, le plus grand gratte-ciel de la planète qui a été rebaptisé Willis Tower à l’été 2009, lorsque la compagnie d’assurances britannique Willis Holding y a occupé 14 000 m2 de bureaux. Si les buildings d’Asie ont depuis projeté leurs ombres sur l’ex-Sears Tower, notamment l’impressionnante Burj Khalifa de Dubaï avec ses 828 mètres de hauteur, qu’importe. Car Chicago continue de proclamer qu’avec ses 442 mètres, sa Willis Tower reste la plus haute du monde occidental. Même tendance à la baisse à l’aéroport de O’Hare qui, pendant plusieurs dizaines d’années, fut la plate-forme la plus fréquentée de la planète… Jusqu’à ce qu’Atlanta lui ravisse le titre, dans les années 90. Pour autant, Chicago peut toujours se vanter d’être la plaque tournante des deux plus grosses compagnies américaines, United et American Airlines. Elle a même gagné haut la main sur Houston le privilège de conserver le siège de la holding issue de la fusion entre Continental Airlines et United.
1 ) Le Chicago Board of Trade règle le cours du commerce mondial des matières premières.
Malgré tout, pour beaucoup d’Européens, la prospérité de Chicago reste encore largement occultée par l’attrait et le prestige que dégage New York. “Mais, à y regarder de plus près, c’est en réalité le vrai moteur économique des États-Unis. Dans la ville et sa région, nous avons quelque 400 sièges sociaux de grandes sociétés, dont 28 classées au top 500 du magazine Fortune. Avec un PIB estimé à 480 milliards de dollars en 2009 (ndlr : 335 milliards d’euros), la région métropolitaine de Chicago serait le 20e pays le plus riche du monde si elle était indépendante, dépassant la Belgique ou la Suède !”, décrit Dennis Vicchiarelli, directeur de l’agence de promotion économique World Business Chicago, créée en 1999. Parler de la ville, c’est évoquer pêle-mêle le siège social de Boeing, de Motorola, de Caterpillar, des tracteurs John Deere, des assurances AON, de United Airlines, des hôtels Hyatt, du géant de l’alimentaire Kraft ou encore de l’incontournable McDonald’s !
Côté financier, la métropole est la troisième place américaine et se classe même au premier rang mondial pour la cotation des matières premières agricoles et des produits dérivés comme les carburants. Une puissance qu’incarne le Chicago Mercantile Exchange (CME) qui a fusionné en 2007 avec le Chicago Board of Trade. “Avec les tensions sur ces marchés, le CME est appelé à jouer un rôle encore plus important à l’avenir”, prédit Dennis Vicchiarelli.
Carrefour stratégique
Contrairement à d’autres villes du pays, New York en tête, Chicago a relativement bien résisté à la récente crise économique. “Le marché de l’immobilier a certes souffert et le chômage tourne autour de 10 %, exactement dans la moyenne du pays. Mais la ville a démontré sa résilience grâce à la diversité de son tissu économique et à la présence du plus grand centre logistique des États-Unis. Chaque jour, l’équivalent de 600 km de trains de marchandises part de Chicago à destination du reste de l’Amérique du Nord”, dit Pierre Bonnard, directeur d’UbiFrance à Chicago, l’antenne locale de la mission économique rattachée à l’ambassade de France.
La force de Chicago tient à sa position stratégique aux États-Unis. “De Chicago, on peut effectuer un aller-retour en avion vers n’importe quel point d’Amérique du Nord, poursuit le directeur de la mission économique. C’est ce que nous essayons d’expliquer aux entreprises françaises qui auraient tendance à lorgner seulement du côté de New York ou de la Californie. Pour une société ayant des activités rayonnant sur tout le continent, s’installer à Chicago est pourtant une évidence”. Cet argument de poids a su convaincre le groupe Véolia qui a choisi la métropole du Midwest pour accueillir son siège Environnement aux États-Unis.
1 ) L’ombre d’une statue de Picasso qui se projette sur le Daley Plaza, le premier “civic center” de la ville, ou le symbole d’une politique culturelle municipale des plus ambitieuses.
2 ) Le Loop, le très actif quartier des finances qui tire son nom du métro qui l’entoure, est le point de passage obligé de tout voyageur d’affaires.
Ce groupe n’est pas le seul à porter les couleurs de la France sur cette terre. Alstom, BNP Paribas, Danone, Publicis, Sanofi- Aventis ou Schneider Electric sont également présents à Chicago ainsi qu’une multitude de PME. Ce sont au total près de 115 sociétés françaises qui ont, de fait, élu domicile sur les bords du lac Michigan. Le consulat de France recense 3 000 Français officiellement enregistrés. Mais, en réalité, la population expatriée atteindrait plutôt la barre des 7 000 personnes.
“La ville qui bosse”
S’implanter dans la “working city” serait donc un choix judicieux. Notamment parce que les coûts restent bas. “L’immobilier y est bon marché et la crise a contribué à comprimer les prix. Ce n’est pas une blague, mais on se loge ici dans un bel appartement du centre-ville pour des loyers similaires à ceux que l’on trouve dans la banlieue d’une ville moyenne française”, souligne le directeur d’UbiFrance. De plus, les entreprises étrangères qui s’installent se sentent très vite à leur aise. “Si vous voulez travailler à Chicago et que vous avez de l’énergie et des idées, la ville et ses habitants vous accueilleront à bras ouverts. Il n’y a pas de place ici pour les a priori envers les étrangers. Pour preuve : on recense quelque 1 500 entreprises étrangères dans notre ville”, raconte Dennis Vicchiarelli.
En janvier dernier, la cité et son maire l’ont encore prouvé en mettant les petits plats dans les grands pour accueillir dignement le président chinois Hu Jintao, venu entouré d’ une armada de 450 chefs d’entreprises.Au programme de son passage dans la ville, Hu Jintao a visité un institut dédié à la philosophie de Confucius – un cas unique aux États-Unis – ainsi que des écoles secondaires où l’on enseigne le mandarin en deuxième langue. Une façon de montrer que Chicago pourrait bien se profiler comme la nouvelle porte d’entrée de la Chine aux États-Unis, en concurrence directe avec la côte Ouest. Les ouvertures successives de lignes passagers de Chicago vers Pékin (American Airlines) et Shanghai (United Airlines) attestent du développement en cours de cet axe Chicago-Chine.
3 ) Les hommes d’affaires croisent les accros du shopping de luxe sur l’artère chic du Magnificent Mile.
4 ) Frida Khalo, Tapiès ou Christo : ces artistes ont été exposés pour la première fois aux États-Unis au Museum of Contemporary Art, la plus grande collection d’art moderne du pays installée dans un bâtiment signé Josef Paul Kleihues.
Si sa suprématie industrielle et son rôle de plaque tournante ne sont plus à démontrer, il faut noter que Chicago est l’une des grandes capitales mondiales de la santé, avec notamment la présence du groupe Abbott, classé dans le top 10 de l’industrie pharmaceutique. La région est en parallèle un haut lieu de la recherche universitaire. “Sait-on que les universités et centres de recherche de notre ville ont donné au monde 96 Prix Nobel ?”, questionne Dennis Vicchiarelli.
Mais c’est pourtant là que résiderait le talon d’Achille de cette métropole à qui tout semble réussir. Car si la troisième ville des États-Unis s’apparente bien à un vivier de talents dans tous les domaines, y compris ceux de la création ou des nouvelles technologies, elle rencontre des difficultés à les conserver en ses murs. “On ne s’imagine pas le nombre d’inventeurs ou de créateurs originaires de Chicago. Mais c’est vrai qu’ils ont tendance à partir pour New York pour les industries de la mode et en Californie pour les technologies de la communication”, poursuit le directeur de World Business Chicago.
Dépasser la rigueur de l’hiver
L’attrait des palmiers et la douceur du climat californien seraient-ils des éléments irrésistibles face aux blizzards d’un hiver qui n’en finit pas sur les bords du lac Michigan ? “D’abord, l’hiver n’est pas aussi rigoureux qu’on l’imagine. Mais, en revanche, il est vrai que l’image ‘raisonnable’ que dégage Chicago peut être un handicap. Une agence de communication expliquait que, si New York est la ville qui ne dort jamais et San Francisco un îlot en dehors du réel, Chicago est l’exemple de la ville productive, aux épaules solides. Pourtant, en période de crise, c’est certainement un atout”, analyse le réprésentant d’UbiFrance.
Au début de l’année, le magazine Newsweek a décrit la ville comme l’une des plus excitantes d’Amérique, indiquant que la métropole avait définitivement rompu avec son statut d’éternel numéro deux derrière New York. Un plébiscite médiatique ; quasiment une consécration.
Avec : voyages-d-affaires