Urnes à moitié remplies de bulletins ou totalement vides, isoloirs… tout est empilé pêle-mêle dans ce camion, ainsi qu’une bonne vingtaine d’agents serrés comme des sardines.
A Bujumbura, dans la foulée d’élections boudées, on dépouille dans le cafouillage
Perché à l’avant d’un camion de l’armée burundaise, dans la cour d’un centre de vote du quartier de Musaga, foyer de la contestation contre le président Pierre Nkurunziza à Bujumbura, le responsable local de la Commission électorale presse ses agents de charger rapidement urnes et isoloirs.
“On a décidé de délocaliser les opérations de dépouillement pour des raisons de sécurité”, explique Napoléon Nimbesha, avant de sauter du camion pour aller encourager ses agents, jeunes gens et jeunes filles reconnaissables à leurs T-shirts et casquettes blanches à l’effigie de la Commission électorale.
“Il se fait tard, bougez-vous. Allez, allez!”, lance-t-il d’une voix de stentor.
Urnes à moitié remplies de bulletins ou totalement vides, isoloirs… tout est empilé pêle-mêle dans ce camion, ainsi qu’une bonne vingtaine d’agents serrés comme des sardines.
La scène se déroule lundi vers 17h30 (15h30 GMT), peu après la fin du vote pour les législatives et communales boycottées par l’opposition, sur le terrain de football du camp Muha, l’une des principales bases militaires de Bujumbura. Tous les bureaux de vote de Musaga y avaient été regroupés, déjà pour des raisons de sécurité.
Après une nuit ponctuées de nombreuses explosions de grenades et de crépitements d’armes, les autorités électorales et sécuritaires craignaient une attaque pendant le scrutin et le dépouillement.
Musaga a été l’un des quartiers les plus actifs dans la contestation populaire déclenchée par l’annonce de la candidature de Pierre Nkurunziza, déjà élu en 2005 et 2010, à un troisième mandat lors de la présidentielle qui doit suivre le 15 juillet. Et, malgré les dénégations des intéressés, le camp présidentiel affirme désormais que les anti-3e mandat sont armés.
– Les mêmes dépouillent, et observent –
Enfin chargé, le camion s’ébranle en direction du Lycée municipal de Rohero, en centre-ville, sous protection de soldats et de policiers le doigt sur la gâchette.
Une fois arrivé, le matériel est déchargé, puis posé dans la cour. Partout où porte le regard, on voit des centaines d’urnes empilés dans tous les sens.
Les agents électoraux arrivés bien en avance pour dépouiller dans les salles de classes courent désormais dans tous les sens, à la recherche d’instructions qui fusent de toutes part. Finalement, l’ordre est donné de travailler à la belle étoile. Des lampes à piles, prévues dans le kit de chaque bureau de vote, sont allumées.
“Nous avons un problème comme vous le voyez. Il n’y a (…) aucun observateur”, confie un président de bureau de vote sous couvert d’anonymat, vite coupé par un autre responsable électoral qui lui demande de ne pas parler de “ces choses”.
Mais le directeur du bureau de vote est bel et bien contraint de désigner dans son groupe de cinq agents électoraux deux de ses camarades, qui vont signer les procès-verbaux électoraux en tant que témoins, après avoir procédé au dépouillement eux-mêmes.
Le processus de comptage de voix se poursuit dans un brouhaha indescriptible. Certaines vont au parti au pouvoir (CNDD-FDD), d’autres à la coalition “Espoir des Burundais” (Amizero y’abarundi) dirigée par le principal opposant politique de Nkurunziza, Agathon Rwasa, qui boycotte pourtant les élections comme le reste de l’opposition.
“CNDD-FDD, CNDD-FDD, bulletin nul, Amizero y’abarundi…”, égrène le président du bureau de vote n°10, en sortant un à un les bulletins dédiés aux législatives.
Au bout de 10 minutes, l’opération est terminée: seuls 53 personnes sont venues voter dans le bureau, dont l’immense majorité n’étaient même pas inscrites sur les listes.
“Heureusement que les soldats (déployés pour la sécurité du scrutin) avaient le droit de voter là où ils se trouvaient, sinon ça aurait été catastrophique car on n’a eu que trois inscrits sur notre liste qui sont venus voter”, explique le directeur du bureau.
“Les habitants de Musaga ont boycotté massivement les législatives et les communales, les chiffres sont très impressionnants car plus de 80% des votants sont des soldats qui n’habitent pas ici”, renchérit un autre responsable électoral sous couvert d’anonymat.
Dans le bureau de vote n°10, le CNDD-FDD est finalement proclamé vainqueur, avec 52,1% des voix.
Un jeune agent lance alors d’un ton désabusé: “Musaga va être dirigé pendant cinq ans par le CNDD-FDD qui va recueillir moins de 300 voix sur les 14.500 inscrits de ce quartier. Je ne sais pas comment tout cela va finir”.
AFP