Face aux putschistes, le président de la transition n’a dû son salut qu’au soutien des unités loyalistes et à la capitulation du général Diendéré. Récit d’un face-à-face d’où le processus démocratique est sorti vainqueur.
À ses proches, Michel Kafando confiait avoir le sentiment de « marcher sur un fil ». Et comme il le redoutait, le fil a fini par casser. Ce n’est pas faute d’avoir été averti par de nombreuses personnes, y compris dans son entourage, que de graves menaces pesaient sur la transition, en particulier celle que représentait le régiment de la sécurité présidentielle (RSP).
Tout a commencé le 12 septembre. Quatre jours avant que les soldats en treillis léopard franchissent le Rubicon, Macky Sall, le président sénégalais, convoque en urgence un sommet extraordinaire des chefs d’État de la Cedeao consacré à la préparation des élections au Burkina, prévues pour le 11 octobre. Selon un participant, la réunion est tendue. Face à ses pairs qui le pressent d’assouplir les mesures d’exclusion électorale visant les candidats pro-Compaoré, Kafando reste ferme et affirme qu’il ne peut plus revenir en arrière.
« Son Excellence » enlevée et séquestrée
L’ancien diplomate est alors loin d’imaginer que les militaires du RSP utiliseront ce prétexte pour justifier leur putsch et l’interruption brutale du processus de la transition. Le mercredi 16 septembre vers 14 h 30, sept d’entre eux, menés par un capitaine, font irruption, kalachnikov à la main, dans la salle du conseil des ministres, au palais présidentiel de Kosyam. L’un d’eux s’approche du président : « Excellence, veuillez nous suivre, nous allons vous mettre en sécurité. » Isaac Zida, le Premier ministre, et Augustin Loada, ministre de la Fonction publique, sont priés de leur emboîter le pas. Tous les autres membres de l’exécutif sont forcés de remettre leurs tablettes et téléphones, puis de poser leurs mains sur la table. « Le premier qui bouge, on tire ! » menace un membre de la garde présidentielle.
Regroupés dans une salle du palais, Kafando, Zida et Loada sont rejoints par René Bagoro, le ministre de l’Habitat. Ils y subissent les moqueries et les menaces voilées des jeunes soldats chargés de leur surveillance. En fin d’après-midi, les quatre hommes sont séparés. Le chef de l’État est conduit, avec Bagoro, vers une petite maison, dans l’enceinte du palais. Ils sont enfermés dans une chambre meublée d’un seul lit double avec salle de bains attenante. Une panne de climatiseur rend l’atmosphère encore plus lourde. Jusqu’à la visite de Marie Kafando, l’épouse du président, venue lui apporter ses médicaments et des effets personnels, les deux hommes ne savent pas ce qu’il se passe à l’extérieur. Ils comprennent vite qu’il s’agit d’un coup d’État. « Le président regrettait que tous ses efforts aient été vains, confie son compagnon d’infortune. Il ne comprenait pas qu’on puisse faire cela à seulement quelques jours de l’ouverture de la campagne électorale. »
Durant toute sa séquestration, ses gardiens se montrent respectueux, continuant à lui donner de l’« Excellence » à chaque échange
Cette nuit-là, Michel Kafando, 73 ans, ne trouvera pas le sommeil. Il passera la nuit dans un fauteuil. Il s’inquiète surtout pour son Premier ministre, dont il sait que certains de ses ex-frères d’armes du RSP ont juré la perte depuis qu’il a envisagé la dissolution de leur régiment. Durant toute sa séquestration, ses gardiens se montrent respectueux, continuant à lui donner de l’« Excellence » à chaque échange. Le capitaine Abdoulaye Dao, présenté comme un des cerveaux du putsch, lui rend visite, pour s’assurer que « tout se passe bien ». Le général Gilbert Diendéré, en revanche, ne se montrera pas. Le patron historique du RSP, chef des putschistes, avait récemment pris ses distances avec le président. Ce dernier comptait lui proposer la direction d’une nouvelle agence nationale de renseignement, domaine de prédilection de l’ancien bras droit de Blaise Compaoré. Malgré trois propositions de rendez-vous, début septembre, pour évoquer ce nouveau poste, « Gilbert » ne s’est jamais présenté dans le bureau du chef de l’État.
De nature optimiste, Kafando ne voulait pourtant pas croire que Diendéré et les officiers de la garde présidentielle seraient capables de passer à l’acte. Il savaitZida menacé, mais se pensait à l’abri. Et ne s’est peut-être pas assez méfié. Selon l’un de ses proches, il entretenait une trop grande proximité avec quelques sous-officiers ou officiers du régiment, dont certains l’appelaient affectueusement « papa » ou « tonton ». Choqué et outré qu’ils aient osé interrompre la transition dans le sang, il n’a aujourd’hui pas de mots assez acerbes pour critiquer l’insubordination de ces jeunes soldats. Il a été aussi très surpris, puis furieux, de constater que certains des meneurs étaient des membres de sa sécurité rapprochée. Décrit comme le plus agressif des sept hommes ayant forcé la porte du conseil des ministres, l’adjudant Nion était jusque-là responsable de la sécurité des convois présidentiels…
Sous pression de la communauté internationale, les putschistes acceptent finalement de relâcher Michel Kafando après plus de vingt-quatre heures de séquestration. Dans la nuit du jeudi 17 au vendredi 18 septembre, on l’installe en résidence surveillée dans la maison du directeur général du Trésor public, une grande villa proche de la présidence où il réside depuis qu’il a pris la tête de la transition. « Il semblait déterminé à retrouver sa place, confie l’un de ses visiteurs. Il répétait qu’il avait été choisi pour organiser les élections et qu’il irait au bout de sa mission. » S’ensuivent trois jours d’une médiation infructueuse menée par Macky Sall et Thomas Boni Yayi, les présidents sénégalais et béninois, dépêchés à Ouagadougou pour trouver une sortie de crise. Leur projet d’accord, présenté comme un « compromis » (mais sur lequel les responsables de la transition burkinabè affirment n’avoir jamais été consultés), provoque l’ire des opposants au coup d’État. Y compris dans les casernes.
Face à la pression, Gilbert Diendéré rend les armes
En province, plusieurs jeunes chefs d’unités de l’armée de terre et de la gendarmerie, qui se connaissent depuis leur passage par le prytanée de Kadiogo ou l’académie militaire de Pô, décident, le dimanche soir, de lancer dès le lendemain une offensive coordonnée sur Ouagadougou. Objectif : contraindre les putschistes à déposer les armes. Le bruit de leur projet parvient vite aux oreilles de personnes bien informées. Au premier rang desquelles Gilbert Diendéré. « Le RSP nous a fait comprendre que, s’il y avait des tirs, le président serait immédiatement ramené à Kosyam. Il était donc clairement menacé », raconte un de ses proches. Préoccupés, ses collaborateurs se rapprochent de plusieurs chancelleries occidentales pour organiser son exfiltration. Les Américains, dont l’ambassade est située à quelques centaines de mètres seulement, sont les premiers contactés. Ils refusent de participer à une telle opération, invoquant un manque de moyens techniques et humains.
Une fois libéré, l’ancien numéro deux du RSP participe activement à la coordination des forces loyalistes face à ses adversaires putschistes
Le lundi 21 dans l’après-midi, alors que plusieurs unités loyalistes sont aux portes de la ville, Michel Kafando, convaincu qu’il est en danger, appelle l’ambassadeur de France pour lui demander de l’héberger. Directement informé, le président François Hollande donne son feu vert. Vers 20 h 30, après avoir obtenu l’accord de Gilbert Diendéré, un convoi d’une dizaine de 4×4, à bord duquel se trouvent l’ambassadeur et plusieurs éléments des forces spéciales françaises stationnées au Burkina, débarque devant la villa où Kafando est interné. Le président, son épouse et son aide de camp sont conduits sans encombre à la résidence de l’ambassadeur, dans le centre-ville. Kafando passera deux nuits dans des appartements privés, d’où il suit attentivement la libération d’Isaac Zida.
Détenu à Kosyam depuis six jours avec son aide de camp et son officier de sécurité, le chef du gouvernement de la transition est relâché en « signe d’apaisement » dans la nuit de mardi à mercredi, vers 3 heures du matin. Après un rapide passage par sa résidence officielle, en face de la Primature, la première personne qu’il appelle est le président Kafando. Zida envisage ensuite de se réfugier à l’ambassade d’Allemagne – prêt à cette éventualité, l’ambassadeur veillera jusqu’à 5 heures du matin -, puis se ravise, préférant trouver un « lieu sûr » où il aura toute liberté d’action. Car, une fois libéré, l’ancien numéro deux du RSP participe activement à la coordination des forces loyalistes face à ses adversaires putschistes.
Soumis à une triple pression (celle de la population, d’une partie de l’armée et de la communauté internationale), Diendéré finit par céder. Dans la soirée du mardi 22 septembre, il annonce qu’il rend le pouvoir aux autorités civiles et que ses hommes acceptent de se cantonner, puis d’engager un processus de désarmement, dans leur camp de Naba Koom. De retour à la tête de la transition, Kafando exige que son Premier ministre et son gouvernement soient rétablis dans leurs fonctions. Ce sera chose faite le mercredi, lors d’une cérémonie de passation de pouvoirs, sous l’égide de trois chefs d’État que la Cedeao a envoyés sur place – le Nigérien Mahamadou Issoufou, le Béninois Thomas Boni Yayi et le Ghanéen John Dramani Mahama.
Pour le président Kafando, dont les proches affirment qu’il est sorti « renforcé » de cette épreuve, une nouvelle phase de la transition s’amorce. Sans doute la plus délicate à gérer. Il doit désormais répondre à plusieurs questions primordiales qui sont loin d’être réglées. Quel sort réserver aux putschistes, à leur régiment, et surtout à Gilbert Diendéré ? Faut-il autoriser des candidats pro-Compaoré, exclus des élections avant le coup d’État, à se présenter ? Comment relancer le processus électoral ? Autant d’interrogations pour lesquelles il devra rapidement trouver des solutions s’il souhaite, comme il le dit depuis le début de la transition, retrouver au plus vite sa ferme et sa paisible vie de retraité.
Avec JeuneAfrique