L’orpailleur burkinabè a dû mettre ses activités à l’arrêt depuis la chute de Blaise Compaoré. En pleine renégociation de ses licences avec le nouveau régime, il veut aussi tenter sa chance au Mali et au Niger.
Lorsque le tycoon de l’or burkinabè reçoit Jeune Afrique début août dans ses bureaux de Tampouy, en périphérie de Ouagadougou, son air décontracté et sa poignée de main chaleureuse ne trahissent rien de la crise que traverse sa Société minière Kindo Adama (Somika).
« Nos stocks de minerais et nos installations ont été vandalisés et pillés durant l’insurrection populaire d’octobre 2014, puis lors les manifestations de colère contre les sociétés minières supposées proches de l’ancien pouvoir », explique Adama Kindo, qui estime les pertes liées à ces événements à près de 43 milliards de F CFA (65,6 millions d’euros). Depuis près de dix-huit mois, ses activités sont à l’arrêt et son groupe, le principal minier et négociant d’or du pays, a dû se séparer de ses quelque 1 200 employés, de ses mines et de son comptoir.
Une importante source de profits
Un coup dur pour cet autodidacte qui a bâti toute sa fortune dans la filière aurifère, s’attirant une réputation de golden boy qu’il se plaît encore à entretenir, sans toutefois se montrer précis sur son patrimoine actuel, notamment immobilier, à Ouagadougou, à Djibo et à Bobo-Dioulasso. « C’est vrai, l’or m’a enrichi. À 25 ans, je palpais déjà entre 150 et 200 millions de F CFA. Aujourd’hui, cela me semble peu », confie-t-il.
L’entrepreneur, 57 ans, a un parcours atypique par rapport aux grands commerçants du pays, centrés sur l’import-export et aux activités diversifiées. « Je n’ai jamais senti le besoin d’investir ailleurs », indique-t-il, faisant valoir son expertise dans son secteur de prédilection.
Adama Kindo, qui s’exprime essentiellement en mooré (il s’est mis sur le tard au français), a fait ses premiers pas dans le secteur aurifère en tant qu’intermédiaire entre les exploitants de gisements artisanaux et les bijoutiers de sa province natale, le Soum (nord du Burkina). « J’ai commencé petit avec 50 000 F CFA comme acheteur d’or le 2 septembre 1981 à Arbinda, quand cette activité n’intéressait pas encore le gouvernement de l’époque », précise-t-il.
Exploitations artisanales et exportations
En 1985, Kindo devient le représentant agréé du Comptoir burkinabè des métaux précieux, l’organisme public chargé de la commercialisation de l’ensemble de l’or national. Kindo sera son agent officiel jusqu’à sa suppression en 2006 par les autorités après la libéralisation du secteur.
Le patron acquiert en parallèle plusieurs sites d’exploitation artisanale, dont il refuse de révéler le nombre. Selon certains connaisseurs, il en posséderait une quarantaine. L’État peine à surveiller la production artisanale, disséminée sur plus de 1 000 sites, et Kindo met en avant sa capacité à « encadrer » ce secteur et à faire passer ces mines à un mode d’exploitation semi-mécanisé.
En 2003, en plein boom minier, le chef d’entreprise franchit un nouveau cap en fondant la Somika, au capital de 3 millions de F CFA, qui obtient plusieurs permis d’exploration dans le pays. Conscient de ses limites, l’autodidacte vend certains d’entre eux à des sociétés minières internationales.
« J’ai signé des partenariats avec des groupes étrangers. Lorsque les recherches sont concluantes, la convention stipule que 3 % à 7 % des réserves me reviennent », précise-t-il. Si sa première tentative d’association, avec le canadien Orezone, s’est soldée par un échec, les recherches ayant été infructueuses, ses partenariats avec le canadien Searchgold, le français Goldrush ainsi que l’australien Boss Resources se révèlent en revanche profitables.
Mais il n’abandonne pas le négoce, puisqu’il fonde son Comptoir des métaux précieux, reprenant à son compte l’activité qu’il menait auparavant pour l’État. Il exporterait entre 15 et 25 kg de métal jaune par an, principalement issus de ses mines, mais aussi d’autres groupes extractifs locaux. De quoi lui permettre d’engranger un chiffre d’affaires compris selon lui entre 2 et 3 milliards de F CFA.
Enfin, le minier et négociant d’or burkinabè a aussi créé une fonderie à Ouagadougou, qui lui permet de fabriquer des lingots de 5 kg. À la grande époque de la Somika, il y moulait pas moins de 100 kg d’or par an.
Une réputation entachée
Surnommé par certains le « parrain » des réseaux informels de l’or burkinabè, Adama Kindo traîne une réputation sulfureuse, liée à la fois à son style autodidacte et à ses connexions politiques supposées. Dans un rapport d’enquête publié en septembre 2015, l’ONG suisse La déclaration de Berne a mis au jour une filière d’exportation d’au moins 7 tonnes d’or extrait du sous-sol burkinabè, notamment par des enfants, ayant transité par le Togo (fiscalement attractif) avant d’atteindre la Suisse, incriminant notamment la Somika.
Le groupe d’Adama Kindo est également cité dans le rapport du Ren-Lac (Réseau national de lutte anticorruption) daté de juin comme ayant versé des pots-de-vin à des hauts fonctionnaires en contrepartie de permis miniers. Le tycoon est par ailleurs présenté par la presse locale comme un proche de l’épouse de l’ancien président en exil, Chantal Compaoré.
Interrogé, Kindo nie toute irrégularité et tout lien avec l’ex-première dame du Faso. « C’est totalement faux ! Ce sont des rumeurs qui n’ont d’autre but que de ternir mon image à des fins politiques, estime-t-il. Je n’ai jamais eu de problèmes ni avec la douane ni avec les services de sécurité. Notre or sort en toute transparence après avoir accompli toutes les formalités. » Aboubacar Sidikou, le secrétaire général de la Chambre des mines du Burkina, à laquelle la Somika est affiliée, défend le patron.
« Il est l’un des rares acteurs locaux à avoir tiré son épingle du jeu. Nous sommes en train d’élaborer une charte d’éthique concernant la gouvernance des sociétés minières et la responsabilité sociétale. En tant que membre de la Chambre, l’entreprise de M. Kindo va adhérer à ces principes », affirme-t-il.
La Somika détient encore cinq permis de recherche disséminés aux quatre coins de la carte géologique du Burkina.
« C’est un bon manager, accueillant et ouvert. Il est aussi généreux au point que cela freine parfois l’efficacité de sa société », glisse de son côté Adama Ouedraogo, son collaborateur et interprète. Et ce dernier de mettre en avant « des dons aux communautés locales allant de 30 à 40 millions de F CFA » pour construire une école ou une mosquée, distribuer des vivres…
Les prochains mois s’annoncent cruciaux pour Adama Kindo, qui dispose toujours d’un patrimoine important issu de ses belles années. Même si, sur le papier, la Somika détient encore cinq permis de recherche disséminés aux quatre coins de la carte géologique du Burkina affichée dans son bureau (à Dano, Boussouma, Somna, Zogognon et Sondo I), il va devoir renégocier chacun d’eux avec le nouveau régime.
Tout comme les licences d’exploitation de ses mines artisanales. Pour parer à toute éventualité, Adama Kindo se prépare aussi un avenir en dehors du Burkina Faso. Il annonce l’ouverture « dans les prochains mois » d’une succursale de la Somika au Mali, et évoque des possibilités au Niger, notamment pour y implanter des fonderies. Nadoun Coulibaly, à Ouagadougou
avec jeuneAfrique