Depuis le début du mois d’octobre, le Nigeria met en garde contre l’utilisation par Boko Haram de sous-munitions. Certaines d’entre elles viendraient directement des arsenaux de l’armée nigériane qui s’est elle-même équipée auprès de la France dans les années 1980.
Boko Haram se sert-il d’armes françaises pour ensanglanter l’Afrique Centrale et de l’Ouest ? Le 8 octobre, sur son compte Twitter, l’armée nigériane publiait en effet un avertissement aux populations, révélant que les terroristes islamistes utilisaient des bombes à sous-munitions. Jointe au tweet, une photo montre une grenade, dite de type « EC », observée à plusieurs reprises sur les terrains des attaques de Boko Haram.
La France, vendeuse d’armes
Développé dans les années 1970 par l’entreprise française Matra, ce type de sous-munitions fait à l’origine partie d’une « bombe-cargo » appelée « BLG 66 » ou « Belouga », du nom d’un pacifique mammifère marin. Chacune d’entre-elles pesant plus de 300 kilogrammes est conçue pour renfermer 151 sous-munitions selon le type – « anti-char », à « fragmentation » dites également « EC », ou « d’interdiction de zone ».
Estampillées « EC » les sous-munitions retrouvées sur les terrains de Boko Haram auraient donc été fabriquées dans des usines françaises à l’époque où leur vente n’était pas encore prohibée. Comment ces bombes françaises se sont-elles retrouvées aux mains du groupe terroriste nigérian, vingt ans après leur conception ? La France auraient vendu ses Belouga à six pays dans le monde, dont le Nigeria. Elles auraient ainsi pu être volées à l’armée nigériane par Boko Haram.
Alphajet
Difficile de retrouver la date exacte de la transaction entre la France et le Nigeria, tant les sous-munitions restent difficilement traçables dans les rapports étatiques et internationaux de ventes d’armes. Toutefois, on sait que les bombes Belouga sont adaptées à différents types d’avion, dont l’Alphajet, équipement de l’armée de l’air nigériane.
Or, un contrat entre la France et le Nigeria est signé en 1979 pour la livraison de douze de ces avions, prévue pour 1981 et 1982. Bis repetita en 1983 : le Nigeria commande à nouveau douze Alphajet pour une livraison en 1983 et 1984 (voir surlignage ci-dessous).
En 1984, alors que Matra exporte sans encombre ses sous-munitions (en 1991, l’entreprise annoncera dans un dossier de presse avoir commercialisé 1 450 exemplaires de Belouga de par le monde), le Nigeria s’est porté acquéreur de 24 avions pouvant en être équipé.
De plus, selon plusieurs rapports, l’armée nigériane aurait utilisé ce type de sous-munitions lors d’opérations en Sierra Leone en 1997, près de Port-Loko et à Kenema, alors qu’elle participait à la mission de maintien de la paix de la Cedeao. Le Nigeria est aujourd’hui signataire de la convention d’Oslo sur les sous-munitions, mais n’a pas encore ratifié le texte.
Dissémination
Alors que les terroristes islamistes ont, en particulier entre début 2014 et début 2015, remporté de nombreux succès sur l’armée nigériane, il n’est dès lors pas étonnant de retrouver la trace de sous-munitions Belouga dans leur arsenal. Boko Haram a en effet opéré plusieurs attaques sur des bases militaires, se rendant maître de certaines ou les détruisant après les avoir pillées, comme à Bama, le 20 décembre 2013, ou encore à Baga, en janvier de cette année.
De multiples attaques ont également lieu à Kano, où sont basés une partie des Alphajet nigérians. Or, si les bombes-cargo Belouga pèsent 300 kilogrammes, rien n’empêche les combattants islamistes de les démanteler et de récupérer les quelque 151 sous-munitions censées les composer.
Celles-ci, ne pesant qu’un peu plus d’un kilogramme peuvent alors être utilisées, selon la documentation de Matra les concernant, comme des grenades à fragmentation, contre les véhicules ou dans un rôle anti-personnel. Une munition parfaite pour le combat asymétrique qu’a entrepris de mener Boko Haram au Nigeria, au Niger, au Tchad et au Cameroun.
Avec JeuneAfrique