Dix personnes avaient été tuées dans un raid de l’armée ivoirienne. Mediapart a révélé les conclusions du parquet qui pointent les entraves de Paris dans l’enquête.
Quatorze ans après les faits, le bombardement d’une base militaire française à Bouaké, la deuxième ville de Côte d’Ivoire, devrait bien donner lieu à un procès. L’information, révélée par Mediapart mardi 3 juillet, représente un coup de théâtre spectaculaire dans cette affaire nimbée du secret d’Etat. « Quatorze ans après la mort de neuf soldats français et d’un humanitaire américain […], le parquet de Paris a sollicité, le 25 juin 2018, le renvoi devant la cour d’assises de trois pilotes accusés d’avoir participé à ce raid meurtrier », écrit le site d’information qui a pu consulter le réquisitoire de 140 pages.
Il s’agit de deux lieutenants de l’armée ivoirienne, Patrice Ouei et Ange Gnanduillet, et d’un mercenaire biélorusse, Yury Sushkin, dont l’implication ne fait « aucun doute » aux yeux du parquet, lequel requiert leur renvoi aux assises pour « assassinats, tentatives d’assassinats et destruction des biens d’autrui aggravée par deux circonstances (en réunion et au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique) ».
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Selon Mediapart, la juge d’instruction Sabine Kheris, chargée du dossier depuis 2012, pourrait signer l’ordonnance de renvoi des pilotes devant une cour d’assises spécialisée en matière militaire dans les prochaines semaines.
Panier de roquettes
A l’époque des faits, la Côte d’Ivoire était coupée en deux : le Sud, contrôlé par le président Laurent Gbagbo, et le Nord, aux mains des rebelles des Forces nouvelles. Les forces françaises de l’opération « Licorne », étaient alors déployées entre les deux parties avec les casques bleus de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) pour établir une zone de confiance. L’un de leurs camps était ainsi installé dans l’ancien lycée français de Bouaké, au centre du pays.
Ce 6 novembre 2004, à 13 h 15, deux Sukhoï, des chasseurs de l’aviation ivoirienne, sont apparus dans le ciel au-dessus du camp. Alors que le foyer venait de fermer après le déjeuner, les soldats se trouvaient à l’extérieur, attablés autour d’un café. Après un premier passage à basse altitude, un Sukhoï s’est placé dans l’alignement du bâtiment où vivaient les troupes françaises, et a largué un ou plusieurs paniers de roquettes. « En sortant, j’ai eu un choc. Il y avait tous ces hommes couchés par terre, comme si on les avait fauchés. On entendait des gémissements, des cris. Il y en avait qui râlaient. Des hommes avaient des blessures horribles, des casques arrachés, des gilets pare-balles troués, une vision d’horreur », racontait au Monde un civil miraculé, quelques semaines après l’attaque dont le bilan fut de neuf morts et 33 blessés parmi les soldats français, en plus du décès d’un civil américain.
Moins d’une heure après avoir frappé le camp français, les Sukhoï avaient été détruits à leur retour à Yamoussoukro par des militaires français. Puis l’ensemble des moyens aériens ivoiriens avaient été neutralisés sur ordre de Jacques Chirac. L’enquête, elle, avait très vite piétiné.
En effet, depuis 2004, les entraves à la vérité et à la justice se sont succédé au plus haut niveau de l’Etat français. « Quatorze années d’instruction, ainsi que le travail minutieux et opiniâtre de certains magistrats instructeurs et conseils de parties civiles ont permis de reconstituer certains rouages, sans toujours bénéficier de la célérité et de la spontanéité (…) que les victimes, au service de leur patrie, auraient pu légitimement espérer des institutions nationales », a ainsi martelé Michel Guedes, le vice-procureur du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris, au terme d’un réquisitoire cinglant pour les autorités françaises, rappelle Médiapart.
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