Green Keeper Africa veut développer de nouvelles filières au Bénin et au Nigeria avec la plante invasive mais aux nombreuses propriétés.
Sur la presqu’île où sèchent des tonnes de jacinthe d’eau fraîchement récoltées David Gnonlonfoun (franco-béninois) et Fohla Mouftaou (belgo-béninois) veulent relever le défi de transformer cette plante envahissante en opportunité.
Nous sommes dans la commune de Sa-Ava. Une agglomération de villages lacustres situés sur le lac Nokoué, à 35 km au nord de Cotonou, la capitale économique du Bénin. Ici la jacinthe d’eau est un véritable fléau pour l’environnement et les populations qui tirent l’essentiel de leur revenu de la pêche.
Quatre à dix-sept fois son poids
Cette plante aquatique flottante se développe à une vitesse vertigineuse, bouche les voies fluviales, tue la biodiversité en captant l’oxygène de l’eau, entravant l’activité économique. « La jacinthe d’eau est la plante la plus invasive au monde : dix plants peuvent générer 800 000 plants en moins de huit mois », explique David, ingénieur dans le bâtiment. « Les riverains l’appellent togblé, qui veut dire en langue fon “le pays est gâté”. Mais nous voulons la transformer en tognon, c’est-à-dire “le pays s’améliore” », ajoute Fohla, pédiatre qui est rentré de Bruxelles monter son cabinet il y a trois ans.
Depuis deux ans, les deux compères consacrent leur temps libre à la valorisation de cette plante à travers des produits dérivés. Ils ont monté en 2014 la start-up Green Keeper Africa qui a signé un partenariat avec une entreprise mexicaine, Tema, laquelle a développé depuis 2009 de nombreuses propriétés de la jacinthe d’eau, notamment pour lutter contre les marées noires et dépolluer les barrages.
Grâce à sa structure caverneuse et spongieuse, les fibres de la jacinthe d’eau sont extrêmement absorbantes (de quatre à dix-sept fois son poids selon les liquides), permettant la résorption des fuites d’hydrocarbures sur eau, sur terre ou sur rochers. « Cette filière, que nous avons développée avec l’aide de l’entreprise Tema, peut aider à la gestion de fuites d’essence ou de gazoil, au niveau des garages, des stations, des industries et des dépôts pétroliers », détaille Fohla.
Au Mexique, l’innovation a fait ses preuves. Tema a pour gros client Pemex, la compagnie pétrolière publique. Et bien que le Bénin ne soit pas un pays producteur de pétrole, le potentiel de la fibre n’en est pas moins important. « Sur la côte ouest africaine, le problème de résidus d’hydrocarbures n’a pas encore de solution réelle », estime David.
Alternative aux pesticides
Une fois collectées par des groupes de femmes contre 200 francs CFA (0,30 euro) le sac de 10 kg, les jacinthes d’eau, riches en nitrates, peuvent aussi être transformées en biofertilisants pour les productions maraîchères. « C’est une véritable alternative aux pesticides chimiques qui coûtent cher et dont l’usage abusif tue le sol, explique Fohla. Autre perspective, ajoute-t-il, « les fleurs intégrées à des granulés sont aussi très riches pour l’alimentation des lapins. Le but est de donner un coup de fouet à cet élevage qui souffre du manque d’efficacité des aliments disponibles. »
Un premier contrat de nettoyage industriel a été décroché en 2015 avec la filiale béninoise du distributeur suisse de produits pétroliers Oryx. Mais le marché est très ouvert. « A terme, c’est le marché nigérian que nous visons. Le Bénin est un tremplin pour faire nos preuves », projette David.
En novembre 2015, Green Keeper Africa a été l’un des dix lauréats du prix « La France s’engage au Sud », porté par deux ministères français, celui des affaires étrangères et celui de la ville, de la jeunesse et des sports.
Avec lemonde