Dans son rapport 2017, l’ONG Bénin Diaspora Assistance, une organisation qui lutte pour l’hygiène funéraire, a révélé que la quasi-totalité des morgues ne dispose pas de l’agrément d’ouverture du Ministère de l’Intérieur et de la sécurité publique (MISP). Elles ne possèdent pas non plus de laboratoire post mortem, et les méthodes utilisées pour la conservation des cadavres sont catastrophiques et humiliantes. Des dénonciations confirmées par les conclusions d’une contre-enquête du MISP. Mais comment et pourquoi le pays a-t-il atteint ce degré d’aberration au su et au vu de tous ?
Des morts traités sans aucune dignité
En absence de laboratoire post mortem, les dépouilles sont conservées dans des chambres froides ou des containers frigorifiques. Leurs systèmes de froid sont souvent défaillants. Les cadavres des personnes mortes de façon naturelle, de Lassa ou de choléras sont tous enregistrés et jetés les uns sur les autres jusqu’à 1m50 de hauteur. En 2015, 198 corps ont été découverts dans ces conditions dans la morgue de Dangbo (non loin de Porto-Novo) par l’ONG. Cette année, la même morgue a acquis une chambre froide de 12 places mais 36 corps y séjournent actuellement. Des morgues publiques du pays ont été également épinglées pour ces faits de surcharge hors normes. Le cas de celle du plus grand hôpital du Bénin en dit long. Construite (en 1962) pour 55 places, elle contient à ce jour 700 corps. Cela multiplie les risques de contamination et d’empoissonnement défunt-vivant, et par ricochet, d’épidémies meurtrières. Cet état de chose est dû à plusieurs facteurs : les employés des morgues y compris les gérants, sont formés sur le tas avec des outils inadaptés. Il n’y a pas d’école spécialisée qui forme des cadres qualifiés pour ce secteur. Au plan national, il n’y a que 04 spécialistes en hygiène funéraire, tous formés en Europe. Certains, après leur formation, ne sont plus revenus partager leurs connaissances avec les acteurs locaux. D’un autre point de vue, les promoteurs des morgues ne sont pas suffisamment informés des exigences du secteur funéraire et prennent les phases d’études nécessaires avant et après autorisation d’ouverture de leurs structures, à la légère. En plus, la surcharge permet, entre autres, un retour rapide sur investissement. Malheureusement, ces fonds servent à financer d’autres activités à coloration politique plutôt que de servir à la modernisation des installations des morgues.
Main mise des élites sur le secteur
La situation, malheureusement, va de mal en pire, et les sanctions tardent à tomber. Ceci, parce que 31 des 43 promoteurs des morgues privées au Bénin sont soit des députés, des ministres (anciens ou en fonction) soit des élus locaux et parfois des hauts gradés de l’armée, tous inféodés au pouvoir en place. Ce secteur d’activité est réputé pour son fort taux de corruption. Pour eux, ce secteur d’activité constitue non seulement une arme politique mais aussi un moyen de détournement de derniers publics. Lorsqu’une personne décédée est conduite dans une des morgues appartenant à un politicien, son acte de naissance est acheté dans le but de le faire voter par procuration en faveur d’un candidat lors des joutes électorales. L’ONG a indiqué dans son rapport que le nombre de suffrages accordés aux noms des morts lors des dernières élections dépasse de loin 120 000 voix. Le code électoral en vigueur n’a pas prévu des conditions strictes pour la radiation des personnes décédées jadis inscrites sur la liste électorale. Sur le plan financier, plus de 50 milliards de francs CFA de recettes échappent, chaque année, au trésor public et aux prestataires de services. Aussi, le trésor est-il régulièrement arnaqué par des fonctionnaires décédés, des veuves de complaisances fictives et des entreprises créées aux noms des morts. Des crédits sont également contractés sous le couvert des morts auprès des banques et structures de microfinance sans oublier les agences d’assurance qui sont également arnaqués. Ces détournements s’élèvent à plus de 100 milliards de francs CFA l’an, selon l’estimation de l’ONG. Tout cela se justifie par le fait que les actes de décès et les permis d’inhumation ne sont pas rigoureusement acheminés par les élus locaux au MISP comme l’indique les dispositions en vigueur. Cela a rendu caduque l’état civil.
La connivence est la règle
Dans le pays, les morgues sont gérées par le MISP qui est l’unique administration habilitée à délivrer l’agrément d’ouverture d’une morgue suivant des critères bien définis. Mais ces dispositions sont constamment violées, le plus souvent en complicité avec les inspecteurs corrompus et corruptibles du MISP, du Ministère de la santé ou des autres Ministères. La responsabilité incombe également aux maires des communes qui donnent ces autorisations d’implantation, moyennant des pots-de-vin, même si c’est au détriment des intérêts de leurs populations. Plusieurs morgues ont ouvert leurs portes sans aucune pièce mais n’ont pas été inquiétées car, leurs promoteurs, à la fois chefs d’entreprises et acteurs politiques, ont toujours soutenu le gouvernent ou sont partagés entre opposition et mouvance. Les propositions de nomination des cadres qui doivent coiffer les différents services de contrôles des morgues que cela soit au MISP ou dans d’autres ministères, sont faites par ces mêmes acteurs politiques, qui rappelons-le sont soit des députés, ministres (anciens ou en fonction), soit des élus locaux et parfois des hauts gradés de l’armée en fonction au MISP. A ce jour, aucune loi ne régit l’organisation de ce secteur. Le président de l’ONG Bénin Diaspora Assistance, Médard Koudébi, dit avoir remis une proposition de loi à un député. Malheureusement, elle a été rangée dans les placards du parlement. Le vote d’une loi serait en effet un suicide pour ces acteurs politiques.
En somme, plus aucune autorité ni administration ne joue convenablement son rôle. Les agents des morgues sont très mal formés et la corruption gangrène le secteur. Un projet de décret visant à assainir ce milieu est en gestation. Mais des craintes subsistent concernant son application stricte. Comme le dit si bien, le spécialiste Médard Koudébi, « le président de la République, Patrice Talon, n’a pas ces intérêts dans les morgues mais nombreux sont ses amis et alliés politiques de taille qui ont leurs intérêts dans les morgues ».
Avec libreafrique