ENTRETIEN. Pour promouvoir le tourisme du Bénin, José Pliya veut conjuguer le culturel et le cultuel. Il explique les tenants et les aboutissants de ce vaste programme.
PROPOS RECUEILLIS PAR VIVIANE FORSON
Au Bénin, le secteur du tourisme ne représente que 0,7 % du PIB, autant dire une goutte d’eau dans le paysage touristique mondial. Loin d’être une fatalité, ce petit pays d’Afrique de l’Ouest connu pour être le berceau du vaudou a décidé d’inverser la tendance. Ici pas d’incantation, le président Talon est allé chercher l’homme de lettres et de théâtre, le metteur en scène José Pliya. Ce mardi après-midi de Paris où nous le rencontrons, l’homme apparaît confiant dans sa tâche. Tel un dramaturge, il sait déjà qu’il va devoir puiser dans le passé douloureux de l’ancien Dahomey, terre d’esclavage, où se confondent, s’entrecroisent et parfois s’entrechoquent plusieurs siècles d’histoire et de traditions qui restent encore très méconnus particulièrement à l’extérieur. Celui dirige l’Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme (ANPT) nous a raconté d’une voix très posée une partie de cette histoire qu’il souhaite réhabiliter et qui dépasse le seul aspect du tourisme mémoriel. Il se fait le devoir de rendre le Bénin hospitalier, alors que le pays regorge d’une part de mystères à nul autre pareil.
Le Point Afrique : Comment est-ce qu’on fait pour attirer les touristes vers une destination comme le Bénin ?
José Pliya : Il faut bien sûr des grands projets, c’est nécessaire pour structurer la destination Bénin sur le plan touristique. C’est un pays qui n’a pas de pétrole ni de ressources naturelles. Mais il y a ces trésors incroyables que sont les patrimoines du Bénin, lesquels en font l’une des destinations les mieux notées par les observateurs depuis des années. L’Agence nationale de promotion du patrimoine et du tourisme a quatre missions principales. La première, c’est de trouver une identité à la destination Bénin, car on ne sait pas aujourd’hui quelle est notre place dans l’océan du tourisme mondial. On ne sait pas aujourd’hui pourquoi on va au Bénin, et d’ailleurs qui va au Bénin. Des milliers de touristes, certes, mais il y a urgence à déterminer une identité.
Vous parlez beaucoup d’identité, en quoi est-ce une notion importante pour le tourisme ?
En fait, on peut dire que l’identité du Bénin est déjà dessinée dans ses grandes lignes. Car, si on met le balnéaire et le safari à part, qui sont des points forts, mais ce ne sont pas nos points les plus forts, il y a d’autres pays qui sont mieux placés que nous. Il y a un domaine sur lequel nous sommes vraiment forts, c’est l’histoire et la culture. Grâce notamment aux rois d’Abomey qui ont structuré l’histoire de ce pays de deux façons : d’abord par le commerce de l’esclavage sur trois siècles et le vodoun, la religion endogène. Or, voilà une religion qui regorge de cultures extraordinaires et qui peut nous apporter beaucoup, mais qui souffre d’une image négative héritée de la colonisation, du christianisme et de toutes les autres religions qui ont voulu la dénigrer. Cette image négative s’est encore amplifiée quand le vaudou s’est exporté en Haïti et a été caricaturé par le cinéma hollywoodien. C’est en cela qu’il est question d’identité, c’est l’image qu’on renvoie.
Qu’est-ce que le Bénin a à offrir et que le monde ne connaît pas ?
La Pendjari, au nord. Il faut savoir que c’est la dernière grande réserve animalière d’Afrique de l’Ouest. Ce site était en grande souffrance avec de nombreux braconnages, etc., et là on a confié ce projet à une ONG sud-africaine African Parks.
Ensuite, vous avez Abomey, la cité royale d’où s’est construit le Bénin avec trois siècles de royauté qui ont structuré le pays. Et l’idée est de faire un musée qui va raconter l’épopée de ces treize rois (en fait douze rois et une reine) qui ont gouverné durant trois siècles, donc un musée contemporain dans son approche. Quand le touriste sortira de là, il devra comprendre ces trois siècles d’histoire. Abomey est très important parce que c’est à partir de là que les autres destinations se déclinent.
Allada est une ville qui est associée à Abomey où il y aura un musée Toussaint-Louverture, sur l’histoire des esclavages et de ses résistances. Ce musée aura la particularité (il existe une douzaine de musée des esclavages dans le monde, NDLR) d’être le seul qui va dévoiler l’histoire des origines des esclaves. On va remonter le temps, car avant d’être capturés, c’étaient des hommes, des femmes, des jeunes, avec des histoires, des origines, des traditions. C’est un vrai sujet même pour les afrodescendants parce qu’ils ne savent pas où commence leur histoire. Pour beaucoup, l’histoire de leur famille commence quand leurs ancêtres ont été capturés et c’est ce qui explique pourquoi certains refusent même la dénomination de descendants d’esclaves parce qu’ils ne veulent pas être réduits à cette partie-là de leur vie. Donc ce musée va raconter les histoires des différents peuples : maris, des yorubas, les tems, etc. de tous ces gens que les rois sont allés chercher.
Troisième projet phare, c’est Ganvié. On peut croire que c’est anodin, mais c’est lié aussi à la royauté. Puisque c’est une cité lacustre qui est née parce que les populations fuyaient les rois et les razzias et comme elles avaient remarqué que les guerriers du royaume d’Abomey avaient peur de l’eau, elles sont allés se réfugier sur le lac qui est occupé aujourd’hui par 30 000 personnes. C’est la plus grande cité lacustre d’Afrique, et un joyau plongé dans une grande souffrance avec des problèmes d’envasement, de pauvreté. Il n’y a par exemple pas d’électricité. Donc avant d’être un projet touristique, ça va être un projet environnemental et de réhabilitation sociale.
Vous avez bien sûr Ouidah, incontournablement liée à l’histoire de l’esclavage. La cité de Ouidah existe parce que les rois cherchaient un débouché pour faire partir les esclaves vers le Nouveau Monde, c’est donc devenu un port négrier. On va refaire toute l’ancienne ville. Ensuite, on va s’occuper de la petite route des esclaves soit 3,5 km qui menait les esclaves jusqu’aux bateaux, et là on va refaire au bout de la porte de non-retour une marina face à la mer. On va y installer un bateau négrier qu’on pourra visiter et revoir à l’intérieur la condition de vie des esclaves, donc un vrai pèlerinage mémoriel. Ouidah va être un des points forts de ces projets.
Porto-Novo est la deuxième composante de l’histoire des rois avec le Vaudou. Le Bénin a cette particularité d’être le berceau du vaudou qui, par les esclaves, va se retrouver dans le Nouveau Monde en Haïti et ailleurs. Il n’existe aucun lieu dédié tant à la religion qu’aux arts et aux esthétiques qui sont nés de cette religion mis à part de petits musées en Louisiane et à Strasbourg. Il y aura à Abomey et à Porto-Novo des théâtres de verdure ou des arènes pour les sorties de vodoun (vodouns masqués à Porto-Novo et vodoun non masqués à Abomey). Ce sera vraiment l’espace d’expression populaire où les gens pourront se servir de ces amphithéâtres pour comprendre, mais de manière cadrée.