«Je me sens Marocain, Algérien et citoyen du monde. »
Avec sa douce soixantaine, qu’il porte avec élégance dans un costume impeccable, Belkacem « Mamadou » Boutayeb est un « marginal séquent » qui promeut la rencontre entre les peuples. C’est un militant africain de la première heure. Aussi cultivé, qu’efficace en affaires !
En tant que médiateur interculturel, il rêve de voir le Maghreb s’engager à la rencontre bienfaitrice de l’Afrique de l’Ouest. « Puisque l’UMA ne marche pas, il faut faire porter à cette jeune mariée de vingt ans un beau boubou africain, dans toute la splendeur de la symbolique ! »
C’est dû peut-être à son parcours : 38 ans d’immigration dans sept pays différents. Une trajectoire atypique pour ce fils de migrants marocains en Algérie. « Né le 1er septembre 1948 à Oran la méditerranéenne, sous le signe de la sainte vierge, et sous occupation française », dit-il en détachant chaque syllabe …« J’aurai pu être un pur produit de la mission française… J’ai eu la chance d’avoir des parents férus et versés dans la théologie et la culture des valeurs islamiques ».
De là vient sans doute son militantisme pour la finance islamique. « J’ai dû obtenir mes référentiels religieux avant de me frotter aux bancs de l’école laïque », rappelle celui qui a grandi dans la double valeur citoyenne aux côtés des Algériens, des Français et des Espagnols. « Très jeune déjà, je me sentais Marocain, Algérien et Citoyen du monde. Nous avons grandi dans le militantisme avec des armes d’enfants, avec “leur guerre des boutons”, nous avons défendu et contribué à l’indépendance de l’Algérie comme si nous étions Algériens ».
« Je vois de toute évidence des similitudes avec des concepts de capital risque et de capital développement, promus et développés avec succès par les Allemands et les Américains depuis la nuit des temps. »
Enfant unique, il voit son père rappelé à Dieu alors qu’il avait à peine 17 ans, et décide, interpellé par l’appel de ses ancêtres, et avec la bénédiction de Lalla Maghnia, sa maman aujourd’hui défunte, de rentrer au Maroc.
Son village planétaire pluriel
L’implantation de la première banque américaine à Casablanca, en 1967, lui ouvre grandes les portes d’une trépidante carrière professionnelle, et d’un parcours de migrant international militant, comme le prédestinait déjà sa naissance algérienne…
En 1975, il s’envole pour la Côte d’Ivoire, 3e étape migratoire de son parcours, pour y implanter une filature et une usine de tissage, pour le compte d’investisseurs libanais. Il se retrouve à Paris fin 1979, au sein des différents départements de l’UBAF (Union des banques arabes et françaises), avant de se voir confier la direction du développement de la filiale offshore de Bahrein, avec juridiction sur les pays du Conseil de coopération du Golfe.
Fin 1982, il rejoint à Genève la nouvelle équipe qui se formait autour du Prince Mohamed Al Fayssal, pour finaliser la configuration de ce qui allait devenir le 1er groupe de banques islamiques, au capital initial d’un milliard de dollars, Dar Al Maal Al Islami.
Et depuis… entre différents mandats de conseil et d’expertise en finance islamique, en développement international et en médiation interculturelle, dans « son village planétaire pluriel » il œuvre, avec générosité et humilité, au rapprochement culturel et économique entre ce Maroc qu’il vénère et cette Algérie qu’il aime et respecte… il s’évertue à dire que si le Maghreb est arabo-amazigh, il est aussi résolument africain…
Développement durable
Aujourd’hui expert consultant Mena/Afrique, Belkacem Boutayeb est le Commissaire général du Festival africain sur l’écologie et le développement durable, qui se tient du 28 au 31 mai à Mohammedia, sous le thème « L’Eau c’est la Vie ». Entretien :
Les Afriques : Vous avez eu à rencontrer beaucoup de chefs d’Etats africains. Lesquels vous ont le plus marqué ?
Belkacem Boutayeb : J’ai été marqué par feu le Président Houphouët-Boigny, qui m’a reçu à diverses reprises et chez qui se dégageait une bonté et une sagesse rare. J’ai été aussi très marqué par feu le président Senghor, avec qui j’ai eu plaisir à converser longuement au festival d’Assilah. Le premier m’a donné des réflexes de fierté Africaine, de sagesse et de pondération dans le dialogue et la négociation. Senghor a forcé mon admiration dans sa manière d’assumer la Négritude et dans son art de jubiler avec la langue française. J’ai également été impressionné par les présidents Sékou Touré de Guinée et Obasanjo du Nigeria. Tous dégageaient beaucoup de dignité humaine… dont Occidentaux et Africains gagneraient à s’inspirer.
LA : Que signifie d’après vous le concept Economie islamique ?
BB : Ce concept est basé sur l’économie réelle. Il interdit la thésaurisation. Pour lui, l’argent n’est pas une marchandise, mais un outil d’échange et de création de croissance ou de richesse pour l’ensemble de la Communauté. Celui qui jouit des bienfaits de richesses, doit s’associer avec des gens de savoir, d’expertise et d’expérience dans le cadre de la dynamique de partage des trois R : responsabilité, risque et revenus.
LA : N’est-ce pas ce que nos amis occidentaux appellent finance éthique ou économie solidaire ?
BB : La finance islamique s’adapte bien à ces concepts de solidarité communautaire dans l’adversité du quotidien. Je vois de toute évidence des similitudes avec des concepts de capital risque et de capital développement, promus et développés avec succès par les Allemands et les Américains depuis la nuit des temps.
LA : Reste que la finance islamique est réfractaire à la bourse, contrairement au capital-risque ?
BB : En principe, la finance islamique rejette toute démarche spéculative, mais reste mercantile dans la mesure où il est admis que l’on fasse des marges bénéficiaires confortables entre acheteurs et vendeurs. La notion de partage de risques et de solidarité communautaire reste à mon avis une caractéristique fondamentale de cette finance islamique. Elle a un côté restrictif, dans la mesure où la banque islamique ne prête jamais d’argent, mais finance un projet inscrit dans les normes de rentabilité et exclut tout rapport avec l’armement, l’alcool, la viande de porc ou les approches de spéculation outrancière et aggravante de misère humaine.
LA : Vous avez parlé de porc. Quel est le rapport entre la grippe porcine et l’environnement ?
BB : Ces pauvres bêtes, de la vache en passant par le mulet, le chien ou le sanglier, nous donnerons toujours prétexte de justifier nos comportements inciviques et meurtriers pour l’environnement, et ainsi libérer nos consciences. Après l’épopée de la vache folle, cette crise peut s’expliquer par le gâchis et l’acharnement agressif et irresponsable face à la nature et à l’environnement…
LA : La deuxième édition de votre festival va-t-elle éclairer le Maroc et l’Afrique sur les urgences du moment ?
BB : Cette deuxième édition se veut une jonction entre l’environnement et la culture. Le problème de l’environnement, perçu d’abord comme gouffre financier, me rappelle le traitement infligé à la culture dans nos pays. Les Américains l’ont compris, la culture est un vecteur de communication, de conquête de marché et, en tant que tel, confère un avantage stratégique et une suprématie en termes d’intelligence économique. Je suis heureux de la nouvelle prise de conscience, affirmée par la voix la plus autorisée dans notre pays, et de l’adhésion quasi générale des grandes institutions publiques et privées à cette démarche intelligente et providentielle de la « culture pour un Maroc Vert » pour que notre agriculture arrête « d’être au rouge »… Quand on voit les gens aisés, ici comme ailleurs, prêts à acheter un kilo de tomates bio à n’importe quel prix, l’on comprend bien que, comme dit si bien notre petit colibri, Pierre Rabhi, il vaut mieux se souhaiter « bon appétit » que « bonne chance » quand on se retrouve réunis à table, en remerciant le ciel des bienfaits de notre terre.
avec lesafriques