Le petit État du Golfe a beau être riche, les pertes accumulées par sa chaîne sportive commencent à peser lourd. L’heure est à la paix des braves avec Canal+.
En conviant le 5 février dernier à déjeuner des présidents de club de la Ligue 1, au siège de Vivendi, Vincent Bolloré a sans doute voulu rassurer le monde du football : si, comme il l’espère, Canal+ rachète BeIN Sports, les recettes du championnat français seront toujours bien gardées ! En décembre dernier des négociations ont été engagées.
Si elles aboutissent, elles solderont une guerre engagée il y a quatre ans par la chaîne qatarie et qui ne lui a guère réussi. Sur son dernier exercice, BeIN Sports aurait encore perdu 250 à 300 millions d’euros (elle ne publie aucun compte). L’émirat a beau avoir les poches profondes, la facture devient lourde.
Selon une note d’Exane BNP Paribas de janvier, le Qatar aurait vu la valeur de ses diverses participations diminuer de 13 milliards d’euros en six mois. Dont 7 milliards rien qu’avec la chute de l’action Volkswagen ! Et avec un prix du pétrole déprimé, tous les projets sont revus à la baisse. Ainsi, la chaîne d’info Al-Jazeera America cessera d’émettre en avril aux Etats-Unis, deux ans après un lancement à 500 millions d’euros.
Une razzia sur les droits sportifs
Quand le groupe Al-jazeera avait lancé sa chaîne sports en France, le 1 er juin 2012, rien ne semblait trop beau. Il avait procédé à une véritable razzia sur les droits sportifs : Ligue 1, championnats de foot allemand, italien et espagnol, Champions League, Euro 2012 et Euro 2016, mais aussi les Coupes du monde 2014, 2018 et 2022. Canal+, qui régnait en maître sur le foot, n’a conservé que trois matchs de Ligue 1 en exclusivité.
2011 : 900 millions d’euros pour la Ligue 1 de foot. BeIN a augmenté sa mise pour la période 2016-2020, la portant à 935 millions d’euros.
Les autres disciplines n’ont pas échappé à l’ogre BeIN : athlétisme, rugby, handball, Jeux olympiques, cyclisme, tennis, natation, mais aussi base-ball, football américain ou beach-volley… Score final : près de 1,5 milliard d’euros dépensés.
2012 : 16 millions d’euros pour notre championnat de handball. Même avec les Experts, c’est beaucoup. Canal y consacrait 1,2 million par an.
Des coûts élevés pour un nombre d’abonnés insuffisant
Seulement voilà, avec 2,5 millions d’abonnés revendiqués en septembre, BeIN n’a pas capté un public suffisant. Selon une étude de Natixis, il lui en faudrait le double pour arriver à l’équilibre. Et pour cause : le coût annuel de sa grille approche les 430 millions d’euros par an (380 millions de droits et 50 millions de frais de production). A cela s’ajoutent les coûts de fonctionnement d’une chaîne qui emploie 350 personnes.
Côté recettes, le prix de l’abonnement est resté très bas. Trop bas, loin des 22 euros mensuels envisagés initialement. Très agressive commercialement, BeIN a démarré avec une offre à 11 euros, rehaussée à 13 euros seulement en 2015. Et sur cette somme, une fois rémunérés les opérateurs (Orange, Free, etc.), il ne reste guère plus de 7 euros.
Pour ajouter encore à l’audace, ses contrats d’abonnement sont résiliables à tout moment, quand Canal+ impose 12 ou 24 mois d’engagement. Résultat : certains clients s’abonnent pour un événement type Coupe du monde de foot, et s’en vont après. Les recettes publicitaires tirées de son audience (1,2 million de téléspectateurs en novembre 2015 pour un Real Madrid-PSG) restent marginales, autour de 5 millions d’euros.
2012 : 25 millions d’euros pour la NBA, le championnat de basket américain. L’été dernier, la chaîne n’a pas fait d’offre pour les droits du basket français, peu attractif.
Un management opaque
Pour doper son audience et son portefeuille d’abonnés, BeIN Sports n’a pas non plus réussi à débaucher des animateurs vedettes. C’était une des missions de Charles Biétry, ex-patron des sports de Canal, embauché comme DG délégué chez BeIN Sports en 2012. «Personne ne voulait travailler avec lui…», assure un journaliste de Canal. Seuls Alexandre Ruiz, puis Darren Tulett ont changé de maison, accompagnés de Christophe Josse, un proche de Biétry.
D’autant que, côté salaires, les Qataris n’ont pas fait flamber les tarifs. «Des stars montantes de Canal espéraient doubler ou tripler leurs revenus, explique un journaliste de la chaîne qatarie. Mais les salaires proposés étaient les mêmes, voire inférieurs.» Le management, opaque, a fait le reste.
2013 : 125 millions d’euros pour le Master 1.000 de tennis. À cela s’ajoute Wimbledon, chipé à Canal+. Ces droits sont difficiles à amortir.
Intégrée en janvier 2014 dans une nouvelle entité, BeIN Media Group (un ensemble de 34 chaînes diffusées au Moyen-Orient, mais aussi en Australie, en Turquie ou en Espagne), BeIN Sports semble être pilotée à distance. Nasser al-Khelaïf est très occupé par le PSG, qu’il préside aussi. Son bras droit, Yousef al-Obaidly, semble disposer de peu de pouvoir. «On sent que toutes les décisions se prennent à Doha, indique un cadre. On ne voit jamais les vrais décideurs…» En l’occurrence le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani.
L’avenir avec Vivendi ?
Comment sortir par le haut de l’aventure ? Dans les discussions avec Vivendi, deux scénarios ont été évoqués. Un accord de distribution exclusive. Mais selon nos informations, l’Autorité de la concurrence y mettrait son veto. Quand CanalSat a fusionné avec TPS, le gendarme a approuvé, à la condition que Canal ne puisse distribuer une chaîne supplémentaire détentrice de droits sportifs exclusifs avant septembre 2017.
On semble donc se tourner vers un achat qui, selon certaines sources, pourrait tourner autour de 500 millions d’euros, en cash ou en actions Vivendi. De la sorte, le groupe présidé par Vincent Bolloré récupérerait l’essentiel des compétitions de foot. Et, en proposant avant l’été des offres couplées Canal+ et BeIN, pourrait enrayer la chute du nombre de ses abonnés (88.000 perdus en 2015).
Le retour à un quasi-monopole ? Pas vraiment. En novembre dernier, Patrick Drahi, le patron d’Altice, avait raflé à la barbe de Canal+ les droits du foot anglais, pour 120 millions par an. Une somme jugée alors déraisonnable. Le sport rendrait-il fou ?
Avec capital