Le domaine d’activité des avocats est en pleine ébullition : le modèle d’affaires traditionnel est en pleine remise en question, et les grands cabinets n’ont pas le choix de s’adapter.
Le plus gros défi selon Shahir Guindi, associé directeur chez Osler, un cabinet canadien qui compte près de 200 employés, dont une soixantaine d’avocats au Québec, vient de ce que les entreprises se dotent de services juridiques en interne. Une tendance lourde des plus grandes entreprises québécoises qui représente un manque à gagner pour les cabinets.
Autre bouleversement de taille : «Il y a une forte pression des clients pour avoir une meilleure prévisibilité des coûts des procédures qu’ils engagent», constate René Branchaud, associé et président du conseil d’administration du cabinet Lavery, qui compte 200 avocats répartis dans quatre bureaux au Québec. Le système de l’heure facturable est en train de vaciller.
À tout cela s’ajoute la conjoncture économique difficile, si bien que la défiance envers le monde traditionnel des avocats a augmenté. L’arrivée des génération X et Y sur le marché du travail et les nouvelles technologies, pourvoyeuses de solutions permettant d’automatiser certaines tâches, sont aussi des facteurs importants de changement.
Modèles d’entreprise alternatifs
Tout cela a créé un terreau fertile pour la création de nouveaux modèles. Ces dernières années ont en effet vu la multiplication de cabinets boutiques, des firmes de petite taille, agiles, souvent spécialisées dans des domaines pointus ou qui tentent de standardiser certaines démarches pour en réduire les coûts.
Lex Start, qui existe seulement depuis un an, propose de mettre en lien une clientèle plutôt constituée de jeunes entrepreneurs en démarrage avec des avocats pour réaliser des démarches standardisées payables selon un forfait prédéfini. Par exemple, pour 1 999 $, Lex Start offre un forfait qui comprend l’incorporation, une convention entre actionnaires, trois contrats au choix et quatre heures de consultation avec un avocat. Un ensemble qui peut s’élever à près de 10 000 $ dans un cabinet classique. Leur méthode : le client remplit un formulaire pour indiquer sa situation et les informations dont l’avocat a besoin pour faire les démarches et remplir les contrats demandés.
«Notre concept est parti d’un double constat, explique Gilles de Saint-Exupéry, inscrit au Barreau et associé fondateur de Lex Start : l’inadaptation des services juridiques à la population en général et au monde des affaires en particulier ainsi qu’à la montée en puissance de l’entrepreneuriat au Québec.»
Mais devant la baisse de marché avec les grandes entreprises, les cabinets se tournent aussi vers les PME et les entreprises en démarrage, qui assurent le dynamisme de l’économie québécoise.
Le Barreau proactif
Cette évolution du monde juridique est souhaitée par le Barreau lui-même, qui a publié récemment un rapport sur la tarification et organise des conférences sur les nouveaux modèles d’entreprise possibles dans le monde du droit. «Selon nous, la tarification à l’heure a atteint ses limites, affirme Claudia Prémont, la bâtonnière du Québec. Chaque membre doit choisir la tarification qui lui convient le mieux afin, d’une part, de limiter les impacts sur la qualité de vie et la conciliation travail-famille des avocats, d’autre part, parce que c’est ce que veulent les clients, auxquels on doit assurer des honoraires justes et raisonnables selon notre code de déontologie.»
Dans ce contexte, les grands cabinets traditionnels s’adaptent. Langlois, qui compte 230 employés dont 110 avocats au Québec, a mené récemment une grande opération de modernisation, visible dans son nouveau logo épuré et son changement de nom (auparavant Langlois Kronström Desjardins). «Les évolutions du milieu ont été l’occasion pour nous de croître car nous avons toujours priorisé l’agilité : nous avons conservé la structure opérationnelle la plus simple et la plus souple possible pour gérer au mieux les coûts, tout en confiant la gestion du cabinet à des spécialistes afin que les avocats puissent se consacrer à rendre les services juridiques», explique Jean-François Gagnon, chef de la direction.
Autre stratégie : «différencier les services qui exigent une expertise spécialisée et pointue et ceux qui peuvent être offerts à moindres coûts car plus standards, comme la vérification diligente. Ces tâches peuvent être automatisées ou faites par des avocats salariés, dans des infrastructures moins coûteuses», avance Shahir Guindi.
Repositionnement
C’est le cas du cabinet Lavery, qui profite de sa présence en région où les taux horaires sont moindres pour conserver des prix concurrentiels. Il a aussi modifié ses structures de tarifs. «Nous pouvons parfois assumer une partie des risques avec notre client. Par exemple, quand on l’aide à répondre à un appel d’offres, on lui facture des honoraires réduits et, seulement s’il remporte l’appel d’offres, on reçoit une prime», poursuit René Branchaud, dont le cabinet peut aussi proposer des forfaits.
Les avocats, conscients des enjeux de leur profession, sont en plein repositionnement, ce qui ne va pas sans risque de dérive. Certains cabinets délocalisent parfois les tâches simples dans des pays où la main-d’oeuvre est moins chère qu’au Canada. D’autres travaillent de préférence avec de jeunes avocats pour réduire les coûts. Tout ceci rend encore plus crucial, mais aussi plus difficile, le contrôle de la qualité. Un défi dont est conscient le Barreau, qui va devoir adapter sa mission d’inspection afin de continuer à protéger le public tout en permettant à la profession de se moderniser.
Avec lesaffaires