Tendance Séminaires, accès à des ressources via des plateformes en ligne, partenariats avec les universités locales… Les cabinets d’avocats occidentaux sont de plus en plus nombreux à proposer à leurs confrères africains des initiatives en matière de formation. Objectifs : mieux travailler ensemble, échanger davantage et construire des réseaux.
Depuis quelques années, les initiatives visant à proposer des formations à destination des avocats africains se multiplient. En septembre 2013, Clifford Chance a ainsi lancé la Clifford Chance Africa Academy, qui propose tout un programme de formations aux cabinets d’avocats africains. En octobre de la même année, Eversheds lui a emboîté le pas en créant l’Eversheds Africa Law Institute. Et en juillet 2015, le spécialiste de l’arbitrage Lazareff Le Bars s’est associé avec le cabinet malien Jurifis Consult pour donner naissance à la première Académie africaine de l’arbitrage.
« Avec 5 à 6 % de croissance moyenne par an depuis une dizaine d’années, l’Afrique attire tous les regards, et la plupart des cabinets d’affaires veulent y aller, commente Axel Jurgensen, associé du cabinet de conseil en stratégie Day One, responsable du développement de l’activité en Afrique et basé à Casablanca, au Maroc. C’est un marché qui offre énormément de perspectives, tout y est à faire, et il y a beaucoup de besoins d’accompagnement, notamment juridique. Mais, aussi dynamiques et riches d’opportunités soient-ils, les marchés africains pris isolément sont bien sûr plus petits et plus restreints que les marchés occidentaux — en nombre et valeur d’opérations de M&A, de marchés de capitaux, ou de financement. Aussi, en raison d’une trop forte concurrence comparée à la taille de chaque marché, la plupart des bureaux locaux de cabinets internationaux ont des difficultés de rentabilité. Dans ce contexte de concurrence effrénée, il est devenu essentiel de se positionner maintenant, tout l’enjeu étant de savoir comment le faire de manière différenciée. » Or, offrir des formations est une des façons de se démarquer des autres.
Réduire le « gap »
Sur le continent africain, où il a ouvert un bureau à Casablanca en 2012, Clifford Chance travaille en étroite collaboration avec près de 200 confrères locaux, répartis dans 53 pays. « Nos activités de conseil sont complémentaires, nous nous occupons des aspects internationaux alors que nos confrères des cabinets africains se chargent des aspects qui ressortent de leurs juridictions », précise Alhassane Barry, counsel au sein du groupe mondial énergie, infrastructures et projets. En juillet 2013, lors d’un séminaire à Londres auquel étaient conviés des avocats africains d’une quarantaine de pays, les parties présentes se sont interrogées sur la manière d’améliorer leur façon de travailler ensemble, partant du constat qu’il existait un « gap » en termes d’expertises sectorielles et de pratiques d’industrie entre les firmes internationales et les cabinets africains. « Cela s’explique par le fait que bon nombre d’avocats africains sont des généralistes alors que les cabinets internationaux sont dans l’hyperspécialisation », poursuit-il. Plusieurs solutions ont été évoquées, mais l’idée d’une académie servant de plateforme de rencontre et de formation a très vite émergé comme un des moyens de réduire ce « gap ». Deux mois plus tard, le cabinet lançait la Clifford Chance Africa Academy.
Depuis, onze sessions d’un ou deux jours ont déjà été organisées, et plus de 200 avocats originaires d’une vingtaine de pays y ont participé. La dernière session en date a eu lieu en février dernier à Addis-Abeba, en Éthiopie. Lorsque le cabinet organise une session dans un pays, tous les confrères présents dans cette zone et avec lesquels il travaille ou entretient des relations y sont invités. Ainsi, quand, en mars 2015, Alhassane Barry a animé une formation sur le droit bancaire et le financement de projets à Douala, la capitale économique du Cameroun, des invitations ont été envoyées à tous les correspondants de la zone OHADA. Parmi la trentaine de participants, des avocats venus du Sénégal, du Burkina Faso, ou encore du Togo, étaient présents aux côtés des avocats camerounais. Animées par des experts, les formations sont gratuites, mais Clifford Chance suggère toutefois aux participants de faire un don à une association de leur choix active dans leur pays.
Construire des réseaux
En Afrique, le réseau Eversheds compte aujourd’hui sept bureaux affiliés (en Tunisie, au Maroc, à l’île Maurice et en Afrique du Sud) et entretient des « relations assez formelles et régulières » avec plusieurs cabinets d’avocats africains, explique Boris Martor, associé en charge du groupe Afrique. « Pour tous les cabinets qui n’étaient pas encore des bureaux Eversheds à part entière, il était important de trouver une structure de collaboration qui formalise les échanges et le travail en équipe mené depuis plusieurs années », souligne-t-il. Le cabinet a mis en place l’Eversheds Africa Law Institute, « un réseau basé sur la connaissance » : « La promotion des connaissances juridiques est à la base de l’historique du cabinet en Afrique, nous faisons partie des premiers cabinets qui ont écrit sur le droit OHADA en anglais et fait des formations sur l’arbitrage en Afrique », rappelle-t-il.
Concrètement, l’Eversheds Africa Law Institute se décline sur plusieurs axes : des détachements d’avocats africains dans les bureaux d’Eversheds à Londres, Dubaï ou Paris, et d’avocats européens dans les cabinets africains (à court ou moyen terme, en fonction des dossiers) ; des sessions de formation deux fois par an sur deux à trois jours (à Paris, Londres, Dubaï et, l’année prochaine, au Maroc) autour de problématiques juridiques spécifiques au continent africain, d’ateliers de travail et de réceptions de networking ; une plateforme collaborative mise à disposition de tous les cabinets du réseau sur un extranet et contenant des informations sur chacun des cabinets, des modèles types, des fiches de procédures, des CV… « Cette plateforme d’échange permet aux cabinets membres de notre réseau d’acquérir la connaissance des standards des meilleures pratiques des grands cabinets internationaux », commente Boris Martor. Deux ans et demi après le lancement, « l’EALI a eu plus de succès qu’escompté, se réjouit l’associé. Nous avons démarré avec quatorze cabinets sur une quinzaine de pays. Actuellement, notre réseau compte 40 cabinets dans 38 pays. » Et Eversheds s’est, depuis, inspiré de son initiative africaine pour développer des modes de coopération similaires dans la région Asie-Pacifique et en Amérique du Sud.
Échanges et réciprocité
Si ces deux initiatives fonctionnent différemment sur le terrain, elles ont en commun d’avoir créé des lieux d’échange. « Nous travaillons d’égal à égal avec nos confrères locaux, reprend Alhassane Barry. Notre démarche n’est en aucun cas de leur apprendre leur droit, ni le nôtre d’ailleurs. Ce n’est pas une salle de classe, mais une table ronde. Nous venons pour échanger, et nous en revenons en ayant appris quasiment autant qu’eux. Par exemple, une même réglementation régionale peut ne pas être interprétée de la même façon d’un pays à l’autre, nous apprenons beaucoup des échanges entre avocats issus de différents pays sur les différentes interprétations ou pratiques locales. »
« L’apprentissage est réciproque, fait également valoir Boris Martor. Il faut arrêter de dire qu’on va apprendre aux cabinets africains comment travailler. Ce n’est pas comme ça que cela se passe. » Un point qui reste sensible sur le continent africain, où les démarches des cabinets étrangers sont toujours scrutées avec attention. Ainsi, la participation du barreau de Paris à la création d’un barreau OHADA a fait couler beaucoup d’encre l’an passé : elle a été qualifiée de « colonialiste » par ses détracteurs.
Eversheds convie également ses clients aux séminaires, lesquels réunissent chacun entre 100 et 150 personnes. « Notre idée est de construire un rapport basé sur les échanges entre les clients, les cabinets locaux et nous, où Eversheds n’est qu’un pivot facilitateur des actions réalisées, résume Boris Martor. Nos clients sont contents de pouvoir rencontrer en un seul lieu, une à deux fois par an, l’ensemble des personnes qui travaillent pour eux en différents points du continent, et d’échanger avec elles. Et pour nos confrères africains, la possibilité d’échanger avec les clients et les 55 bureaux Eversheds leur ouvre des portes vers de nouvelles régions. »
Contribuer à la qualité de l’arbitrage international
Chez Lazareff Le Bars, l’Afrique, qui représente 70 % de l’activité, est un peu « la marque de fabrique » du cabinet, affirme Benoît Le Bars, associé fondateur de la boutique spécialisée dans la résolution des litiges internationaux. Impliqué sur l’ensemble du continent – pays francophones, anglophones et arabes –, le cabinet y a développé un réseau de correspondants dans 43 pays. En créant, l’été dernier, l’Académie africaine de l’arbitrage, Benoît Le Bars et ses partenaires africains ont cherché à « contribuer à l’amélioration du niveau général des formations en arbitrage international, directement chez les praticiens africains, explique-t-il. Cela fait plusieurs années que les institutions internationales d’arbitrage, notamment la CCI à Paris ou la LCAI à Londres, se plaignent du fait qu’il y a assez peu d’arbitres africains formés et que le niveau de compétence des conseils dans les dossiers qui concernent l’Afrique est assez variable – certains étant très bons, d’autres sont beaucoup moins formés. » Mais surtout, « nous sommes rarement seuls dans les affaires d’arbitrage international, nous sommes presque toujours co-conseils avec un professionnel local, poursuit Benoît Le Bars. Il est donc dans notre intérêt d’avoir des interlocuteurs opérationnels, qui comprennent notre métier et peuvent nous aider à accompagner un client ou à suivre une procédure localement. » D’autant que l’Afrique est actuellement le continent où la pratique arbitrale connaît sa plus forte croissance, fait encore valoir l’avocat.
Les associés du cabinet ont donc décidé de se rapprocher des avocats, des juristes d’entreprise et des magistrats africains en leur proposant des formations sur trois jours, sous forme d’une simulation d’affaire qui les confronte à toutes les problématiques procédurales et techniques que l’on peut rencontrer dans un arbitrage : langue de procédure, recherche de preuves, clauses d’arbitrage qui ne fonctionnent pas, etc. Des formations pratiques, donc, sous forme d’ateliers, et systématiquement organisées en collaboration avec les institutions locales : ministère de la Justice, ordres d’avocats, chambre de commerce et organisations représentatives des juristes d’entreprise quand elles existent. Les deux premières sessions ont eu lieu au Mali, en juillet 2015, puis au Bénin, en novembre de la même année. La prochaine sera organisée au Burkina Faso, d’ici l’été prochain. Les participants sont, pour la plupart, des professionnels confirmés : pour l’heure, « ce sont surtout des magistrats qui ont répondu présents », précise Benoît Le Bars.
Tisser des liens via des partenariats académiques
Le consultant Axel Jurgensen est néanmoins sceptique quant à ces initiatives, et de façon plus générale, à « l’idée de réunir un certain nombre de cabinets locaux pour diffuser depuis Paris de la formation à des échéances régulières, en général sous forme de grands événements centralisés ou – au mieux – de road show ». « Ces formations sont le plus souvent perçues ici comme des actions marketing, des outils ultra “brandés” pour faire du business développement, pointe-t-il. Mais ce n’est pas cela qui va permettre de développer du business. La bonne approche, selon moi, consiste plutôt à faire de la formation localement, in situ, sous forme de partenariats avec des universités et des écoles, de façon à tisser un véritable maillage local. » Car si aujourd’hui « la formation initiale en droit s’est nettement améliorée et elle est, dans de nombreux pays africains, quasiment du même niveau qu’en France », les besoins se font sentir post-études pour les avocats juniors, car les places de stages sont rares dans les cabinets locaux.
C’est l’approche qu’a d’ailleurs choisie Bird & Bird. « Dans notre positionnement et dans notre activité de développement sur le continent, nous voulons faire les choses main dans la main avec des professionnels sur place, explique Ali Hojeij, collaborateur au sein du bureau de Paris. Nous avons donc privilégié l’approche des partenariats académiques. » Le premier a été conclu au Maroc avec l’Institut supérieur de commerce et d’administration des entreprises, une école de commerce publique qui dispose de plusieurs campus dans le pays, ainsi qu’un en Guinée. En janvier 2016, un « strategic meeting » a été organisé sur le thème des investissements via le mécanisme des partenariats public-privé – un sujet d’actualité pour le Maroc, qui vient d’adopter une législation sur les PPP inspirée du droit français. Un autre partenariat, avec une école de commerce sénégalaise, est à l’étude.
avec lesechos