Pendant longtemps, start-up et grands groupes ont vécu dans des mondes parallèles. Les géants n’ignoraient pas forcément les petits qui cherchaient à grandir, mais chacun suivait sa course et les trajectoires se croisaient peu. Les start-up, qui ne faisaient pas réellement peur, suscitaient en général une indifférence polie, au mieux une forme de curiosité. Les plus prometteuses étaient certes parfois rachetées, mais bien souvent cela ne produisait guère de résultats. Les choses ont bien changé. Une véritable révolution est en cours et plus une seule multinationale ne peut se permettre d’ignorer la pression concurrentielle que sont capables d’exercer de petits acteurs partis de zéro. Désormais, tous les patrons sont prévenus : une entreprise qui n’existait pas il y a une poignée d’années peut devenir un redoutable concurrent.
L’exemple Amazon
Avec une bonne idée, n’importe qui ou presque peut lever des fonds et mobiliser des moyens humains. Résultat, une jeune pousse peut avoir un impact massif, mondial et rapide. Et si le progrès technologique est le moyen qui nourrit cette révolution, ce sont en fait tous les secteurs et pas seulement la tech qui sont au cœur de ce tsunami digital dont aucun acteur ne sortira épargné.
« Vos marges sont mes opportunités », s’amuse à répéter Jeff Bezos, le patron fondateur d’Amazon. Ce travailleur acharné a fait de la croissance une priorité et se souciera plus tard de la rentabilité de ses activités, une fois qu’il aura terrassé tous les distributeurs de la planète. Start-up devenue une multinationale, Amazon a ouvert la voie et montré le chemin aux Uber, qui attaquent G7 et les sociétés de taxis, Airbnb, qui s’en prend aux hôtels, SpaceX, qui veut ringardiser la Nasa, ou Netflix, qui rêve de tuer les Canal+ de notre vieux monde. Ambitieux et performants, les nouveaux corsaires de cette révolution digitale font trembler les acteurs établis. Car ils ne se limitent pas à créer de nouveaux produits, des services en cherchant à piocher quelques parts de marché à la marge. En bouleversant les règles du jeu, ils s’obstinent bien à remplacer un ordre ancien par un nouveau qu’ils auront vocation à dominer. Pour les grands groupes, la menace dopée à la technologie est désormais une menace de mort. Dans toutes les industries, ceux qui ne s’adapteront pas risquent de voir leurs clients partir plus ou moins rapidement. Une menace qui n’est pas fantôme, mais bien réelle.
La nécessité de se réinventer
Confrontées à un défi d’un nouveau genre, les grandes entreprises ont décidé de réagir en faisant du numérique une double priorité : la première consiste à faire appel aux nouveaux outils digitaux, à l’algorithme et au Big Data, pour améliorer leurs performances actuelles. Le digital devient un outil au service de la productivité à la SNCF ou dans les usines quand les capteurs permettent d’anticiper sur des pannes et de réduire les temps de maintenance. Dans les centres d’appels des entreprises de services ou pour les spécialistes de la logistique, le logiciel permet désormais d’être chaque jour un peu plus efficace en anticipant mieux les attentes des clients. Mais les multinationales ont compris que la révolution digitale était aussi, pour elles, l’occasion de réinventer en profondeur leur cœur de métier. Dans l’énergie, un Engie ou un EDF ne pourront plus miser uniquement sur de grandes installations centralisées. Avec les progrès de l’énergie solaire et du stockage dont les performances ne cessent de grimper pour des prix en baisse, les barrières à l’entrée reculent et de nouveaux concurrents vont sans doute émerger. Les géants doivent donc se transformer, et vite, pour s’inventer un nouvel avenir qui sera très différent de l’actuel. Les investissements passés ont longtemps été un avantage. Aujourd’hui, dans l’énergie, l’héritage devient paradoxalement un poids pas toujours facile à supporter et qui ralentit surtout l’indispensable rythme d’adaptation.
Pour tenter de sortir gagnant de ce monde économique en pleine transformation, les entreprises sont en train de comprendre qu’elles ne pourront sans doute plus chercher à faire tout toutes seules. Le monde digital est plus ouvert, plus transparent mais aussi plus collaboratif. Il faut apprendre à travailler autrement en interne pour faire confiance aux intuitions de la jeune génération, mais il faut aussi s’appuyer davantage sur des partenaires extérieurs. Qu’il s’agisse de start-up ou d’autres groupes, eux-mêmes menacés par cette rupture technologique.
Avec Les Echos