Le marché national est en surchauffe. Et les importations venant de Dakar et d’Abidjan n’arrangent rien. Seules solutions : une diversification de l’offre et une expansion sous-régionale.
C’est une concurrence sans merci qui sévit sur le marché malien des farines. Chaque part en est âprement disputée par trois acteurs principaux : les Grands Moulins du Mali (GMM), dirigé par Cyril Achcar, les Moulins du Sahel (MS) de Houd Baby, et les Moulins modernes du Mali (3M) de Modibo Keita, auxquels il faut ajouter de nouveaux arrivants telle la minoterie de promoteurs indiens en construction à Kita, à 260 km de Bamako. « Le marché est très tendu à cause de cette concurrence. Cela affecte notre chiffre d’affaires et nos revenus », confirme Houd Baby.
Les acteurs le reconnaissent : la demande locale, soutenue, augmente au fil des années. Mais si elle s’élève à environ 100 000 tonnes annuelles tout au plus, la production atteint elle environ 15 000 tonnes de farine par mois, soit 180 000 tonnes par an, selon les GMM. Le président du Groupe Sahel (MS) reconnaît d’ailleurs que les prix ont beaucoup chuté entre 2010 et 2015 (le sac de farine est passé de 22 000 F CFA à 18 000 F CFA – de 33,50 à 27,40 euros) et aucun moulin ne tourne – loin s’en faut – à plein régime.
Si Bamako est affecté, les grandes villes de l’intérieur du pays comme Mopti, Kayes, Nioro, Kita le sont davantage, si bien que la farine produite dans la capitale n’y est plus commercialisée !
Houd Baby reconnaît ainsi que sa minoterie produit à peine entre 180 et 200 tonnes de farine par jour (entre 4 500 et 5 200 tonnes par mois), en dépit d’une capacité de 280 tonnes. Un sort que partagent tous les autres acteurs du marché, dont son concurrent immédiat, les GMM. « On tourne autour de 50 % de nos capacités – environ 6 000 tonnes par mois -, avoue Cyril Achcar, le directeur général. Or il faut travailler sept jours sur sept dans cette industrie. » La bataille pour grignoter des parts de marché n’en est que plus rude. Pour le patron de la plus ancienne minoterie du pays, « c’est aussi un peu la faute des banquiers, qui financent toujours les business plans de ce qui existe déjà, au lieu d’encourager les promoteurs à innover et à développer ce qui n’existe pas encore ».
Autres facteurs aggravants de cette situation de surcapacité aux yeux de Houd Baby : les deux grandes minoteries du groupe Mimran implantées dans les ports ivoirien (les Grands Moulins d’Abidjan) et sénégalais (les Grands Moulins de Dakar), qui déversent une bonne partie de leur production sur le marché malien. Ou encore les farines de contrebande qui entrent sur le territoire malien via ses frontières du Nord (en provenance d’Algérie) et de l’Ouest (de Mauritanie). Si Bamako est affecté, les grandes villes de l’intérieur du pays comme Mopti, Kayes, Nioro, Kita le sont davantage, si bien que la farine produite dans la capitale n’y est plus commercialisée !
Contrebande
Selon Houd Baby, cette offre supplémentaire recèle un problème sous-jacent : la concurrence déloyale, qui fausse les règles communautaires. En clair, la plupart de ces importations ne sont pas régulières : les valeurs déclarées en douane ne correspondent pas à la réalité. L’objectif est, à l’évidence, de payer moins de taxes. « Quand un fournisseur facture la farine à un prix pratiquement égal à celui du blé vendu à Dakar ou à Abidjan, et même souvent moins, constate le président du Réseau de l’entreprise en Afrique de l’Ouest (Reao), la concurrence est faussée. »
Pour faire face à pareille situation, les MS jouent sur un certain nombre de leviers : la maîtrise des coûts de fret et de transport, la diminution des stocks, et la qualité du produit fini. Le groupe tente également de diversifier la production en transformant les céréales locales. Ainsi les MS construisent un moulin destiné à produire de la farine de mil pour les ménages, mais aussi de la farine fortifiée pour les enfants et les mères. Et ce en partenariat avec le Programme alimentaire mondial (PAM), dont une mission était attendue mi-octobre à Bamako.
Le blé n’est pas en reste et Houd Baby affirme y songer sérieusement. « Tous les meuniers aspirent à le cultiver sur place [au Nord-Mali]. L’importation de blé coûte cher et représente au moins 80 % de notre coût de production. Mais sa culture requiert un vrai savoir-faire, des moyens financiers importants, des terres, ainsi qu’une vraie volonté politique. »
Le groupe de Cyril Achcar, lui, a beaucoup plus avancé dans ce domaine. « Nous possédons une ferme agricole du côté de Tombouctou, mais elle est à l’arrêt. On y avait investi plusieurs milliards de F CFA pour une production pilote de 200 tonnes, en attendant de trouver un PPP [partenariat public-privé] avec l’État. Malheureusement, ce dernier n’a pas su garantir la sécurité au Nord-Mali. Nous continuons à négocier le PPP en attendant que les accords d’Alger [signature de la paix entre les groupes armés du Nord et le gouvernement malien] portent leurs fruits. »
Présents sur le marché nigérien depuis 2014, les Grands Moulins du Ténéré y demeurent l’unique minotier du pays
Le Groupe Sahel a une autre corde à son arc : sa politique d’expansion sous-régionale. Présents sur le marché nigérien depuis 2014, ses Grands Moulins du Ténéré y demeurent l’unique minotier du pays. Il a aussi lancé la construction d’un moulin à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, pour 3,2 milliards de F CFA. Mais comme chez lui, il est confronté à la contrebande de farine provenant d’Algérie, où le blé est subventionné à 50 %. Là aussi, il est obligé de baisser les prix, ce qui réduit son chiffre d’affaires. Au Mali, au Sénégal et en Côte d’Ivoire, la guerre des minotiers ne fait que commencer. Et seuls les plus ingénieux et les plus solides s’en sortiront.
avec jeuneafrique