Les bonnes étrangères n’ont plus le droit de se marier, ni d’entretenir une relation amoureuse. Les familles qui les emploient sont tenues de surveiller leurs fréquentations.
Bonnes à tout faire ou nounous au Liban, elles rêvaient d’émancipation après la création, l’hiver 2014, à Beyrouth, de leur syndicat, le premier du genre dans le monde arabe. Las, les voici soumises à de nouvelles restrictions : ces travailleuses domestiques ont désormais l’interdiction de se marier dans le pays ou d’y entretenir une relation amoureuse. La réglementation impose à leur patron de veiller au grain, en surveillant leurs fréquentations.
« C’est une violation de la vie privée, une incitation à faire de l’employeur un “Big Brother”. Du jamais-vu ! », dénonce l’avocat Nizar Saghieh, fondateur de l’Agenda juridique. Cette ONG, qui a révélé l’affaire en mai, a lancé une campagne pour obtenir une révocation de la décision. La mesure concerne 250 000 femmes, originaires d’Afrique ou d’Asie. Une nouvelle clause a été insérée à la lettre d’engagement signée, à côté du contrat, par chaque employeur chez le notaire, pour embaucher une nounou ou renouveler son séjour. Noir sur blanc, il est stipulé que la famille doit empêcher toute idylle de son employée.
PRIVATIONS DE SORTIES, VOIRE VIOLENCES OU VIOLS
A l’origine de la directive, la Sûreté générale, l’organisme qui contrôle la présence des étrangers, affirme vouloir « protéger » les enfants qui naîtraient d’une union. De façon ironique, c’est une reconnaissance inattendue de la précarité des domestiques : leurs salaires sont très bas et elles vivent pour la plupart sur leur lieu de travail, où de nombreux patrons leur réservent un bout de cuisine ou une minuscule pièce en guise de chambre.
Adoptée en 2014, cette circulaire a été avalisée par le ministère de la justice avant d’être transmise aux notaires. Les militants des droits des migrants considèrent que la Sûreté générale veut, en réalité, limiter l’implantation des étrangers. « C’est une marque de la xénophobie libanaise, insiste Nizar Saghieh. L’afflux massif des réfugiés syriens (ils sont près d’1,2 million dans un petit pays de 4,5 millions d’habitants) a réveillé la sensibilité sur la présence des étrangers. On veut bien les exploiter, mais pas qu’ils construisent une vie chez nous. » Les abus subis par les bonnes sont régulièrement épinglés : horaires harassants, privations de sorties, voire violences ou viols.
“Pour Rose, une Camerounaise de 45 ans qui a élevé ses deux enfants à distance et s’est séparée de son mari, l’interdiction de nouer un rapport amoureux confirme que les migrantes sont maintenues à la marge de la société. « Dans les cafés, je vois de jeunes couples libanais amoureux. Pourquoi deux étrangers n’auraient pas le droit de s’aimer ? », s’interroge cette femme énergique, qui exclut une romance avec un Libanais. Minoritaires, les employées de maison qui ont fondé une famille au Liban par le passé en se liant avec un autre étranger sont aussi dans la ligne de mire de la Sûreté générale : leurs enfants risquent l’expulsion. « Ces textes nient le droit des travailleuses à avoir une vie personnelle », déplore Rose.
Au cours des dernières années, les domestiques ont été plus nombreuses à bénéficier d’un jour de congé hebdomadaire. Mais l’obligation faite aux employeurs de contrôler les contacts de leur bonne risque de relancer la pratique de l’enfermement, s’alarment des associations. Sur vingt-cinq notaires contactés par l’Agenda juridique, seuls trois d’entre eux sont déterminés à jouer les frondeurs, en refusant de porter sur la lettre d’engagement la mention de la nouvelle interdiction.
PME PMI magazine avec lemonde