Vous souhaitez souscrire une assurance ? Rendez-vous à la banque, dans une station-service ou sur un site d’e-commerce. Pour conquérir une Afrique francophone encore peu couverte, les géants du secteur vont chercher leurs futurs clients là où ils se trouvent.
S’il ne s’est installé sur le continent – et plus précisément au Sénégal – qu’en novembre 2016, April est déjà bien décidé à « uberiser » le marché de l’assurance en Afrique francophone, autrement dit à en casser les codes. Son angle d’attaque ? « La distribution, la façon d’approcher le client », maillon faible du secteur, selon Benjamin Bonnell, directeur général d’April Africa.
« Les petits courtiers n’apportent pas vraiment de valeur ajoutée, de service après-vente, estime-t-il. Ils disposent de bons produits, mais ils ne savent pas parler au client, qui ne sait finalement pas trop ce qu’il achète. Sans parler des aspects de l’indemnisation et de l’assistance en cas de sinistre, qui font totalement défaut. »
Déjà actif dans 33 pays, avec un chiffre d’affaires de 861,2 millions d’euros en 2016, April a étudié pendant deux ans le marché africain, où la pénétration de l’assurance n’atteint pas 1 %, mais dont le potentiel de croissance est estimé à 5 % par an, selon les chiffres 2016 de la Fédération des sociétés d’assurances de droit national africaines (Fanaf).
Et pour en profiter, le courtier grossiste français a vite abandonné l’idée d’installer un réseau d’agences physiques, « trop lourd à gérer et structurellement déficitaire », selon Benjamin Bonnell. April Africa investira plutôt directement dans des circuits alternatifs, « qui ont du flux ». L’idée : adosser l’assurance à d’autres produits en allant chercher le client là où il se trouve.
UN RÉSEAU D’AGENCES PHYSIQUES : TROP LOURD À GÉRER ET STRUCTURELLEMENT DÉFICITAIRE
April s’est certes rapidement constitué au Sénégal un réseau de 500 points de vente surtout composé de courtiers, à qui il propose un catalogue de services – aide à l’obtention de la carte professionnelle, conseil en montage de schémas juridiques, mise en conformité, stratégie, produits innovants… Mais il a orienté sa stratégie vers des pétroliers, des acteurs de la grande distribution, des institutions de microfinance, des opérateurs de télécoms et de transfert d’argent, des acteurs de e-commerce et des compagnies aériennes.
Alors qu’il annoncera courant février la signature de partenariats avec une quinzaine de nouveaux distributeurs, le groupe vend déjà au sein des 171 stations-service sénégalaises de Total une assurance automobile à 6 000 F CFA (environ 9 euros) par mois, associant responsabilité civile et assistance du véhicule et de la personne, avec un marketing et un packaging grand public.
« Une station-service est souvent plus un gage de confiance que le petit courtier au coin de la rue. On s’est intégrés à leur programme de fidélité, explique Benjamin Bonnell. Plus on achète d’essence, plus on obtient de réduction sur son assurance mensuelle. »
Il s’est aussi associé à 150 agences de voyages au Sénégal et en Côte d’Ivoire en proposant, en partenariat avec Sunu, une assurance Schengen à destination des touristes ouest-africains qui se rendent en France.
« On croit beaucoup au marketing direct dans les points de vente, qui deviendront autant de points relais April », poursuit Benjamin Bonnell. Ainsi, l’assureur forme les caissiers des stations à la promotion et à la vente à partir d’un terminal. « Le client a cinq minutes pour choisir son assurance sur un comparateur, parmi vingt offres différentes », précise-t-il.
À LA CHASSE AUX NOUVEAUX CANAUX DE DISTRIBUTION
L’offre April est désormais incluse dans le catalogue de services financiers du groupe bancaire nigérian United Bank for Africa (UBA) et intégrée à la plateforme de commerce en ligne Afrimarket, qui permet de souscrire en ligne, de recevoir une attestation sécurisée et de payer par téléphone.
Une synergie que l’on retrouve aussi chez le français Axa, devenu il y a un an actionnaire et fournisseur exclusif de produits d’assurances de la plateforme de e-commerce Jumia. En juin, il a lancé une première offre permettant d’assurer un téléphone mobile, qu’il compte étendre à tous les sites de Jumia.
Mais April propose également une gamme de services plus élevés comme l’indemnisation au bout de quarante-huit heures pour un accident ou un dommage avec sa voiture – au lieu des trois à six mois habituels – ou le dépannage-remorquage, voire le remboursement de l’assurance-voyage en cas de refus de visa.
À l’instar d’April Africa ou d’AXA, les assureurs des 14 pays de la zone de la Conférence interafricaine des marchés d’assurances (Cima) déploient de nouveaux canaux de distribution pour gagner des clients. Un défi alors que, dans l’espace francophone, l’assurance est essentiellement contractée dans les entreprises et si peu par les particuliers.
Disposant de réseaux physiques très restreints, parfois réduits à deux à trois agences par pays, qui se divisent en bureaux directs (dépendants du siège) et en agents mandataires (rémunérés à la commission), le secteur trouve surtout de nouveaux débouchés dans la bancassurance.
« Bien que l’empreinte du réseau bancaire soit très faible en Afrique [avec un taux de bancarisation de 13 %] elle est néanmoins beaucoup plus élevée que celle des assurances », défend Ibrahima Meite, directeur technique et actuariat du holding ivoirien NSIA Participations.
Présent dans 12 pays avec 300 agents mandataires mais peu d’agents généraux, l’assureur NSIA compte bien gagner des parts de marché en proposant ses produits… chez NSIA Banque, l’autre principale activité du holding, ou localement avec Ecobank.
Une stratégie similaire anime le marocain Wafa, présent au Cameroun, au Sénégal et en Côte d’Ivoire, où il s’appuie sur le réseau de la Société ivoirienne de banque (SIB) – qu’il contrôle – pour développer son offre de bancassurance. Quant à Sunu, leader de l’assurance-vie actif dans 14 pays, il a conclu des partenariats avec Ecobank, Bank of Africa, Banque Atlantique ou encore Orabank. « Soit on déploie nos propres agents commerciaux dans leurs locaux, soit nos produits y sont vendus par des chargés d’affaires », explique Joël Amoussou, directeur général délégué de Sunu.
Cette mutualisation des forces permet ainsi à l’assuré de réaliser ses opérations grâce à sa carte bleue sur des distributeurs automatiques de billets. Si chacun reconnaît le potentiel de ces nouveaux modes de distribution, Allianz Africa tient à continuer à marcher sur ses deux jambes, distribuant des produits de micro-assurance – qui permettent d’épargner 5, 10, 20 euros par mois… – ou de microfinance dans des coopératives agricoles tout en continuant à étendre son réseau d’agences traditionnelles au Togo, au Mali et au Burkina Faso. « Les nouveaux canaux sont complémentaires. Notre approche multicanale ne privilégie aucun réseau en particulier », insiste Frédéric Baccelli, directeur général d’Allianz Africa.
Car le modèle à peine éclos n’est pas encore totalement profitable. « Au Sénégal, au Burkina Faso, nous touchons certes un volume de clients plus important, nous avons 700 000 micro-assurés, mais avec des primes unitaires de faible montant, représentant 5 millions d’euros au total », rapporte Frédéric Baccelli.
« Les primes sont moins élevées que d’ordinaire, mais cela s’annonce prometteur », confirme Ibrahima Meite. Notamment grâce à la digitalisation progressive des produits sur smartphones (70 % de taux d’équipement) et internet.
Sunu a ainsi développé depuis 2012 pour ses produits vie une plateforme mobile avec Orange Money en Côte d’Ivoire, Tigo au Sénégal et commencera bientôt avec Moov au Niger. Depuis, le chiffre d’affaires du groupe a augmenté de 10 %, selon Joël Amoussou. « Cela a facilité une meilleure collecte des primes et un meilleur paiement des prestations », observe-t-il.
Contraintes technologiques
Les assurés sont relancés par SMS. Et le montant des primes est parfois calculé proportionnellement à la facture de téléphone. « Globalement, cela nous incite à standardiser et à simplifier nos offres, et à accélérer la procédure », indique Ibrahima Meite.
S’il faut du temps aux assureurs pour mettre à jour tous leurs procédés technologiques, ils se heurtent aussi à une réglementation qui n’autorise pas encore la signature électronique des contrats et l’impression de son attestation d’assurance ou de sa vignette auto chez soi.
Une contrainte qui oblige l’assureur à rappeler son nouveau client, qui doit ensuite passer à l’agence après avoir souscrit de manière dématérialisée. Le projet de loi qui viendra supprimer cet ultime verrou en zone Cima, et qui devrait être prochainement adopté, se fait donc attendre impatiemment.
Clement Tardif pour ja
April Africa propose ses services au sein de la station Total de Ngor, à Dakar.
Avec jeuneafrique