L’Afrique de l’art vient à la rencontre de la Martinique, et sur cet axe, l’île n’avait pas vécu d’événement artistique d’une telle ampleur depuis les échanges entre Senghor et Césaire du temps du Musée dynamique de Dakar, c’est dire. La fondation Clément, à travers son président, l’entrepreneur (GBH) et mécène Bernard Hayot, est à l’initiative de cette exposition historique : donner à voir, entre les murs du centre d’art contemporain, sis au cœur de l’habitation centenaire, (classé monument historique racheté par Bernard Hayot en 1986), les trésors de la collection Dapper. Depuis la fermeture du musée parisien éponyme, Christiane Falgayrettes Leveau inaugure en Martinique un tournant permettant aux pièces collectionnées avec son mari Michel Leveau, (disparu en 2012), d’être vues ailleurs dans le monde et particulièrement en Afrique et aux Caraibes. Dans cette nouvelle étape pour la fondation Dapper, sa directrice développe ses activités de commissaire d’expositions contemporaines puisqu’au François, jusqu’au 6 mai, deux trames se succèdent et dialoguent secrètement : les œuvres de l’Afrique d’hier, sculptures, masques et objets, et les œuvres de 17 artistes contemporains, issus du même continent et de ses diasporas.
La fondation Dapper voit grand
Le public s’est précipité en nombre dès le vernissage du 20 janvier (plus de 3 000 personnes !) à la découverte de pièces qui racontent aux Antilles le passé continental. La remarquable scénographie de Corinne Marchand met en valeur sous vitrine, à hauteur de regard, des pièces exceptionnnelles, œuvres authentiques qui ont servi pour des cérémonies et recontextualisées. Même si une partie d’entre elles (Afrique centrale) ont été prêtées au musée du Quai Branly pour « les forêts natales », le parcours va de beauté en beauté, s’ouvrant sur la « présence des esprits », et des statuettes, masques, figures de reliquaires d’Afrique centrale, vitrine d’objets en or de toute beauté. Une seconde salle accueille les arts variés d’Afrique de l’Ouest où un cavalier dogon du XVIe siècle s’impose, mais encore les mondes baule, avec des masques puissants, et yoruba.
Afrique – Caraïbes : une histoire niée par des siècles d’esclavage
Il faut ensuite descendre un escalier et se tenir prêt au grand choc : sur de grands pans de mur jaunes, place est faite aux créateurs contemporains du continent et la statue de Toussaint Louverture par Ousmane Sow éblouit le visiteur, d’autant qu’en regard, la série diaspora de son compatriote Omar Victor Diop vient à son tour porter un regard sur l’histoire du continent. S’en suivent dans une harmonie subtile les travaux de Malala Andrialavidrazana d’Omar Ba, de de Soly Cissé dont le monde fait s’interpénétrer le végétal, l’animal et l’humain. On trouve les incontournables Chéri Samba et Samuel Fosso pleins d’humour ; mais aussi Cyprien Tokudagba du Bénin, l’hommage à la femme du sculpteur Freddy Tsimba. Le photographe Nyaba Léon Oudraogo a capté dans une série sur les rites ancestraux au Congo des images puissantes. Elles dialoguent avec les personnages en souffrance de Barthelemy Togo, superbes aquarelles d’une série appelant à la purification. En parcourant les salles, des liens se tissent entre les arts anciens et contemporains, ainsi la photographie de Joana Choumali dont les visages dédoublés font songer au masque, et la visite peut se refaire dans l’autre sens pour explorer les liens entre les œuvres que le site ne permettait pas de juxtaposer en faisant fi du temps.
Pour en savoir plus, les visiteurs peuvent découvrir à la sortie la bibliothèque de la fondation, riche en ouvrages documentaires contemporains et qui recèle aussi des trésors d’archives privées sur l’histoire de la Martinique, généralogie, botanique, sociologie, etc. La centième exposition de la fondation Clément marquera l’histoire culturelle de la Martinique, qui y retrouve une partie d’elle-même sur un site chargé lui-même de l’histoire sucrière. C’est la troisème grande exposition dans le nouveau calendrier impressionnant où s’enchainent de plus courtes expositions rendant visible la création contemporaine caribéenne. Au sortir, la visite se poursuit dans les jardins de l’habitation (qui reçoit 100 000 visiteurs par an) promenade ponctuée par des œuvres d’art contemporain qui y sont installées. Et tout au long de l’exposition « Afriques », au pluriel, on l’aura noté, conférences, rencontres, projections accompagnent.
Avec lepointafrique