Alors que la plupart de ses promotionnaires recherchent un emploi dans une clinique ou un hôpital de zone, Vèna Arielle Ahouansou, sort des clichés et emprunte le chemin de l’entrepreneuriat. Elle sauve des vies sans bistouri, mais avec des codes informatiques. 25 ans et Docteur en médecine, elle assiste au décès d’une patiente, faute de dossier médical et de moyens. Un événement qui l’incite à créer KEA Medicals Pharmaceutics and Technologies, pour améliorer le système de santé en Afrique et dans le monde. Entourée d’une équipe de 15 jeunes, elle a su réunir autour de son initiative les médecins, de même que les hôpitaux des secteurs public et privé, et a déjà raflé le prix du Meilleur Projet Africain du Future In Africa 2018, le prix Tony Elumelu de l’entreprenariat, et lauréate du Women In Africa Entrepreneurship 2017.
Magazine InAfrik : Que vouliez-vous faire étant petite ?
Arielle Ahouansou : Depuis toute petite, j’ai toujours su que je voulais être médecin car j’ai toujours été fascinée par la précision et l’accoutrement (blouses blanches) des médecins que je voyais au cours des émissions ou encore des séries télévisées.
Comment s’est déroulée votre formation ?
J’ai suivi un cursus doctoral en médecine générale et j’en suis sortie avec l’ambition de contribuer à révolutionner le système de santé en Afrique. Mes travaux de recherche de thèse doctorale ont même porté sur l’évaluation des systèmes d’information sanitaires avec pour cas d’étude le Bénin. Après le diplôme, au lieu de devenir typiquement clinicienne, j’ai choisi de prendre la voix de l’entreprenariat plutôt que celle des hôpitaux ; car j’estime que je pourrais apporter plus de valeur ajoutée par ce canal.
Au lieu de soigner peut être une centaine de patients par jour étant dans un hôpital, je veux pouvoir sauver la vie de millions de patients à travers l’Afrique grâce à l’application KEA. A travers cette initiative, KEA Medicals a reçu le Prix du Meilleur Projet Africain du Future In Africa 2018 ; une compétition qui a réuni une centaine de startups Africaines finalistes.
Je suis également lauréate 2018 du Prix Tony Elumelu de l’entreprenariat, lauréate du Women In Africa Entrepreneurship 2017. J’ai eu la chance d’être classée dans le Top 20 des femmes africaines les plus prometteuses par le G20 en 2015, et parmi les 25 jeunes femmes de moins de 25 ans les plus influentes d’Afrique par l’Initiative MOREMI.
Depuis 2013, vous militiez en faveur des femmes et des enfants avec le REFELD. Parlez-nous de votre engagement social !
J’ai toujours pensé que pour atteindre un développement durable et permettre à nos nations d’amorcer une croissance économique plus stable, il était important de régler certains problèmes en rapport avec certaines couches sensibles de la population telles que les femmes et les enfants. C’est ce qui nous avait amené en 2013, avec une équipe de jeunes femmes qui partageaient la même vision, à créer le Réseau des Femmes Leaders pour le Développement REFELD-Benin. Nos focus d’actions étaient essentiellement l’éducation, la santé, le leadership, l’entreprenariat et l’autonomisation des femmes.
De médecin à auto-entrepreneur : projet de vie, opportunisme ou contrainte professionnelle ?
Je ne travaille jamais sous contrainte. Je mise toujours sur le côté fun. Tant que ce n’est pas amusant, passionnant et challengeant, je préfère m’en abstenir. Donc, vous pouvez donc comprendre aisément que KEA Medicals est bien entendu un projet de vie.
Plus concrètement, n’auriez-vous pas entrepris sans la survenance de ce énième cas de décès ?
Je ne saurais le dire. Mais une chose en laquelle je crois, c’est que chacun de nous avons une mission sur terre. Les différentes circonstances et évènements du quotidien, le parcours personnel et les aptitudes intrinsèques sont autant d’éléments destinés à nous faire découvrir cette mission qui est la nôtre.
Le défi est de savoir saisir l’appel et de se laisser utiliser car nous ne sommes que des instruments de Dieu pour solutionner des problèmes précis sur terre. Tout était certainement prévu ; allant de mon choix de formation médicale à mes aptitudes naturelles de preneuse d’initiatives (j’en prends pour exemple la création d’une ONG pendant que j’étais encore en formation).
En créant KEA Medicals Pharmaceutics et Technologies sur fonds propre en 2016, quels objectifs vouliez-vous atteindre ?
Au niveau de KEA Medicals, notre mission est de garantir un accès facile et équitable à des soins de santé de qualité à tous les Africains en réduisant les obstacles qui entravent l’accessibilité aux soins pour cette population.
Nous améliorons le système de santé en Afrique en créant un écosystème numérique qui facilite l’accès à des soins de santé de qualité pour les populations à la base, en interconnectant les différents acteurs de la santé.
La concurrence ne manque pas, elle est juste la preuve de ce que le besoin du marché existe. Cependant, les services délivrés ne peuvent jamais être identiques, car les mobiles et les visons des uns et des autres ne sont forcément pas identiques. Et vous n’êtes pas sans savoir qu’une entreprise est avant tout basée sur une vision.
La carte d’identité médicale universelle : comment l’obtient-on, à quoi sert-elle et comment cela fonctionne ?
Les patients créent leur compte Identité Médicale Universelle (IMU) simplement sur notre plateforme www.keamedical.net en fournissant des informations de base sur leur santé (identité, allergies, maladies chroniques, groupe sanguin, etc.) Après l’enregistrement, chaque patient reçoit son code IMU qui est un QR CODE. Nous imprimons le QR CODE sur différents supports (des patchs, bracelets, des cartes) que le patient peut porter n’importe quand et n’importe où.
Après l’inscription sur la plateforme, le patient peut acquérir son patch ou son bracelet sur commande à travers notre numéro whatsapp 00229 60380808 ou encore chez nos partenaires agréés. Les potentiels partenaires peuvent également nous joindre à travers : hello@keamedical.net.
Un QR code sur bracelet pour accéder au dossier médical, Quels autres problèmes règle cette avancée médico-technologique pour l’Afrique ?
Les problèmes principaux réglés par cette technologie sont : l’amélioration de la prise en charge des patients à travers la disponibilité en temps réel de l’information et une optimisation des ressources financières du patient. Et bien entendu, il s’agit d’une base qui permet de lever plusieurs goulots d’étranglement qui entravent l’accès aux soins pour les populations.
Combien de personnes utilisent votre plateforme aujourd’hui et dans combien de pays ?
Nous avons environ 55.000 utilisateurs enregistrés au niveau de la plateforme dans 4 pays essentiellement ; avec de nouveaux partenariats qui se développent déjà dans d’autres pays.
Vu le fort taux d’analphabétisme et le faible taux d’utilisation d’internet dans notre pays, comment pensez-vous élargir le logiciel à tous ?
Nous surmontons le problème d’analphabétisme des populations par la mise en place d’un système d’assistance constitué de professionnels de la santé qui permet l’enregistrement des patients analphabètes.
En ce qui concerne le taux d’utilisation d’internet, il y a de grandes avancées qui sont déjà réalisées, à voire le taux de pénétration des Smartphones dans la population ou encore l’usage des applications comme whatsapp au niveau de toutes générations.
Et au niveau de KEA Medicals, nous travaillons au quotidien à rendre notre technologie la plus intuitive et la plus facile d’usage que possible.
Combien coûtent l’obtention de la carte et la consultation ?
Les patchs IMU sont à partir de 1 500 FCFA.
Quelles ont été les retombées de votre participation à la rencontre Futur.e.s in Africa au Maroc ?
Futur.e.s nous a permis de nouer de nouveaux partenariats stratégiques à travers l’Afrique qui facilite notre plan d’expansion.
Avez-vous reçu un accompagnement de l’Etat Béninois ?
Nous avions eu la chance d’avoir l’accompagnement de différentes institutions étatiques du Bénin à savoir : le Ministère de la Santé, le Ministère de l’Economie Numérique et ses différentes directions techniques, l’Agence Nationale du Numérique. Et notre plus grande attente est de pouvoir avec eux, matérialiser l’IMU au sein de tous les hôpitaux publics du Bénin.
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Comment arrivez-vous à diriger KEA Medicals, sans véritable expérience en gestion d’entreprise ?
La direction de KEA Medicals est le fait d’une équipe dévouée qui se bat au quotidien pour vous offrir le meilleur, et dont l’expérience de chacun des membres fait de KEA ce que vous voyez. Moi je ne suis que la face visible de l’iceberg.
Je pense aussi que la fibre entrepreneuriale réside en chacun de nous. Car nous avions tous un jour eu à entreprendre un projet personnel, peu importe lequel, et pour lequel on avait des tâches et un chronogramme bien précis. Donc la gestion n’est pas une nouvelle aptitude que j’ai dû improviser ; c’est juste le renforcement d’une compétence latente.
Médecin et chef d’entreprise, n’y a-t-il pas incompatibilité ?
Médecin et chef d’entreprise, il n’y a aucune incompatibilité. Car, dans le domaine médical, il y a bien plusieurs composantes : les politiques et réformes de même que la clinique. Et pour un système sanitaire stable et efficace, il faut une complémentarité de ces deux composantes.
Quel est aujourd’hui le plus grand enjeu de KEA Medicals ?
Le plus grand enjeu de KEA Medicals est de contribuer à garantir à chaque population, un accès facile aux soins de santé de base. Il s’agit là d’une ambition sociale accompagnée d’un modèle économique précis, pour assurer une pérennité de la vision. Et nos différentes solutions en cours de développement et à venir s’inscrivent dans cette même vision.
Propos recueillis par : Mahude DOSSAH / Michaël TCHOKPODO