Après avoir ouvert en 2014 en Côte d’Ivoire, Mel Commodities Exchange aborde le Cameroun. Demain après-midi, dans les locaux du Gicam, à Douala, son président Loïc Mpanjo Essembe expliquera son concept de bourse de matières premières qui donne aux acteurs d’une filière un accès direct à un marché structuré. Un entretien exclusif de Loïc Mpanjo Essembe avec CommodAfrica.
Mel Commodities Exchange, qui êtes-vous ?
En tant que personne morale, Mel Commodities Exchange (MELX) est une bourse des matières destinée à toute l’Afrique. Nous avons démarré en Côte d’Ivoire en 2014, dans le cadre d’une étude de faisabilité qui portait exclusivement sur l’huile de palme, ce qui nous a amené à développer un business model de bourse agricole pour gérer les transactions d’huile de palme en Afrique.
Vendredi au Gicam à Douala, nous allons présenter Mel Commodities aux opérateurs camerounais. Nous n’allons pas créer une bourse des matières agricoles au Cameroun car elle reste à Abidjan où seront centralisées toutes les transactions. Mais nous l’ouvrons à des sociétés camerounaises qui voudraient côter leurs matières et réduire le nombre d’intermédiaires. Nous avons un bureau à Douala qui va fonctionner comme une chambre de compensation pour les matières qui feront l’objet d’une transaction au Cameroun ; une équipe de 4 personnes pourra aussi expliquer et promouvoir le système, car le concept de bourse est très nouveau. Nous sommes aussi en train de finaliser avec un réseau de surveillance –Veritas, Certispec, Unicontrol– au Cameroun mais qui, à terme, devrait apporter une couverture sur toute l’Afrique.
Nous allons aussi affilier un réseau de transitaires permettant de suivre la marchandise sur l’ensemble du circuit pour, le cas échéant, convertir un risque en appel de marges pour sécuriser l’ensemble de la transaction d’un bout à l’autre.
La bourse en Côte d’Ivoire est-elle déjà opérationnelle?
Absolument. Nous avons une structure à Angré, à Abidjan, dans un petit centre commercial qui s’appelle Park & Shop, où nous sommes quatre et cette année nous nous déportons en zone portuaire pour être plus proche des potentiels clients exportateurs et importateurss.
Les premiers contrats d’huile de palme ont été passés en 2015 pour valider la pertinence du modèle. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, on sait comment construire une affiliation, calculer des cours sur l’huile de palme et gérer des transactions sur la base des contrats spots, au comptant, c’est-à-dire à l’instant où la matière est entreposée et à une échéance très courte. A ce jour, nous avons pu faire une douzaine de contrats sur l’huile de palme origine Malaisie et l’Indonésie, pour valider l’étude de faisabilité et vérifier la pertinence du modèle économique.
Une bourse est un projet d’envergure. Sur qui êtes-vous adossé ?
Beaucoup d’exportateurs ou de sociétés de trading ont une vision de la bourse comme un instrument international. Certes, c’est international mais une bourse a, avant tout, une assise locale. Il faut déjà connaître le marché local. La structuration doit permettre de sécuriser le physique c’est-à-dire les stocks de matières premières.
Donc vous avez des entrepôts?
Non, du tout. Aujourd’hui, des bourses se créent selon ce modèle et sont davantage des gestions électroniques d’entrepôts. Mais ce n’est pas le vrai travail d’une bourse de matières premières que d’avoir des entrepôts. Une matière première récoltée est généralement déjà entreposée donc il est inutile de la transporter ailleurs, sauf à être vendue. Cela créé des coûts logistiques et d’entreposage qui rendent la matière, du coup, moins compétitive à l’export.
Nous, nous demandons de fournir un certificat d’entreposage structuré et une garantie financière de 5% du volume du contrat minimum. A partir de là, on va pouvoir échanger votre marchandise, votre stock, sous la forme d’un titre sur notre bourse.
Donc peuvent s’affilier à Mel Commodities tous ceux qui peuvent produire la preuve d’avoir un stock de matières premières entreposées, à laquelle s’ajoute une garantie financière qui témoigne que vous n’allez pas vous désister au moment de la transaction. Les acheteurs qui ne peuvent pas venir vérifier le stock, vont pouvoir acquérir la marchandise sous la forme d’un contrat et nous vérifierons, de bout en bout, que la marchandise est conforme et que la livraison physique puisse se faire.
Une bourse, c’est un marché. C’est créer les conditions de concentration de l’offre et de la demande pour qu’un exportateurs qui veut vendre son stock dans un marché compétitif puisse le faire.
Quelles sont les entreprises en Côte d’Ivoire qui sont déjà affiliées?
On n’a pas eu de client en Côte d’Ivoire car le pays n’importe pas beaucoup d’huile de palme. Elle en exporte plutôt, 57 000 tonnes (t), une huile souvent trop peu compétitive pour que nous puissions la coter. Les transactions se font très souvent bord champ ou dans des entrepôts d’huile. Vous ne pouvez pas faire un marché de l’huile de palme en Côte d’Ivoire sur 57 000 t. Ce n’est pas assez important pour avoir un système comme une bourse car on va demander de l’entreposer, de produire des certificats. Or, l’huile est déjà très chère : on est à FCFA 600 000-800 000 la tonne contre FCFA 340 000-350 000 pour de l’huile de Malaisie ou d’Indonésie.
Donc nous avons surtout eu des clients du Bénin, du Ghana, des sociétés égyptiennes pour qui nous avons fait quelques contrats.
En quoi cela diffère-t-il du travail de négociant ?
Nous, nous proposons un système, un marché, dans lequel si vous êtes une société qui souhaite exporter vous pouvez proposer votre matière, si vous êtes une société qui souhaite importer vous pouvez prendre un contrat. Nous ne faisons que contrôler le bon déroulement des transactions, de livraisons et gérer les litiges associés. Et une société de trading, de négoce, peut très bien venir s’affilier chez nous, coter ses produits qui seront alors visibles de tous dans le réseau et n’importe qui pourra acheter ces produits. En réalité, nous proposons une structure au négociant qui lui permette de travailler. C’est chez nous où se trouve le marché au comptant où le négociant peut venir coter son stock.
Hormis l’huile de palme, quels autres produits envisagez-vous ?
Nous avons décidé en 2016 de coter toutes les matières à l’export, notamment le cacao et le café. D’où cette tournée actuelle au Cameroun pour dire aux exportateurs de cacao et à tous ceux qui détiennent un physique entreposé de venir le coter dans notre système. Nous le ferons ensuite en Côte d’Ivoire et au Ghana afin de créer un indice vendeur sur le contrat cacao, qui deviendra une référence. Les acheteurs de cacao viendront alors passer directement leurs contrats sur notre plateforme. Cela évite une chaîne de négociants qui sont souvent nombreux, jusqu’à 2 à 3 sur une même transaction, et donne un accès direct à la demande ou à l’offre, ce qui accroît la compétitivité.
Mais pour le cacao en Côte d’Ivoire, c’est déjà très intégré…
Lorsque vous vendez le physique en Côte d’Ivoire, vous ne vendez pas aux cours des marchés à terme internationaux ; le prix garanti est très inférieur au cours qui se pratique sur les marchés mondiaux. Et vous vendez à quelqu’un qui, très souvent, vous préfinance. Donc vous n’avez pas de levier sur la fixation du prix. La façon de donner le maximum de valeur à un stock entreposé est de dire à l’exportateur : gardez vos stocks dans vos entrepôts mais quand vous voudrez les coter, vous aurez accès à nos cours et vous aurez accès directement à la demande en cacao. C’est-à-dire que ceux qui achètent à vos négociants, peuvent directement, via ce circuit, vous acheter vos matières. Donc nous évitons ainsi au moins deux intermédiaires.
C’est sans doute encore plus vrai au Cameroun où la filière est totalement libéralisée ?
En réalité, les deux systèmes sont assez proches. Il faut savoir que dans les positions à l’export sur les matières, il existe deux chaînes qu’on peut appeler intermédiaires mais qui sont en fait le négociant et le sous-négociant. Ainsi, une société comme Cargill a une filiale qui va directement acheter au producteur à un prix qui peut ne pas être le prix garanti car le plus essentiel pour eux est de dégager la plus grosse marge possible. Or, cette société que Cargill a créé en Côte d’Ivoire ne peut vendre qu’à Cargill Amsterdam ou d’ailleurs.
Mais si vous disposez des cours vendeurs du cacao en position export sur trois provenances –Cameroun, Ghana, Côte d’Ivoire, vous avez alors un indice cacao qui se convertit en contrat, accessible directement via Mel Commodities. Vous n’avez alors plus besoin de recourir aux chaînes de Cargill ; vous avez accès directement à l’acheteur final qui, lui, va optimiser la marge de l’exportateur ou du producteur. Et, étant donné que l’information est transparente d’un bout à l’autre, le producteur connaît le cours de Mel Commodities pour son cacao, l’exportateur connait le cours, donc la négociation se fait en fonction de cet indice et le cacao devient beaucoup plus compétitif que tout autre cacao proposé par un exportateur ou même sur le marché à terme de Londres.
C’est l’objectif de Mel Commodities : devenir un indice de référence pour les cours vendeurs pour des contrats de matière première agricole.
Avec commodafrica