Au delà de la crise budgétaire, la gestion des ressources humaines pratiquée en plus haut lieu est au cœur du malaise qui s’est installé dans l’armée après la démission du chef d’état major des armées
C’est avec de très longs applaudissements et dans une ambiance chargée d’émotion que le général Pierre de Villiers quitte Balard mercredi 19 juillet en fin d’après-midi. A 19h00, le chef d’Etat-Major de l’armée (CEMA) se présente avec son épouse à l’hôtel de Brienne, qui abrite encore le cabinet du ministre de la Défense. Après un échange chaleureux avec l’huissier qui l’attend sur le perron, le couple monte à l’étage où a lieu la cérémonie. Depuis le début de la crise, la ministre Florence Parly brille par son silence. Son absence lors de cette passation de pouvoir entre deux Chefs d’Etat-Major des armées aurait été impensable sous Le Drian. Une autre époque. Havre de stabilité sous la présidence Hollande –La même équipe est restée en place pendant cinq ans-, le ministère de la Défense a déjà vu en deux mois, deux ministres se succéder et un CEMA démissionner.
Le général François Lecointre a gagné ses galons dans le 3è régiment d’infanterie de marine (RIMa) de Vannes toujours déployé sur les opérations extérieures. Il a commandé ce prestigieux régiment avant de devenir chef du cabinet militaire du ministre de la Défense puis de prendre la tête de la 9è brigade d’infanterie de marine. Reconnu pour ses qualités d’homme de terrain, François Lecointre n’a pas laissé une image aussi unanime après son dernier passage à Matignon, où il était depuis 2016 le chef du cabinet militaire. On le dit proche de l’actuel Premier ministre Edouard Philippe, dont il aurait accompagné l’entrée dans la réserve citoyenne. Il l’est moins des différentes personnalités qui font aujourd’hui (encore) figure de référence et d’autorité au sein de l’institution.
Nommé à la faveur d’une situation d’urgence, ce général quatre étoiles n’était pas destiné à occuper si vite un poste aussi important. D’autres noms auraient été soufflés au Président Macron, qui n’auraient pas été retenus. Des personnes auraient été approchées et auraient refusé « par loyauté pour le général de Villiers ». Oublié l’image de « super manager » habituellement présentée, Emmanuel Macron aurait géré cette crise seul, sans écouter ses conseillers.
Loin d’éteindre la grogne, la nomination du général Lecointre décale les tensions un cran plus bas. Les trois chefs d’Etat-Major Christophe Prazuck (Mer), André Lanata (Air) et Jean-Pierre Bosser (Terre) ; le chef du cabinet militaire de la ministre des Armées l’amiral Jean Casabianca ; le sous-directeur des opérations à l’Etat-Major, le général Grégoire de Saint-Quentin -Pour ne citer qu’eux- risquent de réserver un accueil glacial au nouveau chef. « Confiance rompue », « institution militaire choquée, stupéfaite », les mots employés sur Europe 1 par l’ancien général de division de l’armée de terre Vincent Desportes trouvent un écho dans toute l’institution. Parmi les personnalités emblématiques de l’armée, certaines pourraient être tentées de suivre les pas du général Christophe Gomart. L’ancien Directeur du renseignement militaire vient de rejoindre le groupe immobilier Unibail. Tout cela pourrait donner du travail au cabinet de recrutement Stanton Wallace spécialisé dans le coaching et repositionnement des anciens généraux. Pour l’armée, un nouveau cycle de démissions serait vécu comme une perte de compétence.
En off, les officiers se rebiffent. Il n’est plus tant question des coupes budgétaires que de la piteuse gestion des ressources humaines pratiquée en plus haut lieu. De fait, Macron donne l’impression de chercher à écarter les personnalités qu’il juge trop fortes, donc encombrantes, pour occuper tout seul le terrain. Les prémices de cette tendance sont apparues dès son investiture avec la décision d’écarter une partie de l’équipe de Jean-Yves Le Drian, dont l’expertise lui avait pourtant été fort utile pendant la campagne. En enfilant très vite l’uniforme de chef de guerre, le Président a semblé négliger un aspect crucial dans l’art du commandement: son caractère humain.
Pendant ce temps au Mali, la situation empire
« Tout ce que Jean-Yves Le Drian a fait gagner à l’armée en confiance, en force, pendant les cinq dernières années, Macron risque de le détruire », constate, amer, un officier qui compare la démission de Pierre de Villiers avec la séquence Bertrand Soubelet. En 2016, ce général de gendarmerie avait été contraint de démissionner après avoir émis des critiques sur la politique pénale de Hollande lors d’une audition à l’Assemblée nationale.
La crise d’autorité intervient à un moment où la situation sécuritaire s’aggrave dans la Sahel, où l’essentiel des forces et du matériel est mobilisé aujourd’hui. Au Mali, des pans entiers de territoires sont laissés à la coalition terroriste menée par le chef touareg Iyad Ag Ghali. Les djihadistes d’Abou Walid el Sahraoui ont mené hier et avant-hier des raids meurtriers dans la région d’Indélimane contre les troupes du général Gamou et de Moussa Ag Acharatoumane, deux alliés de Bamako. L’armée malienne a été victime d’une embuscade dans la région de Ménaka. Ces faits ont poussé les autorités du Niger à fermer hier leur frontière avec le Mali dans la région d’Aderinboukane. A Paris, pas un mot sur les attaques, l’armée française regrettait seulement de ne pouvoir à son tour -au moins provisoirement- fermer ses frontières avec le pouvoir exécutif!
Avec parismatch