La décision de la Commission européenne sommant Apple de rembourser à l’Irlande plus de 13 milliards d’euros d'”avantages fiscaux indus” provoque la colère de Washington.
La Commission européenne a sommé Apple de rembourser à l’Irlande plus de 13 milliards d’euros d'”avantages fiscaux indus”, une décision que le groupe américain s’affiche déterminé à combattre et qui provoque la colère de Washington.
Cette “approche unilatérale (…) menace de saper les progrès que nous avons fait ensemble, avec les Européens, pour un système fiscal international juste”, a réagi mardi Josh Earnest, porte-parole de Barack Obama. “Quand je dis juste, je veux dire pour les contribuables mais aussi pour les sociétés qui essaient de faire des affaires à travers le monde.”
Le Trésor américain s’est aussi insurgé: la décision de la Commission pourrait “menacer les investissements étrangers, le climat des affaires en Europe et l’important esprit de partenariat économique entre les USA et l’UE”.
Dublin, “en profond désaccord avec cette décision”, et l’entreprise informatique américaine ont immédiatement annoncé qu’ils comptaient faire appel de cette décision, qualifiée par Apple de “néfaste” pour l’investissement et la création d’emplois en Europe.
Dans “un message à la communauté Apple en Europe”, le directeur général du géant informatique, Tim Cook, s’est dit “confiant” de voir cette décision “être annulée” .
La somme phénoménale réclamée dépasse de loin les montants qu’ont dû rembourser dans le passé les autres entreprises épinglées par Bruxelles pour des aides d’Etat illicites.
Le dernier record, 1,29 milliard d’euros, était détenu par le circuit automobile du Nürburgring en Allemagne, selon un porte-parole de la Commission.
Le montant est toutefois à relativiser vu les quelque 570 milliards de dollars de capitalisation boursière du groupe, première capitalisation mondiale, et le chiffre d’affaires de 234 milliards enregistré sur son dernier exercice clos fin septembre 2015. A la Bourse de New York, son action a d’ailleurs clôturé mardi en baisse de seulement 0,77% à 106 dollars.
Fiscalité attractive
A l’issue de trois ans d’enquête, la Commission a estimé que les avantages fiscaux accordés par le gouvernement irlandais constituaient “des aides illégales” qui ont permis à Apple “d’éviter l’impôt sur pratiquement l’intégralité des bénéfices générés” par ses ventes dans le marché unique européen.
“L’Irlande doit maintenant récupérer les impôts impayés par Apple sur son territoire entre 2003 et 2014, à savoir 13 milliards d’euros plus les intérêts”, a expliqué mardi la Commission.
Les avantages accordés ont été tels que l’entreprise s’est même vu “appliquer un taux d’imposition effectif sur les sociétés de 1% sur ses bénéfices européens en 2003, taux qui a diminué jusqu’à 0,005% en 2014”, a déclaré la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, lors de la conférence de presse.
La Commission européenne a précisé que l’Irlande n’était pas le seul Etat concerné par ce remboursement. Si un pays s’estimait lésé d’avoir vu pendant des années le produit de ventes réalisées sur son territoire partir en Irlande pour échapper à l’impôt, il pourrait lui aussi réclamer sa part de gâteau, réduisant mécaniquement le montant dû à Dublin.
Connue pour sa fiscalité particulièrement attractive, l’Irlande a attiré de nombreuses entreprises au cours des dernières années, dont des multinationales américaines qui y ont installé leur siège européen.
Apple est ainsi basé depuis 1980 à Cork, au Sud du pays, où il emploie environ 6.000 personnes.
Crispation
Interrogée en conférence de presse sur la crispation des relations avec les Etats-Unis, Margrethe Vestager a estimé “qu’elle partageait le même objectif que les USA d’une imposition mondiale juste et équitable pour les citoyens”.
Il y a moins d’une semaine, le Trésor américain avait pourtant haussé le ton. Dans un “Livre blanc” de 26 pages, il dénonçait les enquêtes de la Commission sur les aides d’Etat fiscales et leur rétroactivité, qui concerne outre Apple, Starbucks, Fiat-Chrysler et Amazon.
En février, le secrétaire américain au Trésor Jack Lew s’était indigné dans une lettre à Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, que l’UE “impose des pénalités de façon rétroactive sur la base d’une nouvelle interprétation large des aides d’Etat (…) et semble cibler les entreprises américaines de façon disproportionnée”.
La décision de Bruxelles a en revanche été applaudie par une ONG comme l’Oxfam, qui a salué “un signal fort contre l’évasion fiscale envoyé aux multinationales”, ou l’association ATF (Americans for Tax Fairness), selon laquelle “plutôt que de rejeter” la démarche des Européens, “le Trésor devrait vigoureusement poursuivre ses propres revendications envers Apple sur ses transferts massifs de bénéfices à l’étranger”.
C’est la quatrième fois en moins d’un an que la commissaire Vestager punit des multinationales qui ont passé des accords fiscaux avantageux avec certains pays européens.
En octobre 2015, elle avait exigé de Starbucks et Fiat le remboursement des aides reçues “illégalement” respectivement par les Pays-Bas et le Luxembourg. Ces deux pays ont fait appel.
En janvier, elle s’était attaquée à au moins 35 multinationales, notamment le brasseur belgo-brésilien AB InBev, ayant bénéficié d’avantages en Belgique, pays au régime fiscal particulièrement favorable aux grands groupes.