Pourquoi baptiser son service ou son produit avec un prénom ? L’humanisation permet de communiquer facilement et rapproche le client de la marque, mais pourrait poser problème pour des services de plus en plus automatisés.
« Fred, où en sont les factures ? ». « Anna, sexy cette robe, non ? ». « Julie, voyez mon agenda ». « Antoine, un bon plan à Bangkok ? ». Des répliques banales et plausibles. Des interlocuteurs fictifs. Quatre prénoms qui désignent des services avec une interface numérique. Freddelacompta, AskAnna, JulieDesk et AskAntoine remplacent respectivement un expert-comptable rigoureux, une experte en conseils shopping, une assistante de direction zélée et un copain baroudeur qui donne des conseils de voyage.
« Le prénom, c’est une façon de se rapprocher, c’est une réduction de distance avec le client, analyse George Lewi, spécialiste des marques. Le web utilise beaucoup cette logique de proximité. Je ne vais pas m’adresser à un expert-comptable avec un cabinet. Je m’adresse plutôt à « Fred de la compta ». Il devient presque un copain. »
Je suis Anna, personnal shopper
Cette proximité est d’autant plus importante pour la confiance du client que ces services numériques remplacent des interactions directes avec des personnes clés : une amie, une assistante, un comptable. « Nous avons fait une petite enquête auprès d’une centaine de chefs d’entreprise en demandant ce qui pourrait freiner la digitalisation du service d’expertise comptable, rappelle Romain Passily, le co-fondateur de freddelacompta. Nous avons identifié deux blocages: la froideur du numérique, et l’impression de perdre la qualité du service humain. Avec l’humanisation du nom, nous enlevions ces deux freins. »
Le prénom constitue aussi un point de départ aisé pour le storytelling de la marque. Sur le Blog de AskAnna, le premier post est signé Anna : « Je m’appelle Anna, je suis personal shopper et parisienne. (…) Je traque les fashion faux pas. (…) J’ai décidé de déléguer mes fashion pouvoirs à mes influenceurs préférés sur mon application Iphone AskAnna. D’un simple swipe, ils pourront faire régner le bon goût. »
Allo Bernard / Allo John-Paul
Le storytelling, un moyen de se démarquer sur un marché, mais aussi de communiquer rapidement sur ses services. Allo-Bernard est une conciergerie solidaire à Toulouse. John-Paul propose des services de conciergerie haut de gamme. Les deux sociétés utilisent habilement les imaginaires associés aux prénoms choisis. Le client n’attendra la même prestation d’un Bernard débonnaire que d’un John Paul professionnel.
Ces ressorts commerciaux ont précédé l’essor d’internet. Les exemples viennent aisément à l’esprit dans les commerces de proximité : Sophie fleurs, les vêtements Arthur, tous les restaurants nommés par exemple « chez Julien » ; jusque dans les plus grosses marques : la lingerie Victoria Secret, les voitures Mercedes qui portent le prénom de la fille du fondateur.
Donner un prénom à un robot ?
D’un point de vue pratique, prénommer sa marque nécessite peu d’effort de recherche. Un calendrier suffirait presque. « On a mis des idées sur la table autour d’un verre, raconte Tudor Gheorghiu, co-fondateur. On a trouvé AskAnna. » Quant à Antoine : « Les gens me demandaient déjà des conseils car j’ai pas mal voyagé, se souvient Antoine. Ca a donné naturellement : « AskAntoine » (« Demande à Antoine »). » Pour Julie Desk, Julien Hobeika, un des trois co-fondateurs nous a déjà déclaré: « Nous n’avons pas cherché très longtemps. Nous voulions un prénom simple à orthographier, exportable, avec un nom de domaine disponible ! »
Pour autant, ce branding de prénom, cette humanisation, présente un risque : rendre humain des robots et donc tromper le consommateur. « Il ne faut pas humaniser s’il n’y pas d’humain derrière », prévient Romain Passily. Apple a appliqué ce principe avec SIRI, son robot d’assistant vocal pour IPhone.
Du côté de Mountain View, Google louvoie. AlphaGo, le programme qui a vaincu le meilleur joueur de Go du monde, s’appelle bien comme un robot. Mais Tay, le profil twitter autonome qui a nié l’holocauste quelques heures après sa mise en ligne, portait un prénom asiatique répandu. Un dysfonctionnement réel non sans rappeler celui, fictif, de HAL, l’unité centrale qui tue les astronautes du vaisseau spatial dans le film d’anticipation 2001, l’odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick.
42% des emplois français seraient automatisables
Chez Julie, Antoine, Fred et Anna, ce sont encore bien des humains qui ont le dernier mot. Pour Fred, chaque client est rattaché à un expert-comptable en chair et en os. L’automatisation a seulement remplacé les tâches répétitives et pénibles. « Nous donnons à l’expert-comptable les moyens de faire du conseil en temps réel, plutôt que de la saisie, du scanner, des relances… » Chez AskAntoine, tout est humain : de la mise en relation avec un contact local, aux conseils de ce dernier aux voyageurs. Anna rassemble 100.000 adeptes du shopping et 150 bloggeurs.
Mais dans un futur proche, la robotisation va s’étendre. En octobre 2014, une étude du cabinet de consulting Roland Berger a prédit qu’à l’horizon 2025, 42% des emplois français « présentent une probabilité d’automatisation forte du fait de la numérisation de l’économie ». Avec cette automatisation, « la tendance à utiliser des prénoms pour nommer des marques va s’accentuer, conclut George Lewi. C’est le plus simple à retenir, le plus naturel. »
Avec lesechos